Pour celles et ceux qui n’auraient pas le courage de regarder la vidéo, voici en substance les idées défendues dans cet entretien, avec des remarques ponctuelles.

 

 

1) Intervention de Lordon  :

– Friot avancerait « une des propositions théoriques les plus fortes du débat contemporain ».

– Une objection qu’on peut faire à Friot, néanmoins : « l’objection du hamac » (explication : si chacun-e reçoit un salaire à vie de façon inconditionnelle, ça peut encourager la paresse)

– Un problème politique central selon Lordon : « qui va vider les poubelles ? »

– Pour Lordon, donc, « on n’en a pas fini avec la problématique de la mise au travail ».

– Lordon assume l’idée qu’il faut maintenir une division du travail dans la société post-capitaliste, qui ne sera pas nécessairement « harmonieuse », et qui n’aura pas supprimé toute violence (remarque : Spinoza assume en effet le fait que la politique est la guerre continuée par d’autres moyens ; il dira que l’état civil est la continuation de l’état de nature, lequel n’est pas purement harmonieux, dans un régime de servitude passionnelle ; Lordon est spinoziste, anti-rousseauiste, et assume le fait qu’il ne pourra exister de société post-capitaliste dénuée de violence ; le problème est que cet emprunt à Spinoza autorise chez Lordon la projection de catégories étatico-capitaliste violentes dans son idée d’un « post-capitalisme »).

– Lordon soulève un « tabou » : dans le post-capitalisme se posera encore le problème de la « mise au travail », et donc d’une forme de « coercition » nécessaire.

– Le « marché du travail capitaliste » serait aujourd’hui la forme coercitive ultra-violente pour la mise au travail. Problème selon Lordon : par quoi remplacer, dans le « post-capitalisme », cette forme coercitive qu’est le marché du travail ?(autrement dit : quelle formes coercitives « moins violentes » doit-on penser dans un contexte « post-capitaliste » pour « mettre au travail » les individus ? – car il faudra bien « continuer à vider les poubelles »).

– Selon Lordon, puisque l’idée d’un salaire à vie inconditionnel rencontre « l’objection du hamac », Friot doit se positionner clairement relativement à ces questions (« douloureuses mais réalistes ») de « coercition » et de « mise au travail ».

 

 

2) Réponse de Friot :

 

 

– Nos désirs d’agir ne seront pas nécessairement conformes à l’intérêt général.

– Le marché capitaliste impose l’insertion dans la division du travail de façon coercitive. Question : si l’on abolit le marché du travail capitaliste, comment développer la « mise au travail » ? (i.e. : comment penser une coercition travailliste « à visage humain » ?)

– Friot définit le capitalisme ainsi : valeur définie en fonction de la quantité de temps de travail ; propriété lucrative des moyens de production ; crédit (produire, c’est s’endetter) ; il veut abolir tout cela, mais en maintenant un « marché des biens », un « travail concret », une qualification du travail (définissant la « valeur » économique), une propriété d’usage, des institutions du salaire à vie, et un Etat national.

– Pour Friot, il faut aussi généraliser ce qui existe déjà, à titre d’institutions dites « anticapitalistes » (la sécurité sociale, par exemple). Friot franco-français (cf. Alain Bihr à ce sujet). Comme Lordon, d’ailleurs (lequel propose une « sortie de l’euro » pour la France).

– Friot est opposé à l’évaluation de ce que quelqu’un est « en train de faire » (comme boire une bière, discuter, méditer, faire une conférence, etc.), pour le rétribuer (réponse à « l’objection du hamac » ; on ne rétribue pas la paresse/l’inutilité avec Friot ; Lordon semble avoir mal compris le terme « inconditionnel » dans l’idée d’un salaire à vie « inconditionnel » ; Friot semble promouvoir la perpétuation d’une « économie désencastrée », quoiqu’on en pense ; il pourrait faire sienne cette sentence bien connue : « l’oisif ira loger ailleurs »).

– La hiérarchie des salaires fondera une coercition atténuée dans la société « post-capitaliste », pour une « mise au travail à visage humain » (l’expression n’est pas de Friot, mais elle exprime assez bien son idée générale) ; cette hiérarchie produira certes encore de la violence, mais cette violence sera moins importante que la violence du marché du travail capitaliste (remarque : Friot semble partager les postulats politiques spinozistes de Lordon, ici).

– La hiérarchie des salaires est un outil d’orientation des conatus vers des désirs collectivement définis par des « jurys de qualification » (ici, Friot réutilise les termes spinozistes de Lordon, pour lui faire plaisir)

– Si nous maîtrisons la valeur ; si la production de valeur est notre fait : on peut envisager des services civiques (mise au travail) ; un peu comme le service militaire auparavant (Friot donne cet exemple, puis se rétracte un peu) ; cette mise au travail ne relèverait pas de la contrainte marchande

  • Selon Friot, on trouvera des éboueurs si le fait d’être éboueur permet de monter plus vite en qualification.

  • Friot cite plusieurs institutions de la « valeur post-capitaliste » (sic) : entreprises (on inclut le secteur public) ; caisse des salaires (60% du PIB ira aux salaires à vie) ; caisse de gratuité (il faudra étendre le champ de la gratuité : non simplement santé et éducation, mais aussi transports de proximité, eau, logements, etc.) ; jurys de délibération (qui sanctionneront les niveaux de qualification) ; Friot envisage 4 niveaux de qualifications, qui induisent des salaires compris entre 1500 et 6000 euros.

– Friot précise : « je ne suis pas un macroéconomiste en train de faire des modèles » (remarque : il semble s’excuser d’être aussi précis dans sa définition d’une « organisation post-capitaliste », et devine peut-être qu’il pourrait « paraître autoritaire »).

  • Friot dit que nous allons supprimer le marché capitaliste, mais pas le « marché des biens » ; celui-ci va créer une mise au travail ; par exemple, si un individu fait quelque chose, mais que son activité ne rencontre aucun acheteur, il cessera son activité ; la sanction marchande restera un élément de mise au travail (mais ce « marché des biens » n’aura aucun rapport avec le marché capitaliste, attention : car avec Friot, la valeur ne dépend plus du temps de travail et de la propriété capitaliste, mais de la qualification du travail et de la propriété d’usage).

  • Pour Friot, on ne peut pas faire société en juxtaposant des autogestions ; et on ne peut pas faire société par la planification autoritaire (double échec) ; le salaire à vie serait une « troisième voie »

  • Friot envisage que les salariés du nucléaire pourront décider de s’auto-abolir, dans sa société du « salaire à vie » (laquelle met en avant la « propriété d’usage ») ; dès lors, une institution publique (Etat) devra compléter les institutions de la valeur ; le « peuple », la « nation », réclament une institution, l’Etat, qui par exemple pourra imposer la suppression de certaines entreprises.