En octobre dernier, je suis allé à Sainte-Soline à l’appel des Soulèvements de la terre, de la Confédération paysanne et de certains partis politiques. Malgré la présence des démocrates (LFI, EELV, NUPES, CGT, Solidaires, YFC, NPA, …), je m’y suis rendu avec la sincère conviction qu’on allait essayer de saboter le chantier d’une « méga-bassine », d’attaquer les engins, bref, d’empêcher que les travaux puissent reprendre. En fait, les machines n’étaient plus là depuis quelques jours avant notre arrivée. Je suis arrivé le vendredi soir, la manif était prévue le lendemain. On m’a indiqué là où j’avais le droit de poser ma tente et là où je n’avais pas le droit. Le samedi, des tracts ont été distribués, ils expliquaient qu’il y aurait trois cortèges, avec une couleur pour chacun. Le rouge, le vert et le blanc. C’était un peu présenté comme un jeu. On comprenait que le blanc c’était pour les personnes sages, qui voulaient rester tranquilles, et que les deux autres avaient des stratégies différentes. Mais si on n’assistait pas aux réunions très privées et très select, on n’en savait pas plus. Dans ces réunions, c’était pas très clair non plus. Chez les rouges, quelques uns disaient qu’ils donneraient des signaux, et qu’il faudrait les suivre. La stratégie avait l’air déjà pensée. Chez les verts, il n’y avait pas de décideurs apparents. En gros, les blancs allaient tranquillement tout droit, les rouges contournaient par la droite, et les verts par la gauche, pour arriver au même point : la bassine, là-bas, on détruit tout. (Tout = quelques grilles, parce que la bassine, c’est un trou.)

Donc on est parti avec l’impression d’être à la fois organisé, et à la fois, pas trop. C’est quand ça a commencé qu’on a eu l’impression de comprendre. Moi j’étais chez les verts. Il y avait quelques personnes avec un méga, des talkies et des téléphones. Elles, elles nous guidaient, elles nous disaient où aller. « Il faut s’étaler face aux fics ! Comme ça ils auront besoin de plus d’effectifs » « Allez on les contourne par la gauche ». En gros, en évitant l’affrontement direct et en les contournant, ils devaient envoyer plus d’effectifs de notre côté, comme ça les rouges avaient un peu plus la voie libre, et eux, ils pouvaient aller à l’affrontement. En tous cas, c’est comme ça que j’ai compris les choses. On se déplaçait en bloc, parmi nous, certain.es filmaient. Je me sentais comme un pion. C’était assez frustrant. Au final, je sais pas trop comment, mais à force de les contourner, on est arrivé face à la bassine, après tout le monde. On a quand même réussi à provoquer quelques moments marrants. On nous a dit que de leur côté, les rouges avaient réussi à faire tomber des grilles sur l’aile droite pour que certains puissent entrer dans la bassine, avant de s’en faire sortir. Les blanc, eux, sont arrivés tout droit et sans encombre. Donc on était maintenant toustes face à la bassine (rouge, vert, blanc). On a formé de nouveaux blocs. Les gendarmes étaient à quelques dizaines de mètres de nous, la bassine dans leur dos. On a développé toute notre stratégie offensive. On était bien rangés derrière les banderoles, compacts, et on essayait d’avancer. (Pourquoi faire ? Retourner sur la bassine vide ? Sauter sur les 2000 gendarmes armés jusqu’aux dents en face de nous ? Par amour du combat ? Par orgueil?) En fait, on n’y arrivait pas, on en prenait plein la gueule (pluie de grenades désencerclantes, lacrymo, LBD). Les caméras filment toujours. Il n’y avait plus aucun rapport de force possible. Ils avaient tout, et nous presque rien (mortiers, cailloux), sauf qu’en plus, maintenant ils étaient prêts, organisés, dans une configuration d’affrontement qu’ils connaissent, dont ils ont l’habitude, qu’ils apprécient. Un combat presque militaire, avec deux blocs qui se font face et un qui essaie de gagner du terrain. Sauf qu’à la guerre, quand deux blocs se font face, les deux sont armés.

Alors, une voix dans un méga a dit qu’on faisait demi-tour, que c’était fini. De toutes façons, toutes les belles images avaient été capturées. (Puis travaillées, montées, mises en musique, étalonnées, le son mixé, ensuite largement diffusées.) On est rentré célébrer notre victoire.

06 mars 2023

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