Le déni de l’antisémitisme

Le refus de considérer la question de l’antisémitisme comme digne d’intérêt, et l’utilisation de diverses techniques pour tenter soit de rejeter la question, soit d’attaquer l’intervenant. Dans certains cas, l’antisémitisme flagrant et ouvert est considéré comme acceptable.

Exemples

Le militant antisioniste Michael Neumann ne nie pas la réalité de l’antisémitisme mais le justifie dans sa célèbre anthologie The Politics of Anti-Semitism, copubliée par la maison d’édition anarchiste AK Press et CounterPunch, cette dernière revue publiant des écrivains antisémites depuis de nombreuses années. Dans l’essai principal de l’anthologie, il écrit : « Une partie de cette haine [contre les Juifs] est raciste ; une autre ne l’est pas, mais qui s’en soucie ? Pourquoi devrions-nous y accorder la moindre attention [1] ? » Sa correspondance avec un site web ouvertement antisémite Jewish Tribal Review a été publiée par la suite ; lors de cet échange, Neumann a déclaré : « Si une stratégie efficace implique que certaines vérités sur les Juifs ne sont pas mises en lumière, je m’en fiche. Si une stratégie efficace signifie encourager un antisémitisme raisonnable, ou une hostilité raisonnable envers les Juifs, je m’en fiche également. Si cela conduit à encourager un antisémitisme raciste vicieux ou la destruction de l’État d’Israël, je m’en fiche toujours [2]. » (Bizarrement, Neumann est le fils de Franz Neumann, membre de l’Ecole de Francfort et auteur de Behemoth : structure et pratique du national-socialisme. 1933-1944 [Payot 1979]. Je suppose que son père se retourne dans sa tombe.)

Upping the Anti, un journal semi-anarchiste publié à la fin de la grande période du mouvement altermondialiste, et qui se concentre sur l’anti-impérialisme, organisa un débat sur l’antisémitisme à gauche en 2009. Michael Staudenmaier, alors associé au milieu antifasciste, soutint que l’antisémitisme n’était pas acceptable, tandis que le rédacteur en chef de Left Turn, Rami El-Amin, affirmait que l’antisémitisme n’était pas un problème, citant même The Politics of Antisemitism pour étayer sa thèse. Le débat – qui s’étendit à d’importants médias du mouvement antifasciste – divisa les cercles dans lesquels je militais [3].

Pour une publication de gauche, il serait impensable d’avoir un tel débat sur la question de savoir si le racisme, l’homophobie ou le patriarcat sont acceptables ou pas. Mais ces débats nous donnent une représentation exacte de la gauche à cette époque : la question de savoir si elle devait inclure ouvertement l’antisémitisme dans ses rangs était sujette à débat, et certaines personnes pensaient que les points de vue antisémites devaient être acceptés. (Aujourd’hui, du moins aux États-Unis, les expressions les plus évidentes de l’antisémitisme ont été éliminées à gauche tandis que, en même temps, le soutien à BDS se généralisait. Bien que cette élimination traduise une certaine amélioration, on entend maintenant plus souvent des antisionistes nier tout simplement que l’antisémitisme existe dans leurs milieux.)
Ces débats continuent à perturber la gauche. En 2011 et 2012, le refus d’Occupy Wall Street d’expulser les antisémites de ses rassemblements, combiné à la présence de conspirationnistes et à l’intérêt porté au mouvement par les groupes nationalistes blancs, a suscité des critiques dans les médias. En 2019, le tweet de la députée au Congrès Ilhan Omar « It’s all about the Benjamins [4] » (allusion au lobbying financier, au Congrès américain et aux soutiens d’Israël) a créé un énorme scandale. Et l’antisémitisme au sein du Parti travailliste britannique – y compris la négation de la Shoah – a été la source de nombreuses discussions, qui ont également fait éclater une polémique ouverte et continue. Cela a conduit le principal rabbin britannique (Mirvis) à dénoncer le Parti travailliste – intervention sans précédent. Beaucoup de gens accusent le Parti travailliste d’essayer de dissimuler le problème plutôt que de le traiter [5].

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Les critiques « incomplètes » du capitalisme

Notre quatrième axe de réflexion consistait à examiner comment la gauche a utilisé des critiques « incomplètes » du capitalisme. Ces idées n’étaient pas fondées sur une analyse systématique du capitalisme, qu’elle soit marxiste ou pas ; au contraire, elles attaquaient certaines parties du capitalisme tout en en laissant d’autres de côté. Parmi ces analyses partielles, on peut citer :

– les critiques centrées sur le capital financier à l’exclusion des autres secteurs, ou les attaques dirigées uniquement contre les banques centrales ou les « banquiers internationaux ».

– les analyses des systèmes complexes fondées sur la personnification d’individus ou d’entités spécifiques. Cela inclut les critiques des dynasties bancaires en général, et des banquiers juifs en particulier.

– la dénonciation de pays spécifiques censés incarner des fonctions systémiques comme l’impérialisme, tout en refusant de mentionner les actions néfastes comparables d’autres pays.

Exemples

Charles Coughlin, le célèbre prêtre antisémite qui utilisa la radio dans les années 1930, est l’exemple classique d’un idéologue dont les attaques contre le capital financier se sont ensuite transformées en un antisémitisme ouvert. Pendant des années, il critiqua les banques et défendit l’idée d’un capitalisme qui réduirait le pouvoir de la finance. Mais, à l’été 1938, son discours passa de la dénonciation des banquiers en général à l’attaque des « banquiers juifs » en particulier [6].

Le mouvement Occupy Wall Street a également personnifié le capitalisme en dénonçant des individus, comme le 1% et les « banksters ». L’engagement du mouvement dans cette perspective et son refus de créer des frontières idéologiques – combinés à la présence d’antisémites affichés et d’antisémites qui utilisent un langage codé dans leurs rangs, et de divers groupes antisémites faisant l’éloge du mouvement et cherchant à travailler avec lui de diverses manières – ont causé bien des maux de tête à ceux qui participaient à ce mouvement de protestation. Son incapacité à réagir de manière adéquate a laissé la porte ouverte à un large éventail de critiques [7].

La propagande fondée sur la personnification vise souvent des banquiers juifs. La famille Rothschild a été une cible favorite depuis le XIXe siècle, et récemment le nom de George Soros est utilisé pour personnifier les tares du système bancaire.

L’anti-impérialisme vulgaire en général considère certains pays spécifiques comme des problèmes, par opposition à une analyse systémique de l’impérialisme. Au lieu de dénoncer un système mondial d’exploitation, ils affirment que les États-Unis en particulier posent problème. Dans cette optique, les caractéristiques spécifiques de certains pays sont considérées comme étant la cause profonde du problème plutôt qu’un système plus vaste.

L’exemple le plus évident nous est fourni par l’anti-impérialisme grossier : celui-ci considère que tout ce que font les États-Unis est de l’« impérialisme », alors que des actions comparables de pays comme la Chine et la Russie sont jugées sans importance, ou du moins « non impérialistes ». On attribue souvent à Israël un rôle démesuré dans la politique mondiale, et on le décrit souvent comme la « tête de pont » de l’impérialisme, et/ou sa cheville ouvrière. Cela justifie l’immense attention qui lui est accordée, et Israël est donc souvent traité comme le « Juif des nations » : la dénonciation traditionnelle des Juifs comme bouc émissaire pour les problèmes économiques ou politiques est déplacée vers Israël qui sert de bouc émissaire sur le plan international [8]. Tout comme on a appelé l’antisémitisme le « socialisme des imbéciles », ce type d’antisionisme a été surnommé « l’anti-impérialisme des imbéciles ».

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Le soutien à des organisations antisémites

Nous avons également examiné comment des groupes de gauche occidentaux soutenaient – directement ou indirectement – des organisations islamistes antisémites au Proche-Orient (en particulier le Hamas et le Hezbollah), ainsi que des groupes nationalistes noirs antisémites aux États-Unis (comme la Nation de l’Islam et le New Black Panther Party).

Puisque la gauche, et les socialistes libertaires, refusent de soutenir, par exemple, les groupes islamophobes ou nationalistes blancs, pourquoi devrions-nous soutenir des groupes antisémites ? Les anarchistes occidentaux étaient plus disposés à soutenir certains mouvements islamistes au Proche- et au Moyen-Orient qu’à soutenir des communistes laïques ! C’était tout ce que je détestais dans le marxisme-léninisme, et c’est pourquoi j’avais rejoint l’aile socialiste libertaire de la gauche radicale.

De mon point de vue, le mouvement anarchiste américain avait maintenant bouclé la boucle. (En fait, je me suis rendu compte plus tard que cette position pro-nationaliste oscillait comme un pendule, qui allait et venait. Je m’étais engagé dans ces milieux lorsque le nationalisme était passé de mode, et maintenant il revenait en force, encouragé par les changements dans le milieu anarchiste lui-même après Seattle).

Exemples

La plus grande partie de la gauche considère que l’antisémitisme des groupes laïques et islamistes au Proche- et au Moyen-Orient et en Afrique du Nord n’est pas préoccupant. Comme on me l’a dit à plusieurs reprises, exprimer ce genre de critique est censé être interdit parce que « Tu n’as pas le droit de dire aux opprimés comment résister au colonialisme » et que « C’est juste une réaction au sionisme. » Cela s’étend à des groupes comme le Hamas, le Hezbollah et le Fatah. Je ne comprends pas comment l’occupation de la Cisjordanie peut pousser quelqu’un à croire que le sionisme contrôle le monde par l’intermédiaire des Rotary Clubs, mais apparemment cela a du sens pour certains. (Cette affirmation figure en fait dans la Charte du Hamas, leur document idéologique de base.)

Cette carte blanche existe également aux États-Unis, notamment pour les groupes noirs et musulmans. Cette protection touche non seulement l’antisémitisme du Black Panther Party et de Malcolm X [9], mais s’étend activement aujourd’hui à des groupes comme la Nation of Islam et le New Black Panther Party. Louis Farrakhan, explicitement antisémite, a été à plusieurs reprises au centre de polémiques où les progressistes ont refusé de se dissocier de lui, y compris la polémique autour de la Marche des femmes, qui dure depuis des années [10].

La sixième question que nous avons examinée est celle du deux poids, deux mesures, notamment en ce qui concerne le droit des peuples à l’autodétermination. Cela commence ici par des questions fondamentales comme : Que sont les Juifs ? Comment la gauche traite-t-elle les groupes opprimés ? Qu’est-ce que la doctrine du « droit des peuples à l’autodétermination », donc qu’est-ce qu’une « nation » et que signifie « l’autodétermination » d’un peuple ?

Exemples

La gauche socialiste considère les Afro-Américains comme une « nation », et soutient les nationalistes qui veulent former un nouvel État racial. Alors pourquoi s’oppose-t-elle si fortement à des courants identiques dans le nationalisme juif ? Ceux d’entre nous qui étaient profondément antinationalistes et rejetaient souvent la doctrine du « droit des peuples à l’autodétermination », étaient perplexes devant le deux poids, deux mesures torturé de la gauche : d’un côté, elle soutenait le nationalisme afro-américain de la « Black Belt » et l’esprit de revanche des Amérindiens ; de l’autre, elle avait une position extrêmement hostile à la doctrine comparable du sionisme.

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Les anti « ismes »

La gauche a l’habitude d’observer la façon dont des idéologies (marxisme, anarchisme, sionisme ou libéralisme) changent et se développent au fil du temps. Mais elle est souvent aveugle au fait que l’« anti-impérialisme » et l’« antisionisme » (et, d’ailleurs, aussi l’« antifascisme ») ne sont pas simplement des oppositions tactiques à des projets politiques, mais des idéologies autonomes dont l’histoire et le développement spécifiques doivent être analysés.

L’antisionisme et l’anti-impérialisme, en particulier, sont partagés par des courants sensiblement différents ; par exemple, certains s’opposent à Israël parce que les Juifs contrôlent la mosquée d’Al-Aqsa, tandis que d’autres le considèrent comme un État raciste et un régime d’apartheid. Certains considèrent les Israéliens comme des nazis, tandis que d’autres s’allient ouvertement avec les néo-nazis actuels contre Israël. Certaines formes d’antisionisme et d’anti-impérialisme sont conspirationnistes et antisémites. Souvent, elles sont fondées sur des stéréotypes dualistes, notamment sur la diabolisation de leurs opposants et l’éloge immodéré de leurs héros, fréquemment sur un mode manichéen [11].

L’antisionisme est présent dans des idéologies politiques très variées. Par exemple, l’antisionisme de gauche se retrouve chez les anarchistes, les socialistes, les communistes et les pacifistes. A droite, on le rencontre chez les néonazis, les paléo-conservateurs, les libertariens et les complotistes d’extrême droite. L’antisionisme est un pilier des mouvements islamistes, de l’« islamisme modéré » sunnite des Frères musulmans au djihadisme salafiste d’Al-Qaida, en passant par les islamistes chiites du régime iranien et du Hezbollah.
L’antisionisme offre un ciment idéologique entre divers nationalismes ethniques et raciaux, notamment chez les Palestiniens, les Afro-Américains, les partisans du panarabisme et du baasisme, les nationalistes écossais et bien d’autres. Et, bien sûr, l’antisionisme prospère également dans différents courants politico-religieux, y compris les courants musulmans, chrétiens et parfois même juifs.

L’anti-impérialisme est une idéologie encore plus malléable. En fait, il ne constituait pas un pilier de la pensée de gauche à ses débuts ; par exemple, les conceptions de Marx et Engels sur le colonialisme et l’impérialisme – leurs premiers écrits n’y étaient pas toujours opposés – sont différentes de celles de la génération des socialistes à l’époque de Lénine et après [12].

L’antisionisme et l’anti-impérialisme conspirationnistes servent parfois à jeter des ponts entre la gauche et la droite. Par exemple, Alison Weir s’est fait connaître en régurgitant des récits antisémites d’avant-guerre qu’elle a déguisés en un discours antisioniste. Et elle avait un solide réseau de partisans à gauche comme à droite. À Eugene, dans l’Oregon, un groupe favorable à la paix et à la justice en Israël/Palestine a profondément assimilé la politique des antisémites et des nationalistes blancs en adhérant à l’une des théories conspirationnistes sur le « lobby israélien [13] ». Les séparatistes noirs et blancs sont souvent liés par un antisémitisme commun, de même que l’antisionisme lie la gauche laïque occidentale et les islamistes au Proche- et au Moyen-Orient. Cela a même conduit des néonazis à s’adresser à des organisations palestiniennes, et des militants de la gauche laïque à faire des propositions d’action commune aux islamistes. Hitler a créé un précédent clair en s’alliant avec le grand mufti Amin al-Husseini, le chef religieux musulman de la Palestine, sous le mandat britannique. Pendant la seconde guerre mondiale, le mufti a rencontré Hitler et a également aidé à recruter une division SS de musulmans bosniaques [14].

La gauche ne cherche pas à comprendre les différences entre les antisionismes spécifiques défendus par les différentes factions palestiniennes (ou d’autres courants politiques dans la région, comme le Hezbollah), ni la façon dont sa vision sur le sionisme a changé. En particulier, la gauche n’analyse pas l’antisionisme laïque diffusé par de nombreux acteurs palestiniens et qui influence l’antisionisme occidental. Dans les années 1950 et 1960, une vague d’« antisionisme », qui était en réalité une campagne antisémite à peine codée, a balayé les pays du bloc de l’Est, dont l’Union soviétique, la Tchécoslovaquie et la Pologne. Il n’y avait pas de « sionistes » dans des pays comme la Pologne – seulement des Juifs. Par exemple, en 1967, la Pravda affirma que les États-Unis étaient une « colonie sioniste [15] ».

S’adressant aux partisans de l’OLP, un conférencier soviétique populaire déclara : « Quatre-vingt pour cent de l’économie des nations non communistes sont concentrés entre les mains des “capitalistes sionistes”. 95% des efforts de propagande entrepris dans le monde capitaliste sont concentrés entre les mains des sionistes, 99% aux États-Unis. [16] »

Ce cadre de pensée a ensuite été adopté par l’OLP et d’autres militants de gauche laïques dans les années 1960 et 1970, qui étaient soutenus et formés par l’Union soviétique et étaient en conflit avec les véritables sionistes. A partir de là, cette idéologie a pris son envol et mené sa propre existence. Aujourd’hui, elle existe aux côtés d’un antisionisme islamiste, fortement influencé par les efforts de propagande nazis dans les années 1930 [17].

Cela a pris les courants antisémites en tenailles ; les antisionismes des religieux musulmans et de la gauche laïque en Palestine ont été respectivement influencés par les antisémitismes nazis et staliniens. (Le tout s’ajoutant à l’antisémitisme chrétien au Proche- et au Moyen-Orient, comme en témoigna l’« affaire de Damas » en 1840, à l’occasion de laquelle un certain nombre de Juifs furent accusés d’avoir tué des enfants chrétiens à des fins rituelles.)

Les idéologies circulent, même entre des groupes de personnes éloignées politiquement ; parfois elles sont opposées, comme lorsque l’anti-impérialisme laïque de gauche occidental a influencé Al-Qaïda. Les historiens ont montré que de nombreux courants antisionistes du Proche- et du Moyen-Orient sont influencés par l’antisémitisme européen. Et l’antisionisme occidental est influencé par l’antisionisme arabe – explicitement dans le cas du mouvement BDS, qui, pour des raisons de légitimité, prétend être né des appels de la société civile palestinienne [18]. Cela ne devrait-il donc pas susciter une réflexion sur l’idéologie antisioniste elle-même, pour en comprendre les racines, les hypothèses et les implications ?

Le sionisme lui-même est généralement présenté comme une idéologie monolithique. Quiconque creuse un peu l’histoire du conflit israélo-palestinien verra se dissiper immédiatement l’image caricaturale peinte par les antisionistes occidentaux ; il en sera de même s’il fait l’effort de lire les analyses classiques du sionisme. Ce dernier a rassemblé des courants très différents, du sionisme culturel au sionisme anarchiste, en passant par le sionisme ouvrier et les révisionnistes. Et aujourd’hui, cette diversité d’opinions a été renforcée par l’existence de nombreux points de vue différents sur ce qu’est Israël et sur la manière dont la communauté juive mondiale devrait l’aborder. De même qu’il y a beaucoup de sionismes, il existe aussi beaucoup d’antisionismes.

Comme Noam Chomsky l’a raconté lui-même, avant 1948, il était partisan d’un Etat binational – c’est-à-dire un État unique et indépendant établi sur le territoire de toute la Palestine, alors sous contrôle britannique, et qui correspondrait aujourd’hui à Israël, Gaza et la Cisjordanie. Sa position de l’époque était alors une forme de sionisme, puisqu’il préconisait une présence juive dans cette région et l’identification à celle-ci. Il a toujours défendu la même orientation, et aujourd’hui la revendication d’un Etat binational est considérée comme… antisioniste [19] !

Enfin, il n’y a pas seulement le mouvement sioniste réel – avant et après la création d’Israël – mais il existe aussi de nombreuses définitions différentes de ce que l’on appelle le « sionisme ». Pour certains, les « sionistes » sont les partisans du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et ceux qui sont à sa droite, qui veulent absorber tous les territoires occupés pour créer un Israël dans lequel seuls les Juifs ont des droits complets. Pour d’autres, les sionistes sont ceux qui pensent que les Juifs de la diaspora devraient s’identifier à Israël. Pour d’autres encore, sont sionistes ceux qui pensent qu’Israël devrait rester un État juif – même avec un État palestinien à leurs côtés. D’autres encore l’utilisent pour étiqueter toute personne qui s’oppose à l’antisémitisme à gauche. Et des antisémites comme David Duke l’utilisent comme un simple mot codé pour désigner les Juifs. Nous ne nous trouvons donc pas seulement face à des courants sionistes réels fondamentalement différents, nous avons aussi affaire à des politiques et des identités différentes qui sont appelées « sionistes » par leurs adversaires. Benjamin Franks a recensé au moins dix usages de ce terme [20].

On pourrait ajouter beaucoup d’autres points à la liste de Frank. Ses dix points sont : 1) Pour les antisémites, « sioniste » est un synonyme de Juif ; 2) pour certains « fondamentalistes juifs », ce mot désigne la promesse biblique aux Juifs ; 3) pour d’autres fondamentalistes juifs, le sionisme est un projet profane et laïque qui vise à restaurer ce que seul le Messie peut accomplir ; 4) pour de nombreux marxistes, il s’agit d’une forme d’impérialisme ; 5) pour les socialistes sionistes, c’est un projet anti-impérialiste ; 6) pour les Juifs partisans d’une « autonomie culturelle extraterritoriale » comme Simon Doubnov, le sionisme était une tentative non nationaliste de créer des communautés autonomes ; 7) pour les Juifs fuyant les persécutions antisémites, c’est simplement un lieu où ils ont pu se réfugier et qui est contrôlé par les Juifs ; 8 ) pour les « nationalistes juifs », ce terme désigne « le mouvement de libération nationale du peuple juif » ; 9) pour certains Palestiniens, le sionisme n’est que l’action de l’État israélien ; 10) « pour les individus confus et perplexes, le sionisme désigne seulement les actions d’un gouvernement israélien particulier. L’antisionisme signifie simplement “s’opposer à ces politiques” et à ce gouvernement particulier ».

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SPENCER SUNSHINE

Extraits de « Comment la gauche anglophone perçoit l’antisémitisme » (2020)  »

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