Alors que l’année 2022 – celle de « la fin de la pandémie » – se termine sur une une cinquième vague de COVID-19 en un an, transposer les questionnements de cet article américain au contexte francophone ne rencontrera aucune difficulté tant le silence complice des journaux et revues de gauche sur les ravages de la pandémie pour les classes populaires et racisées est une fois de plus assourdissant.

Aujourd’hui, The New Republic a choisi de publier un article sur le COVID long. En ce moment, alors que des millions de personnes continuent d’être handicapées par cette maladie, le public aurait besoin de plus de reportages sur le sujet. Peu de gens semblent savoir que le COVID long existe ; celleux qui le savent pensent que c’est rare ou qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Tout cela est scientifiquement inexact, mais cela n’a pas empêché The New Republic de publier aujourd’hui un article trompeur et minimisateur suggérant que le COVID long pourrait être psychologique. Bien que l’article prenne acte des nombreuses études qui démontrent des changements biologiques chez les patient·es, il contredit ensuite sa propre critique du diagnostic historiquement misogyne d’ »hystérie » en affirmant qu’ »une maladie chronique qui semble avoir été déclenchée par une infection virale pourrait tout aussi bien avoir été déclenchée par le traumatisme de la pandémie elle-même ».

Il s’agit d’une affirmation dangereuse et sans fondement à un moment où les ramifications du handicap de masse ne deviennent que trop évidentes, et d’une affirmation qui a été employée au profit de ce gouvernement et du capital pendant trop longtemps.

Quelques faits pour commencer : Le COVID long est une conséquence courante de l’infection par le COVID-19, et la vaccination ne réduit que légèrement le risque. Les études ont révélé une très grande variation de l’incidence ; certaines ne dépassent pas 5%, d’autres 50% ; nous pouvons attribuer cela aux contours incertains de ce qui constitue actuellement le COVID long.

L’idée, cependant, qu’il n’existe pas de biomarqueurs ou d’indicateurs permettant aux médecins de détecter le COVID long est à la fois caduque et préjudiciable. Nous avons largement dépassé le débat sur une explication « psychologique », et une vague de maladies handicapantes de cette ampleur ne ressemble et ne ressemblera à rien de ce que nous avons vu auparavant. Le langage utilisé dans l’article de The New Republic utilise des arguments contradictoires pour jeter le doute sur la crise tout en paraissant impartial aux yeux de la communauté des personnes valides volontairement ignorante.

De nombreu·ses patient·es atteint·es de COVID long présentent un dysfonctionnement endothélial – la paroi des vaisseaux sanguins est endommagée – et ont des microcaillots dans le sang. Les patients·e COVID long présentent une raréfaction capillaire, des caillots, un risque élevé d’événements vasculaires (comme une crise cardiaque ou un accident vasculaire cérébral), des problèmes de circulation, des évanouissements et une intolérance à l’exercice.

De nouvelles études montrent que les patients·e COVID long présentent une persistance virale, ce qui signifie que le COVID n’a pas été éliminé du corps, mais continue de persister dans des organes où le système immunitaire ne peut pas l’éliminer. Pensez au VIH, au HPV (papillomavirus humains) ou à d’autres virus qui persistent dans l’organisme et causent des problèmes de santé des années plus tard. Comme dans le cas du VIH, cette persistance virale semble provoquer une activation immunitaire persistante qui conduit à un dérèglement du système immunitaire et à l’épuisement des cellules T. Nous ne savons pas à quel point les effets sur le système immunitaire sont fréquents chez les patients COVID et post-COVID, mais le Dr Leonardi, un expert des cellules T, soutient depuis au moins l’été 2020 qu’ils pourraient, de manière terrifiante, être universels.

Le COVID long conduit-il à la mort au fil du temps ? Nous n’avons pas encore de réponse, mais oui, certaines analyses suggèrent que c’est possible.

Le risque de COVID long – ou de toute autre complication grave – augmente à chaque réinfection par le COVID. (Je dois mentionner qu’il est possible que le « COVID long » ne soit que la manifestation de la persistance virale du COVID, et que les personnes qui n’ont manifesté aucun symptôme post-COVID ne sont pas nécessairement hors de danger ; nous devons examiner dans quelle mesure la persistance virale est répandue dans le grand public, et ce travail est en cours).

Si l’on rassemble quelques éléments d’information, à savoir que le COVID long est une maladie grave, qu’elle est fréquente et que le risque de CL augmente à chaque réinfection, on obtient un tableau assez sombre. Il s’agit d’un tableau où tout le monde se rapproche de cette maladie grave et du handicap au fil du temps.

Je suis sûr que beaucoup de celleux qui n’ont pas suivi les études en cours sur les effets post-COVID (y compris le COVID long, le risque élevé d’accident vasculaire cérébral et de crise cardiaque, et les défaillances d’organes) considéreront cet article comme une propagande alarmiste. La réalité est que nous en savons suffisamment pour savoir que laisser ce virus se propager continuellement au sein de la population est un pari insensé et que de nombreux éléments indiquent que nous avons déjà perdu ce pari.

Tou·tes celleux qui lisent les nombreuses études qui mettent en évidence les graves conséquences à long terme d’une réinfection continue par le COVID savent que l’approche « laisser faire » ne tiendra tout simplement pas sur le long terme. Alors pourquoi ne voit-on pas de signaux d’alarme dans la presse ? Il se trouve qu’il y a un secteur de l’écosystème médiatique qui se préoccupe de cet événement sans précédent de handicap de masse : ce sont les journaux financiers.

Un aperçu ci-dessous :

WSJ  : Des scientifiques affirment que l’une des clés du Covid long est que le virus persiste dans l’organisme.

Bloomberg  : Le Royaume-Uni affirme que le Covid long peut expliquer une grande partie de la hausse du taux de chômage.

Financial Times : Covid long : la crise de santé publique invisible qui alimente les pénuries de main-d’œuvre.

CNBC : Le Covid long pourrait être « la prochaine catastrophe de santé publique » – avec un impact économique de 3,7 trillions de dollars rivalisant avec la Grande Récession.

FORTUNE : Les entreprises ne se sont pas attaquées au problème du COVID long sur le lieu de travail et elles en paient le prix.

CNBC : Les ravages financiers du COVID long : 8 000 $ de dettes, plans de retraite ruinés

Washington Post, Business : Le handicap de masse par le COVID long menace l’économie

Malheureusement, alors que les vies humaines sont mises de côté par la droite comme par la gauche, la seule partie de l’échiquier politique qui s’inquiète de l’invalidité croissante du public est constituée par les employeurs qui réalisent qu’ils sont en train de perdre du capital humain.

Ces titres montrent clairement pourquoi et dans quel contexte la presse économique s’intéresse aux êtres humains : dans le contexte de leur capacité à servir de travailleur·euses pour le capitalisme. Encore et encore, les titres du WSJ et de Fortunemettent en garde contre la situation économique désastreuse à venir, les pénuries de main-d’œuvre généralisées dans toutes les industries de première ligne, et les rapports sur l’emploi qui montrent un nombre record de travailleur·euses en arrêt de travail pour cause de maladie de longue durée. Le Covid long est urgent non pas à cause de notre souffrance, mais à cause de notre incapacité à travailler.

Le fait que la presse économique soit en avance parce qu’elle accorde plus de valeur à ses employés que nous n’en accordons à nos voisins est une honte pour le mouvement émancipateur. Où sont les voix des patient·es COVID Long dans The New Republic ? Pourquoi les journalistes handicapés ne sont-ils pas ceux qui couvrent cet événement handicapant de masse ? Pourquoi la gauche répète-t-elle la désinformation qui disculpe nos politicien·nes ? Pourquoi se rabat-elle sur une vision eugéniste du monde selon laquelle si vous n’êtes « pas en bonne santé », vous devez rester chez vous ou mourir ? Pourquoi parlons-nous des grèves et des congés de maladie, sans jamais oser mentionner la cause évidente de la pénurie permanente et généralisée de travailleur·euses de première ligne ?

Je n’ai même pas mentionné les magazines socialistes comme Jacobin ou Current Affairs, parce qu’ils n’ont même pas parlé de la mort massive et de la normalisation de l’exclusion des personnes handicapées de la vie publique ces derniers temps. Jacobin est occupé à décortiquer quels super-héros sont les plus fascistes et si You’ve Got Mail, un film sorti dans les années 90, est néolibéral. Pas le temps de s’intéresser à cette épidémie qui ne se produit qu’une fois dans une vie et qui tue des centaines de personnes chaque jour – la majorité d’entre elles étant désormais vaccinées.

Il y a des questions plus larges à poser au mouvement émancipateur ici qui vont bien au-delà du COVID long. La haine pure et simple dirigée contre les personnes handicapées en ce moment est évidente même dans les cercles de gauche, où les gens se sont mis à ricaner à la façon des républicains trumpistes lorsque les masques sont mentionnés.

Des refrains familiers comme « les masques ne marchent pas », « les masques sont mauvais pour vous », « nous ne pouvons pas vivre comme ça pour toujours » et « c’est trop dur », se répandent soudainement parmi les mêmes groupes qui ont traité les républicains de meurtriers psychotiques pour ces mêmes discours. Pour rappel, je continuerai à porter un masque tant qu’il sera nécessaire de le faire, et non pas « jusqu’à ce que je sois fatiguée ». La solidarité toujours, et non pas la solidarité tant que c’est confortable.

Malheureusement, si l’on continue dans cette voie, le handicap attend beaucoup de celleux qui sont si prompt·es à déclarer que les personnes handicapées doivent simplement s’isoler de la société à perpétuité.

Il n’est guère surprenant de voir les démocrates de l’establishment qui soutiennent Biden se ranger derrière les arguments de maintien du statu quo « Le COVID est terminé » et « Le COVID long n’est pas réelle ». Lorsqu’il est devenu évident qu’une approche uniquement vaccinale ne pouvait pas mettre fin à la pandémie, notre stratégie COVID aurait dû pivoter ; au lieu de cela, l’administration Biden a persisté dans sa démarche et, ce faisant, a commencé à diffuser des informations erronées, à l’instar de l’administration Trump avant elle. Il est typique que les électeurs et les journalistes démocrates reprennent mot pour mot les communiqués de presse de la Maison Blanche au service du récit du parti.

Mais les militant·es de gauche sont censés critiquer la politique et les politiciens dominants. Nous sommes censé·es remettre en question les récits que nous vendent les Joe Bidens et les Donald Trumps, les Fox News et les CNN du monde entier. Nous sommes censé·es nous tenir aux côtés des groupes marginalisés – les personnes handicapées, les personnes âgées, les enfants, les personnes immunodéprimées – et réclamer justice, même face à de très grandes difficultés. Et nous ne devons certainement pas accepter sans sourciller une « nouvelle normalité » qui expose chacun·e d’entre nous à un risque élevé d’invalidité prolongée.

Une gauche qui avale si facilement les justifications sans fondement de la mort et du handicap de masse pour notre confort et notre convenance n’a rien d’une gauche. Nous méritons mieux de nos camarades, de nos journalistes et de nos ami·es.

Julia Doubleday, paru le 8 décembre 2022 sur The Gauntlet, une newsletter sur les infos et les commentaires à propos du COVID.

— Voir également :

Vivons nous dans un monde où le patronat et la presse financière s’inquiètent plus de l’impact du Covid-19 sur la santé des gens que les organisations et média de gauche ?

Le Covid long fait perdre leur emploi à des millions de personnes

Il y a une peur d’accepter la réalité que le Covid est un événement handicapant de masse

https://iaata.info/Pourquoi-la-presse-financiere-fait-elle-mieux-que-la-gauche-sur-le-COVID-5614.html