Timor oriental, 29 juin : l’arme artistique face a la haine
Catégorie : Global
Thèmes : Archives
Cela faisait environ deux semaines que Dili etait calme. Les magasins rouvraient et nous recommencions a sortir. Dimanche dernier Arte Moris (ecole d art au Timor Oriental) avait meme organise un barbecue a la plage. C etait un moment unique et emouvant. Tout en jouant du Djembe et de la guitare et en chantant les magnifiques chants timorais, nous cuisinions le poisson fraichement peche.
L unique artiste professionnelle timoraise, Maria Madeira, vivant desormais a Perth en Australie, a meme accepte de venir au Timor pendant cinq semaines afin de donner des cours d Histoire de l Art aux etudiants d Arte Moris. Ainsi, pendant cinq semaines, les etudiants se sont debrouilles pour satisfaire au mieux nos refugies, ils se sont occupes de la securite a l entree de l ecole jour et nuit et malgre cela ils se retrouvaient deux heures pendant la journee afin de suivre les cours de Maria Madeira. C est important pour eux car l art est un moyen d oublier pour un temps cette situation dramatique mais seuls devant leur toile, en ce moment, c est impossible. Le stress et la fatigue tuent leur creativite.
Depuis quelques jours Arte Moris travaille sur un projet pour le ministere des affaires etrangeres mais a l initiative de Luca Gansser, le fondateur de l ecole. C est un projet pour l Union et la Paix au Timor Oriental. Leurs moyens et leurs armes : les toiles, les peintures, les couleurs, les banderoles, les poemes. Luca, avec beaucoup d emotions, a remercie Maria d avoir donne ses cours, malgre les evenements. Avec la meme voix tremblante, il a continue et a remercie les eleves pour tant de courage et pour leur long travail. Il a ensuite explique que nous nous devions d agir face a cette crise, que l ecole d art ne devait pas rester inactive car nous possedions une reelle arme, mais aussi une alternative a la violence, l expression artistique. C est dans ce genre de situation extreme que l art et la culture prennent tout leur sens. Meme en temps de crise, l art se revele etre une arme contre la violence.
Il a donc fallu liberer un endroit de l ecole, et pour cela rassembler des familles de refugies dans la meme piece. Nos refugies ont accepte de se serrer pour que ce projet voit le jour, Arte Moris cree un espace de paix et d unite.
, expliquais je aux refugies lors d une reunion,
Nous avions organises cette reunion afin de creer un espace uni car les tensions se faisaient ressentir au sein meme de l ecole. Nous avons termine le discours par un poeme ecrit par l un des eleves. Dans le meme temps, trois autres eleves avaient organise un atelier dessin pour les enfants de refugies.
Malheureusement, il y a quelques jours de cela, le Timor allait s enfoncer dans une profonde et dangereuse crise politique. Mari Alkatiri, premier ministre et membre actif du FRETILIN (parti majoritaire extreme gauche autoritaire, accuse d avoir commandite des assassinats d opposants), rejete par une majeure partie de la population (souvent les timorais de l Ouest du Timor Oriental), allait devoir sous la pression des quelques 9000 manifestants descendus des montagnes de l Ouest, ceder sa place.
Des camions remplis de refugies arriverent a Dili. La nuit etait tombee et tout ce que nous pouvions voir etait un long serpent de phares de camions dont nous n apercevions pas la fin. Arte Moris est en realite situee a l entree ouest de la ville. Nous avions les camions arretes juste en face de l ecole car l armee malaisienne allait controler ces derniers un a un. Meme si cette manifestation promettait de rester calme, c est toujours inquietant au Timor car il suffit d une etincelle, d un mot, et les meilleurs amis du monde se detestent et se lancent des pierres. Jusqu a maintenant, seule la population de l Ouest avait attaque, brulant les maisons et coursant les quelques timorais de l Est restant a Dili. Cette manifestation pronant soi disant l unite et la paix etait en realite une manifestation pro Ouest. C est pourquoi, cette fameuse nuit, alors que des centaines de camions, charges de timorais de l Ouest, ayant voyage toute la journee sans pouvoir bouger, se sont arretes devant Arte Moris et ont demande a boire, la tension etait a son comble. En tant qu etrangere, je ne pensais pas avoir de problemes si je ne prenais pas partie. J ai donc pris mon appareil photo et suis allee parler aux manifestants tout en leur demandant la permission de prendre des photos. Au debut cela allait et puis rapidement ils me posaient des questions : Y a t il des refugies de l Est chez vous ?}, J espere que tu ne prends pas de photos des gars de l Est ?}. Je les sentais de plus en plus excites et agressifs. Je leur ai donc menti et ai pese chacune de mes paroles.
A partir de ce moment, les problemes allaient petit a petit reapparaitre. Les informations timoraises traitent le probleme sommairement et chaque discours televise peut prendre de dangereux tournants. Apres son retrait, Mari Alkatiri s exprima aux informations. Il declara qu il ne fallait pas se laisser faire par ceux qui brulent et jettent des pierres, encourageant alors le conflit Est/Ouest. Le lendemain, la reaction fut directe et d autres maisons brulerent toute la nuit du 28 juin, des voitures attaquees, des vitres cassees.
A Arte Moris, pour la deuxieme fois depuis le debut des tensions, on nous a menace. Aujourd hui, 29 juin, alors que le chauffeur d Arte Moris, Victor, un jeune homme de Baucau (Est), aidait des refugies a recuperer televisions et frigidaires a Ai Moutin, un quartier de Dili assez touche par les conflits, ce dernier allait se retrouver dans une situation dangereuse, encercle par un groupe de l Ouest lui demandant ou il allait et qui vivait a Arte Moris, promettant alors de venir le soir meme. Le fait que nos refugies soient de l est et de l ouest ne plait pas a ceux qui attisent les tensions. La police malaisienne gardera normalement notre ecole ce soir.
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