Les tentacules de l’État nous enserrent

Il y a eu les fameuses amendes de 135 euros qui pleuvaient pendant le confinement visant, pour l’essentiel, les jeunes des quartiers populaires et leur familles sous prétexte de non respect des « règles sanitaires ». C’était déjà un petit bonheur policier : pas de procès, pas de défense, on se défoule directement dans les cités. Cette expérience a ouvert la voie à son élargissement à toute la population laborieuse. Avec la loi LOPMI de l’année dernière, le pouvoir a mis en action une tentacule de plus : l’ADF, amende délictuelle forfaitaire, pouvant aller jusqu’à 3000 euros, également délivrée sans contrôle judiciaire par les policiers et inscrite au casier judiciaire. La loi « séparatisme » adoptée en 2021, a également ouvert un nouveau champ de répression. Présentée comme une défense de la République contre les imams qui auraient attaqué la laïcité, ceux qui la dénonçaient ont été qualifiés « d’islamo-gauchistes », mais derrière ce rideau de fumée puant Macron et Co. visaient plus large. En réalité, comme l’explique un article de Médiapart, c’est la « désobéissance civile » qui est visée. Un exemple : la Préfecture du Nord s’attaque à une association loi 1901 qui a osé louer ces salles au collectif NADA, en lutte contre l’agrandissement de l’Aéroport de Lille. D’autres exemples prouvent que c’est bien ce mode d’action par nature pacifique des écologistes radicaux qui est visé. La colonne vertébrale de la loi est le CER, contrat d’engagement républicain. Ceux qui ne le respecteraient pas seront privés de subventions et de la possibilité de porter plainte contre l’État et des entreprises privées. Si la loi « séparatisme » était déjà appliquée, le procès Médiator contre Servier et le procès contre l’État pour non-respect du climat, intenté par Greenpeace, n’auraient pas existé. Le décret d’application de la loi va même plus loin en assimilant le non respect du CER à des possibles actions terroristes. Pour le moment le pouvoir n’a pas abattu toutes ses cartes. Mais méfions-nous et souvenons-nous. Le fichage ADN a d’abord été présenté comme visant exclusivement les pédophiles. Par cet argument, le pouvoir a fait taire tous les opposants qui craignaient son extension. Mais ce fichage a bien été étendu aux grévistes qui occupaient leur usine, aujourd’hui le refus de prélèvement ADN lors d’une simple garde à vue est considéré comme un délit punissable de prison. Avec la loi « séparatisme » l’État rajoute une nouvelle tentacule de répression à son arsenal. Elle est financière et extra-judiciaire. Elle va enrichir les outils répressifs en préparation : la loi Darmarin contre l’immigration, la loi anti-squat, anti-locataires et l’énorme dispositif répressif prévu pour les JO 2024. Seul le raz-de-marée qui se lève contre l’avenir de misère que Macron nous prépare pourra arracher toutes les tentacules de cet État répressif.

> [ C H R O N I Q U E D E L ’ A R B I T R A I R E ]

Le pouvoir a-t-il peur de sa propre police ? Lors du procès en cour d’assises intenté par Laurent contre le CRS qui a lui fait éclater un œil (voir RE 208) le procureur a demandé 2 à 3 ans de prison avec sursis et 5 ans d’interdiction de port d’arme. En demandant une peine, bien que légère, le représentant de l’État a reconnu que le CRS était bien coupable de la mutilation. Pourtant, après l’acquittement du CRS, le procureur n’a pas fait appel, confirmant ainsi l’impunité du mutileur. Voici ce qu’on appelle l’« État de droit » dans toute sa splendeur.

L’État a une peur panique des jeunes qui se mobilisent contre la loi sur les retraites Le 23 janvier en début de soirée une trentaine d’étudiants de l’EHESS décident d’occuper l’espace associatif du nouveau campus public-privé Condorcet à Aubervilliers pour en faire un lieu ouvert à la discussion. À peine le temps de déployer une banderole que les flics appelés par l’administration du campus débarquent en nombre, armés de matraques, LBD et gazeuses. Ils confinent les étudiants dans une salle jusqu’à minuit, puis les amènent menottés au commissariat de la Plaine Saint Denis où ils seront insultés, filmés au moyen des téléphones portables des flics et pour certains frappés et menacés de viol. Constatant que la violence des ces flics a déjà fait parler d’elle dans le quartier (notamment le 4 juin 2021 à l’issue de la veillée funéraire en mémoire de Yanis mort après avoir été pourchassé par la police), le collectif Stop Violences policières à Saint Denis a appelé à un rassemblement le samedi 4 février devant le comico de La Plaine. Le 19 janvier, premier jour de grosse mobilisation contre la loi sur les retraites, une centaine d’étudiants qui s’étaient réunis dans un amphi de la fac de Strasbourg après la manif avaient déjà été délogés par des CRS appelés par le président de l’université (qui assume). Cette nervosité est-elle aussi due au fait qu’avec l’ouverture du logiciel calqué sur Parcoursup pour trier les étudiants aspirant à s’inscrire en Master, la colère étudiante risque d’encore grossir ? L’avenir nous le dira.

Qu’on se le dise : à l’Éducation nationale, la violence est managériale En novembre dernier a été publiée l’enquête menée par des chercheurs en sciences sociales à l’initiative de l’Autonomie de solidarité laïque (qui, jusqu’à il y a 20 ans, prenait plutôt en charge des problèmes de violences de certains élèves à l’égard de profs) : 48 % des enseignants répondent non à la question « vous sentez-vous respectés par la direction de votre établissement ? », 78 % quand il s’agit de la hiérarchie hors établissement. Etre prof c’est donc être sous payé, surchargé de tâches toujours plus nombreuses, sans moyens pour enseigner dignement et maintenant harcelé et brutalisé par sa hiérarchie. C’est ce que démontre clairement le cas du lycée Mozart au Blanc Mesnil où les personnels ont appris oralement (pas de trace écrite) par la voix d’inspecteurs ce que pense d’eux le recteur de Créteil : les menaces, intimidations, insultes, incompétences de leur proviseur sont des « maladresses », les « tensions » dans le lycée sont uniquement dues à la « tradition de lutte » des profs qui osent encore se réunir en AG et communiquer sur leur maltraitance vers l’extérieur. Et peu importe (ou peut-être tant mieux ?) si les élèves de ce lycée jusque-là vendu comme excellent pâtissent à vue d’oeil de conditions de travail en dégradation constante. Après tout ce sont essentiellement des pauvres et des non-blancs.

La police a encore tiré et tué Le 22 janvier vers 20h dans le 11ème arrondissement de Paris un homme aurait menacé un chien avec son arme de poing. Il l’aurait ensuite pointé sur les deux flics en patrouille qui se sont approchés. L’homme leur est « semblé menaçant », ils ont alors tiré 4 fois sur lui. Il est mort. Une enquête a été ouverte, des témoins doivent être entendus mais saurons-nous un jour la vérité ?

Arrêtés anti-bruit pour faire cesser les cris de la lutte place de la République C’est le moyen qu’a trouvé le préfet de Paris Nunez pour harceler les manifestants : multiplier les arrêtés fixant un niveau sonore maximum sur la place les samedis et dimanche, verbaliser les organisateurs et saisir leur matériel de sonorisation. Il s’appuie sur les exigences du collectif « Vivre République », très actif sur les réseaux, qui avait transmis, en fin d’année 2021, au préfet de police et à la mairie une pétition demandant « l’interdiction des rassemblements statiques avec sonorisation le dimanche et l’interdiction pour toute association de manifester plus de quatre fois par an place de la République ». La LDH a déposé un recours contre ces décisions pour atteinte à la liberté de réunion.

Le traitement judiciaire des violences policières Quel nombre ? Quelles suites judiciaires ? Les chiffres en la matière se font rares, déjà en 2016 l’ONU épinglait la France pour sont absence de transparence. Rien jusqu’à la fin 2022 quand, à la demande du journal Politis, le bureau des statistiques du ministère de la Justice a communiqué les premiers chiffres sur le sujet. Des statistiques qui ne reflètent pas forcément la réalité. Les chiffres recensent les affaires de violences volontaires dans lesquelles sont mises en cause des « personnes dépositaires de l’autorité publique » (PDAP, cad policiers nationaux, municipaux, gendarmes, matons…), mais combien d’affaires sont oubliées, soit qu’il n’y ait eu de plaintes, soit que les auteurs n’aient pu être identifié ? Restent quelques constats assez parlants quand à la culture de l’impunité. Le nombre d’affaires ne cesse d’augmenter, 534 affaires en 2016, 836 en 2021. 3 PDAP sur 4 sont considérés comme « non poursuivables » par les procureurs, deux fois plus que la population générale. Quant à ceux qui ne bénéficient d’aucune excuse légale (enquêtes bâclées, motifs juridiques bidon…) près du quart ont pourtant fait l’objet d’« alternatives aux poursuites »… À lire sur https://www.flagrant-deni.fr/violences-policieres-la-justice-blanchit-mais-cache-son-chiffre-noir/

« La possibilité des dominations » En juin 2013 Mathieu Rigouste – chercheur spécialiste de la Police Française, militant contre les violences policières – intervient pour calmer une bagarre et est agressé par 3 agents de la BAC à Toulouse. Insulté, passé à tabac, menotté jusqu’à l’os, le poignet cassé… c’est pourtant lui qui était sur le banc des accusés le 5 janvier dernier, pour outrage et violences. Le délibéré a été fixé au 7 février. « L’État m’a tabassé parce qu’il en a le pouvoir » dans un texte publié à l’occasion il met à nu la machine répressive étatique. « Des policiers humilient, harcèlent, briment, contraignent, enlèvent, passent à tabac, déportent, torturent, mutilent, violent, incarcèrent et mettent à mort, principalement des prolétaires et des non-blanc-hes, des révolté-es et des révolutionnaires, parce que ce sont les violences que les classes dominantes jugent nécessaires pour régner et faire fonctionner les rapports sociaux de classe, de race et de genre. Mais aussi parce que c’est possible pour eux de le faire. Parce que des institutions leur permettent de le faire, les protègent et valident leurs pratiques. Parce que cette société est organisée de manière à ce qu’ils puissent passer à l’acte et continuer. » À lire sur https://iaata.info/La-possibilite-des-dominations-L-Etat-m-a-tabasse-parce-qu-il-en-a-le-pouvoir-5624.html

La police mutile À Paris le 19 janvier lors de la manifestation contre la réforme des retraite, coup de pression, la police provoque, coupe le cortège, charge… aux abords des photographes des médias filment la scène. Parmi eux un manifestant, Ivan, prend des clichés, appareil photo à la main. Les policiers chargent, dans un mouvement de recul Ivan tombe, un des policiers va plus loin que les autres sans autre explication et de tout son élan lui donne un coup de matraque dans l’entrejambe. Il repart tout aussi rapidement. Le jeune homme sera opéré le soir même et amputé d’un testicule. Il a porté plainte pour « violences volontaires ayant entraîné une mutilation ».

« Français·e·s – Immigré·e·s : même Macron, même combat ! » Le 18 décembre dernier la mobilisation contre le nouveau projet de loi asile et immigration a rassemblé des milliers de personnes dans plus de 50 villes dans toute la France. Après la mise en place du projet de loi en janvier sa présentation à l’Assemblée est prévue pour mars-avril. Alors que les réunions se succèdent dans différentes ville en France, la mobilisation s’organise. Extrait : « Infliger une défaite de grande envergure à Macron et Darmanin, redonner de l’espoir, repousser le racisme et isoler les fascistes, tout cela est possible. C’est maintenant ! Nous proposerons une date nationale de manifestations de rue en mars ! D’ici-là, le nombre et la diversité des actions, mobilisations, réunions qui permettront d’informer et de s’organiser contre la loi Darmanin sur les lieux de travail, les lieux d’étude, dans les quartiers, les foyers seront la clé ! » Infos et agenda à venir sur https://antiracisme-solidarite.org/

Les cameras de surveillance secrètes de la police En octobre dernier les usagers de l’espace autogéré des Tanneries et du Quartier Libre des Lentillères à Dijon ont découvert des appareils un peu particuliers au sommet de poteaux électriques. En fait deux dispositifs de vidéosurveillance camouflés dans des boîtiers filmaient en toute illégalité depuis plusieurs mois les rues, les zones de parking et les entrées piétonnes des lieux d’activités et de résidence. Des photos notamment de google street view montrent que ces cameras à globe orientable étaient présentes depuis au moins 2019 sur des périodes de plusieurs mois. Par ces agissements la police cible des lieux qui de par leur activité politique dérangent le pouvoir en place. Des méthodes qui niant l’intimité constitue des véritables violences. « Tout ceci cadre bien avec le glissement actuel opéré par le gouvernement qui tend à transformer toute opposition à ses politiques en opération criminelle, en association de malfaiteurs, en “éco-terrorisme”. » Ils appellent « à un rassemblement festif et un bal masqué contre l’espionnage de l’État envers ses opposant·es politique. » le 18 février 2023 à Dijon ! À lire sur https://dijoncter.info/surveillance-policiere-des-cameras-decouvertes-aux-tanneries-et-aux-lentilleres-4299

> [ A G I R ]

Vincenzo Vecchi Après que les cours d’appel de Rennes et Angers aient refusé l’application du Mandat d’Arrêt Européen émis par l’Italie, la décision de la cour de cassation de novembre 2022 renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Lyon le vendredi 24 février 2023 à 11h. Vincenzo Vecchi risque l’expulsion vers l’Italie et 12 ans de prison pour avoir manifesté à Gênes en 2001 (voir RE 184). Mobilisation à venir, soutien financier : https://www.comite-soutien-vincenzo.org/

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source : https://resistons.lautre.net/spip.php?article633

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