Pour nada
Catégorie : Global
Thèmes : ArchivesResistances
Lieux : Rennes
Cette prise de position s’adresse plus particulièrement au collectif NADA, même si elle peut bien sûr intéresser de nombreux autres lecteurs. Si nous nous adressons à vous par ce biais « détourné » c’est parce qu’après avoir lu sur Internet le tract « Révoltes et chaos dans le capital » nous n’avons pas trouvé d’autre moyen d’entrer directement en contact avec vous. Nous espérons que par ce biais, notre prise de position vous parviendra, et qu’une discussion pourra s’engager. Nous voulons exprimer notre accord avec les soucis et les insistances que vous développez dans ce tract.
Nous partageons votre opinion qui situe l’origine des émeutes et leurs racines profondes dans la crise économique irrémédiable du capital et donc qui souligne la responsabilité du système capitaliste lui-même :
« Cette révolte rappelle que depuis 25 ans, les réformistes, les partis de gauche, les républicains, n’ont jamais eu de solutions que des rustines à la roue du Capital ! Or, où que nous habitions, nous subissons le même rapport social destructeur, en tant que salariés. Nous encaissons la liquidation croissante des compromis ou des acquis des luttes sociales passées. Aujourd’hui ce système planétaire poursuit ses dégâts de la Chine à la Nouvelle-Orléans en passant par la « Françafrique », l’Amérique latine… Mais le capitalisme a du plomb dans l’aile, aux dires même de ses grands prêtres, économistes ou dirigeants d’entreprises multinationales. C’est de cela qu’il est temps de parler à nouveau. (…) les recettes de Keynes pour sauver le capitalisme ont épuisé tout leur suc depuis 30 ans ! L’accroissement historique énorme des appareils d’Etat est l’éternelle Solution des sociaux-démocrates rivaux, de tous poils (fascistes, trotskystes, maoïstes, Attac, etc. ) ; mais l’intervention d’un soi-disant « Etat populaire » ou « social » sert de béquille périodique au capitalisme, retardant seulement l’exacerbation de ses contradictions chaotiques. (…) Nos experts éminents énoncent dans leurs bouquins quelques réformes dont disposerait encore la « gouvernance » mondiale aux abois… Leurs incertitudes ne portent pas sur l’éventualité des prochaines crises majeures, mais sur leurs dates, sur le degré du chaos, l’ampleur des destructions. »
Cette inquiétude de la bourgeoisie nous la retrouvons dans la tonalité des articles de la presse européenne sur les émeutes, même s’ils peuvent contenir quelques piques contre le « modèle social français » vanté en permanence par Chirac contre le « modèle libéral anglo-saxon ». C’est ainsi que, le 5 novembre, on pouvait lire, dans le quotidien espagnol La Vanguardia « Que personne ne se frotte les mains, les bourrasques de l’automne français pourraient être le prélude à un hiver européen ». Et il en est de même de la part des dirigeants politiques : « Nous ne devons pas penser que nous sommes tellement différents de Paris, c’est seulement une question de temps » (Romano Prodi, leader du centre gauche en Italie et ancien président de la Commission européenne). Cette inquiétude révèle que la classe dominante prend conscience de sa propre faillite. Même dans les pays où des « politiques sociales » ont traité de façon différente les problèmes liés à l’intégration des immigrés, elle est confrontée à des difficultés qu’elle ne peut pas résoudre parce qu’elles découlent de la crise économique insurmontable à laquelle elle est confrontée depuis plus de trente ans.
Les bonnes âmes de la bourgeoisie française, et même le gouvernement qui a surtout manié jusqu’à présent le bâton plutôt que la carotte, affirment qu’il faut « faire quelque chose » pour les quartiers défavorisés. On a annoncé la rénovation des cités lugubres dans lesquelles vivent les jeunes qui se révoltent. On préconise plus de travailleurs sociaux, plus de lieux de culture, de sport ou de loisir où les jeunes pourront s’occuper plutôt que d’aller brûler des voitures. Tous les politiciens sont d’accord pour reconnaître qu’une des causes du malaise actuel des jeunes provient du chômage considérable dont ils sont victimes (plus de 50% dans ces quartiers). Ceux de droite en appellent à de plus grandes facilités données aux entreprises pour s’installer dans ces secteurs (notamment une baisse de leurs impôts). Ceux de gauche réclament plus d’enseignants et d’éducateurs, de meilleures écoles. Mais ni l’une ni l’autre de ces politiques ne peut résoudre les problèmes qui se posent.
Le chômage ne baissera pas parce qu’on installe une usine à tel endroit plutôt qu’à tel autre. Les besoins en éducateurs et autres travailleurs sociaux pour s’occuper des centaines de milliers de jeunes désespérés sont tels que le budget de l’État ne peut y faire face, un budget qui, dans tous les pays, ne cesse de toute façon de réduire l’ensemble des prestations « sociales » (santé, éducation, pensions de retraite, etc.) afin de garantir la compétitivité des entreprises nationales sur un marché mondial de plus en plus saturé. Et même s’il y avait beaucoup plus de « travailleurs sociaux », cela ne pourrait résoudre les contradictions fondamentales qui pèsent sur la société capitaliste dans son ensemble et qui sont à l’origine du malaise croissant dont souffre la jeunesse.
Si les jeunes des banlieues se révoltent aujourd’hui avec des moyens totalement absurdes, c’est qu’ils sont plongés dans un profond désespoir. En avril 1981, les jeunes de Brixton, quartier déshérité de Londres à forte population immigrée, qui s’étaient révoltés de façon semblable, avaient placardé sur les murs ce cri : « no future ». C’est ce « no future », « pas de futur », que ressentent des centaines de milliers de jeunes en France, comme dans tous les autres pays. C’est dans leur chair et au quotidien, du fait du chômage, du mépris et de la discrimination que les jeunes « casseurs » des quartiers populaires ressentent cette absence totale d’avenir. Mais ils sont loin d’être les seuls. Dans beaucoup de parties du monde, la situation est encore pire et l’attitude des jeunes prend des formes encore plus absurdes : dans les territoires de Palestine, le rêve de beaucoup d’enfants est de devenir « kamikazes » et un des jeux favoris des gamins de 10 ans est de s’entourer le corps d’une ceinture fictive d’explosifs.
Cependant, ces exemples les plus extrêmes ne sont que la partie visible de l’iceberg. Ce ne sont pas seulement les jeunes les plus défavorisés, les plus pauvres, qui sont envahis par le désespoir. Leur désespoir et leurs actes absurdes ne sont que les révélateurs d’une absence totale de perspective, non seulement pour eux-mêmes, mais pour l’ensemble de la société, dans tous les pays. Une société qui, de façon croissante, se débat dans une crise économique insurmontable du fait des contradictions insolubles du mode de production capitaliste. Une société qui, de plus en plus, subit les ravages de la guerre, des famines, des épidémies incontrôlables, d’une détérioration dramatique de l’environnement, de catastrophes naturelles qui se transforment en d’immenses drames humains, comme le tsunami de l’hiver dernier ou les inondations de la Nouvelle-Orléans à la fin de l’été.
Dans les années 1930, le capitalisme mondial avait subi une crise semblable à celle dans laquelle il s’enfonce aujourd’hui. La seule réponse que le capitalisme put lui apporter fut la guerre mondiale. C’était une réponse barbare mais elle avait permis à la bourgeoisie de mobiliser la société et les esprits autour de cet objectif.
Aujourd’hui, la seule réponse que peut apporter la classe dominante à l’impasse de son économie est encore la guerre : c’est pour cela que les conflits guerriers n’ont pas de fin et impliquent de façon croissante les pays les plus avancés ou qui avaient été épargnés pendant une longue période (tels les États-Unis ou certains pays d’Europe comme la Yougoslavie tout au long des années 1990). Cependant, la bourgeoisie ne peut aller jusqu’au bout de ce chemin vers la guerre mondiale. En premier lieu, parce que lorsque les premiers effets de la crise se sont fait sentir, à la fin des années 60, la classe ouvrière mondiale, et notamment dans les pays les plus industrialisés, a réagi avec une vigueur telle (grève générale de Mai 68 en France, « automne chaud » italien de 69, grève en Pologne de 70-71, etc.) qu’elle a fait la preuve qu’elle n’était pas prête comme auparavant à servir de chair à canon pour les visées impérialistes de la bourgeoise. En second lieu, parce qu’avec la disparition des deux grands blocs impérialistes, après l’effondrement du bloc de l’Est en 1989, les conditions militaires et diplomatiques n’existent pas à l’heure actuelle pour une nouvelle guerre mondiale, ce qui n’empêche pas les guerres plus locales de se perpétuer et de se multiplier. Le capitalisme n’a aucune perspective à offrir à l’humanité, sinon celle de guerres toujours plus barbares, de catastrophes toujours plus tragiques, d’une misère toujours croissante pour la grande majorité de la population mondiale. Nous sommes 100% d’accord avec Nada quand il affirme dans un intertitre du tract que « Le capitalisme est en train de s’autodétruire ! » et, pouvons-nous ajouter, en faisant peser la menace de la disparition même de l’humanité.
Nous sommes aussi d’accord avec la perspective que vous tracez comme alternative : la seule possibilité pour la société de sortir de la barbarie du monde actuel c’est effectivement le renversement du système capitaliste : « Actuellement le capitalisme semble triomphant : il ne cesse de licencier, fliquer, précariser, flexibiliser, délocaliser… L’Etat liquide les « compromis historiques » : systèmes de retraite, santé, éducation… Nos résistances sont parcellaires, modestes… Pourtant le système révèle aussi ses failles béantes : apartheids explosifs, faillites d’Etats, crises financières, guerres, catastrophes écologiques, impuissance des politiques réformistes… (…) Cette préhistoire du genre humain finira-t-elle ?! Les hommes continuent de faire leur histoire. Des insurrections prolongées, des grèves générales, ont éclaté, éclatent, éclateront. A nouveau, sans même l’avoir cherché au départ, des révolutions sociales se retrouveront en rupture avec l’intégration au Capitalisme. Ce régime s’effondrera dans ses propres contradictions avec sa démocratie bourgeoise, sa république de classes. L’intervention révolutionnaire des hommes est nécessaire pour inventer une autre voie que celle, suicidaire, qui pourrait succéder au capitalisme : le chaos, les mafias généralisées, la misère fatale. »
Pour nous, la seule force capable de renverser le capitalisme, est la classe ouvrière mondiale. C’est parce que, jusqu’à présent, celle-ci n’a pas encore trouvé la force d’affirmer cette perspective, à travers un renforcement et une extension de ses luttes, que des centaines de milliers de ses enfants sont amenés à sombrer dans le désespoir, exprimant leur révolte de façon absurde ou se réfugiant dans les chimères de religions qui leur promettent le paradis après leur mort. La seule véritable solution à la « crise des quartiers déshérités » est le développement des luttes du prolétariat vers la révolution qui permettra de donner un sens et une perspective à toute la révolte des jeunes générations.
Dans votre tract, vous avez raison de vouloir vous distinguer à la fois de ceux qui condamnent les jeunes impliqués dans les émeutes comme lumpenprolétaires en se rangeant du même côté que les forces de l’ordre en défenseurs de la légalité bourgeoise ; et d’autre part de ceux, notamment dans le milieu anarchiste, qui encensent la colère désespérée des jeunes de la banlieue pour en faire le nec plus ultra de la lutte contre le capitalisme, telles la CNT-AIT qui, en plein milieu des événements a clairement laissé entendre que « dans une situation de crise, de misère économique et sociale, d’oppression étatique, qui nous excède tous, les jeunes qui se sont révoltés peuvent être l’étincelle pour une remise en question plus globale de cette société fondamentalement injuste »., ou encore la CNT disant dans un texte du bureau confédéral, en date du 13 novembre que « cette implosion de violence est l’expression d’un affrontement contre un système capitaliste qui les marginalise. »
Il est clair que les jeunes émeutiers sont des victimes du système capitaliste et qu’ils constituent qu’ils en soient ou non conscients, une partie de la classe ouvrière, particulièrement en souffrance. Mais comment exprimer notre solidarité envers ces enfants d’ouvriers ? Certainement pas en semant des illusions ou en les suivant dans leur cri de détresse. Cette partie de la jeunesse impliquée dans les émeutes a, au contraire, tendance à s’éloigner du combat prolétarien. Ce type d’explosion de violence va en effet à l’encontre des intérêts de la classe ouvrière. Elle distille la crainte, le repli et la division en ses rangs. Tout ceci, la bourgeoisie l’a très bien compris. Elle a orchestré d’une main de maître une propagande de la peur afin de justifier le renforcement de son arsenal répressif. Ces émeutes n’ont pas alimenté la conscience du prolétariat. Elles ont au contraire créé un terrain propice à l’idéologie bourgeoise. La classe dominante a instrumentalisé cette frange désespérée de la jeunesse pour justifier ses mesures d’urgence sécuritaires et ainsi accroître le flicage des quartiers ouvriers. Surtout, elle a pu masquer momentanément la faillite de son système, accusant pêle-mêle la « racaille » et les immigrés d’être la cause de tous les maux.
C’est ici une partie de la classe ouvrière qui se trompe de chemin et de lutte. En ce sens, si le prolétariat est solidaire des victimes du capitalisme et donc de cette jeunesse désespérée, en même temps cela ne veut pas dire que nous devons saluer ce type de révolte car elle se situe à l’opposé des besoins du prolétariat. Ces émeutes n’appartiennent ni de près ni de loin à la lutte de la classe ouvrière. Le prolétariat dans sa lutte tend vers l’unité et développe pour cela la solidarité. Ces émeutes sont le contraire, elles sont le produit de ressentiments individuels et n’ont comme perspective que la destruction et l’autodestruction. CCI
Le Courant communiste international organise à RENNES une réunion publique sur le bilan de la lutte contre le CPE, le samedi 13 mai à 15 heures à la Maison des quartiers de Villejean, 2 rue de Bourgogne et vous invite fraternellement à y participer !
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