Peter Gelderloos, auteur de Comment la non violence protège l’état : Essai sur l’inefficacité des mouvements sociaux, a eu une mauvaise surprise lors de son dernier voyage en France. Il a été informé peu de temps avant de venir promouvoir son livre qu’un des traducteurs qui avait participé à la publication de son livre, Nicolas Casaux, était ouvertement transphobe.
C’est pourquoi il a voulu lui répondre comme il sait le faire : en écrivant et en contrant son argumentaire nauséabond.

Peu de temps avant de partir pour mon séjour en France pour présenter la traduction de mon livre, Comment la non-violence protège l’état (How Nonviolence Protects the State) et L’échec de la non-violence (The Failure of Nonviolence), j’ai reçu des informations assez troublantes. Le traducteur du premier de ces livres pour la maison d’édition Editions Libre (il y a également une autre traduction faite par un collectif), Nicolas Casaux, a publié des articles transphobes, et a fondé avec les personnes d’Editions Libre, une branche de Deep Green Resistance en France. Aux Etats-Unis, DRG est connu pour ces position transphobes et autoritaires, et tou.tes les anarchistes et autres militant.es anticapitalistes que je connais refusent catégoriquement d’être assimilé.es à ce groupe. C’est également le cas pour les personnes qui luttent contre les écocides ou pour qui la principale lutte est dirigée contre la société industrielle.

J’ai été en mesure d’échanger avec les personnes d’Editions Libre à Paris et j’ai senti qu’iels étaient à l’écoutent de mes critiques. J’étais content d’apprendre qu’Editions Libre ne tient pas de position transphobe, que DRG en France se veut trans-inclusif et reconnait l’oppression des personnes trans, qu’iels ont publié un communiqué pour clarifier cette position, et que Nicolas Casaux a quitté l’organisation.

Même s’il est vrai que j’étais satisfait avec la réponse d’Editions Libre, je suis aussi conscient que je ne parle pour personne d’autre que moi et que chacun.e doit se faire sa propre opinion.

Je ressens le besoin d’aborder la position défendue par Nicolas Casaux. Je me référerais particulièrement à cet article : http://consciencesansobjet.blogspot.com/2017/12/les-enfants-transgenres-et-quelques.html

Dans cet article, Casaux commence par résumer comment la civilisation industrielle détruit la planète et exploite toutes formes de vies, humaine et autre. C’est un point de vu que je partage sans réserve, cependant j’ai tendance à l’exprimer en des termes différents. Après ça, Casaux fait un saut pour le moins étonnant. Qui, selon lui, est à l’avant-garde de la guerre des États contre la planète et ses habitant.es ? Les queers et les personnes trans… et il justifie cela en disant que : « les dirigeants politiques et corporatistes de la civilisation industrielle ont trouvé un allié et un atout dans le courant trans et queer » qui vont les aider à « atteindre leur objectif assumé de liquidation de l’espèce humaine ».

Il y a tellement de contre-vérité dans cette affirmation qu’il va falloir du temps pour démêler tout ça. Commençons avec la vision terriblement déformée de Casaux concernant les queers et personnes trans. Dans le titre ainsi que dans le paragraphe cité, Casaux tente de confondre « les personnes trans » avec les « transhumanistes ». Ceci est une manipulation. Même si des personnes peuvent être transgenre et transhumaniste, ces deux concepts n’ont pas grand-chose en commun à part pour le fait qu’ils partagent le même préfixe. Être transgenre n’est pas un « courant ». C’est simplement un concept vaste, imprécis et imparfait pour décrire les dizaines de millions de personnes sur cette planète qui n’acceptent pas le genre auquel iels ont été assigné.es à la naissance, ou qui ne peuvent pas se reconnaitre dans une définition binaire ou biologique du genre. Le genre est une construction sociale et dans les pays occidentaux, il est construit comme un système binaire. La signification qu’on associe à un genre change d’une culture à une autre, et d’une génération à la suivante. Un grand nombre de bébés sont opérés tous les ans, de toute évidence sans leurs consentements, afin de les faire correspondre à une des deux catégories de genre dites « naturelles ». Beaucoup de sociétés non-industrielles que Casaux dit admirer incluent une place pour la spiritualité avec des individu.es à deux esprits et autres représentations non binaires, où iels reconnaissent et accordent une légitimité aux personnes qui changent de genre pendant que d’autres n’assignent aucun genre avant l’entrée à la puberté. Des apports de l’archéologie démontre que des sociétés non-urbaines et non-industrielles pratiquaient la chirurgie de réassignation sexuelle comme elles pratiquaient l’odontologie.

Casaux ne reconnait rien de ceci. La seule intervention médicale qui l’inquiète, les bloqueurs de puberté, est consensuelle et relativement bénigne en termes d’effets nocifs sur la santé (nous y reviendrons plus bas). Pas un mot sur les mutilations sans consentement pratiquées sur les enfants dans toutes les maternités du monde occidental juste pour faire respecter sa supposé vision naturelle du genre, ni sur la diversité de genre dans les cultures non-occidentales qu’il idéalise dans sa forme pure et symbolique, d’une manière qui frise le racisme. Ses idées sur le genre ne reflètent pas une critique élaborée de la civilisation industrielle ; au contraire, elles reflètent un discours biologique essentialiste du XIXe siècle.

Il existe une myriade d’identités et d’expressions transgenre et seulement un petit nombre de celles-ci ont été assimilées et intégrées dans les pays capitalistes occidentaux. Dans l’ensemble, les personnes trans font face à un taux extrêmement élevé d’agressions, de harcèlement, de meurtres et d’exclusion sociale et économique.

Il n’y a aucune justification qui permettent de dire que les personnes trans ont une affinité particulière avec l’avant-garde du capitalisme technologique. Les personnes trans ont été parties prenantes dans tous les mouvements et combats sociaux y compris dans le combat contre la destruction de la planète. Aux Etats-Unis, le plus ancien prisonnier anarchiste, Marius Mason, est un homme trans poursuivi pour de multiple incendies criminels contre le genre de laboratoires de recherche génétique que Casaux présentent comme étant soutenues par la communauté trans. Marius a risqué sa liberté en combattant pour la terre, les sien.nes et il a vécu son changement de genre alors qu’il était immergé dans la violence du système carcéral états-uniens. Il incarne un niveau de courage et de principes que Casaux ne peut même pas imaginer.

Casaux est tout aussi ignorant au sujet de ce que signifie le courant « queer ». Il n’y a pas un seul courant queer homogène, et s’il en existait un, il ne serait absolument pas un allié des politiques et structures de pouvoir. Historiquement et aujourd’hui encore, les combats queer ont refusé l’assimilation des sexualités diverses. Aux Etats-Unis, une des publications les plus radicale du discours queer de la dernière décennie, Bædan (https://baedan.noblogs.org/) , est complètement anticapitaliste, vivement anti-assimilationniste, anti-civilisationniste ainsi que critique de la technologie et du transhumanisme. Une publication queer plus récente, Otherworld review, est, pour le dire brièvement, largement dédiée au culte et la symbiose avec la nature. Et en Catalogne, où je vis actuellement, les queers et personnes trans forment un courant autonome majeur dans le mouvement « néo-rural » développant des manières de vivre bien plus tournées vers l’écologie, redécouvrant des pratiques traditionnelles de l’agriculture à la campagne.

Nicolas Casaux n’a absolument AUCUNE IDÉE de quoi il parle (néanmoins il se sent légitime pour juger un grand groupe de personnes), et il tente délibérément de manipuler ses lecteurices.
Comme la plupart des transphobes, Casaux adhère aux visions essentialistes de la nature et des corps (en parlant par exemple de « réalités essentielles du corps humain »). Comme décrit dans The Unquiet Dead de Ausma Zehanat Khan, l’essentialisme dans ces deux formes est un élément clef du fascisme, il l’a notamment été dans le mouvement Völkisch prémisse de l’idéologie Nazi ; l’essentialisation des corps et de la nature tend à être utilisée dans des versions racistes et transphobes du féminisme, comme celui de Mary Daly, tandis que le féminisme anti-raciste et anticolonial tend à problématiser voire à complètement rejeter les visions essentialistes du corps. Nous pouvons probablement tou.tes penser à des aspects plus alarmants du fascisme que l’essentialisme, mais le fait que Casaux use des mêmes formes d’argumentation que l’extrême-droite – et partage sa transphobie – fait de son essentialisme quelque chose de plus inquiétant. Et au-delà de Casaux, il faut se questionner sur qui pourrait utiliser son argumentaire bancal, étant donné que les fascistes en Europe ont depuis longtemps recruté dans les cercles environnementaux.

Casaux ne donne qu’un seul exemple d’une PDG trans maléfique, Martine Rothblatt qui clone des cochons et promeut l’eugénisme, afin d’illustrer sa ridicule théorie conspirationniste qui dit que « le courant trans et queer » est un allié important des « dirigeants politiques et corporatistes de la civilisation industrielle ». Afin d’ajouter du poids à ce seul exemple, de peur que ses lecteurices le suspectent de faire une généralisation sur la base de la plus petite quantité possible de preuves, Casaux annonce que Rothblatt était la femme PDG la mieux payée (selon les chiffres de 2013 repris dans un article de 2014).

Il m’a fallu trente-cinq secondes pour apprendre que c’était un coup de chance. Rothblatt n’avait jamais tenu cette position avant et ne l’a plus occupé depuis. En 2014, Marissa Meyer, cheffe exécutive de « Yahoo ! », était la femme PDG la mieux payée, gagnant 42 millions de dollars, à savoir près de 10 millions de plus que Rothblatt. Trois des cinq PDG les mieux payés travaillent dans le domaine des technologies. Martine est la seule qui est transgenre et elle (pas « il », trou du cul) était seulement 24e dans le classement des PDG (hommes et femmes confondu.es donc) les mieux payé.es. Soudain les preuves de Casaux ne semblent plus si significatives. C’est probablement pour ça qu’il a essayé de rendre Rothblatt plus importante qu’elle ne l’est, dans l’espoir de manipuler les lecteurices afin qu’iels croient qu’il existe effectivement un lien entre les personnes trans et le plan maléfique du capitalisme pour le futur.

Si l’on regarde le top dix des PDG les mieux payés en 2013 ou 2014, on observe qu’il n’y a que des hommes et qu’aucun d’eux n’est trans ou ouvertement identifié comme queer. En 2013, 3 dirigent des entreprises de média, divertissement et télécommunications, 1 dirige une entreprise d’investissement, 1 dirige une entreprise ferroviaire et 5 dirigent des entreprises de technologies et médicales, dont le numéro un Elon Musk, un transhumaniste beaucoup plus important que Rothblatt, et un homme cis hétérosexuel… En 2014, 4 dirigent des entreprises de média et télécommunication, 2 des entreprises d’investissement et 4 des entreprises de technologies. En d’autres termes, le domaine des technologies est largement représenté et il n’est dirigé par aucune conspiration trans ou queer. Qu’en est-il de l’industrie médicale et pharmaceutique ? Il y a en fait trois entreprises plus importantes sur la liste que United Therapeutics, entreprise de Martine Rothblatt. Mais en fait le salaire du ou de la dirigeante n’est pas le meilleur instrument de mesure sur l’importance d’une entreprise. Allons jeter un œil du côté des dix plus grandes entreprises pharmaceutiques mondiales. Non, United Therapeutics n’est pas dans la liste et aucune entreprise du top dix n’a de PDG trans ou ouvertement queer (ni dans le top dix des entreprises de technologies). En fait, je n’ai pu trouver United Therapeutics dans aucune liste de grandes entreprises pharmaceutiques. La numéro 25 Labcorp, a généré 11 milliards de dollars en 2018 alors que dans le même temps United Therapeutics ne faisait même pas 390 millions de dollars. Il s’avère que ce n’est pas une si grosse entreprise.

Autrement dit, ce que Nicolas Casaux a fait, c’est de prendre une personne trans au hasard qui gagne beaucoup d’argent en dirigeant une entreprise relativement anonyme et de la transformer en épouvantail et en symbole d’une vaste et infâme conspiration. Les antisémites utilisent exactement la même pseudo structure logique quand iels prennent une personne juive, riche en la tournant comme une illustration de tout le peuple Juif. Cela ne fonctionne pas du tout si votre audience est sensible à des arguments logiques : cela ne marche que s’iels veulent croire en n’importe quoi qui justifie leur haine et leur peur.

Laissez-moi vous donner une comparaison pour illustrer la qualité du raisonnement de Casaux : « les français.es sont des trous du cul néoliberaux.les qui conspirent pour retirer les prestations de chômage et de santé pour tout le monde ! Est-ce que quelqu’un a oublié l’exemple d’Emmanuel Macron ? » ou « les gens qui s’appellent Nicolas sont des menteurs, manipulateurs ! Qui ne se souvient pas par exemple de Nicolas Casaux ? ». Casaux espère ainsi que ses lecteurices oublient qu’il existe des centaines de millions de personnes trans et queers, qu’iels n’ont pas une idéologie unique et qu’iels sont tout aussi diversifié.es que n’importe quel autre groupe de gens. Il compte sur la peur de l’Autre en décrivant les personnes trans et queers comme un groupe homogène présentant une menace pour la nature.

Attaquer les personnes trans et queers est un affront à la solidarité dans nos mouvements contre le capitalisme et le patriarcat, c’est une façon de diriger encore plus de violence contre des personnes qui sont déjà les plus marginalisées, les plus susceptibles de subir des agressions ou des meurtres dans la rue, c’est stupide, c’est injustifiable et cela nous affaibli. La transphobie et l’homophobie comme le racisme sont des armes du capitalisme et de l’État.

Enfin, je veux parler du sujet principal de l’article de Casaux, les interventions médicales pour les jeunes personnes trans. Casaux ne parle pas réellement de ce problème, il fait simplement le lien avec un documentaire qui d’après lui aurait été supprimé par le « lobby trans », encore une fois il copie les tactiques de l’extrême-droite, en prétendant qu’un groupe complètement marginalisé contrôlerait les médias.

Le problème de la chirurgie de réassignation de genre, les hormones, les bloqueurs de puberté et autres interventions médicales pour les personnes trans sont bien plus compliqués que ce que suggère Casaux. Il y a des personnes trans qui approuvent ces interventions, d’autres qui sont favorables à certaines et réticentes vis à vis d’autres, et il y a celleux qui vivent celles-ci comme une violence. Beaucoup de personnes trans subissent des chirurgies pour éviter une encore plus grande violence à savoir que les personnes cis se déchainent sur elleux dans les lieux publics, pour pouvoir avoir un « passing » en accord avec leurs genres, pour obtenir des perspectives d’emploi, pour éviter le harcèlement. Un ami trans m’a dit qu’il était vraiment triste de subir une mastectomie, qu’il aimait sa poitrine, mais la chirurgie était facile comparée au regard des autres et des commentaires qu’il subissait à chaque fois qu’il allait à la plage, à la piscine et qu’il enlevait son t-shirt. C’est une violence à laquelle les personnes comme Casaux contribuent largement avec leurs remarques ignorantes.

Il est évident que Casaux et les gens comme lui n’en ont rien à foutre des personnes trans ou de la violence à laquelle iels font face. Pourquoi sont-iels concerné.es par les adolescent.es trans qui prennent des bloqueurs de puberté ? Iels ne le sont pas. Iels utilisent juste ce sujet car cela peut être une manière efficace de générer un désaveu général des personnes trans. Iels représentent ces enfants comme sans défense, abusé.es par des vieux idéologues trans (implicitement affublé avec l’ancien stigmate homophobe de la perversion) et un mercenaire de « l’establishment médical ».

Je ne suis pas un ami de l’establishment médical, mais je dirais qu’il existe un important mouvement de désinformation circulant sur internet au sujet des bloqueurs de puberté et autres procédures (généralement répandu par des gens idéologiquement de droite). La procédure est mal représentée – par exemple les bloqueurs de puberté sont appelés ‘hormones’ même si ça n’en est pas – et le danger y est exagéré, pendant que les personnes trans se voit niées tous services ou accompagnements, iels ne sont présenté.es que comme des victimes ou des bourreaux.

Je me rappelle ce que c’était d’être adolescent. A cet âge, personne n’était plus qualifié pour prendre des décisions quant à mon corps ou mon identité de genre. Seul un autoritaire peut dénier l’autonomie physique des adolescent.es. La vie ne commence pas à 18 ans, quand l’État nous accorde la majorité. Nous devons prendre des décisions concernant notre corps avant cela, et personne ne devrait pouvoir nous enlever ces choix.

Je ne vais pas entrer plus loin dans ce débat car les choix médicaux des personnes trans ne devraient pas être définis par les personnes cis. Mon objectif est de montrer que la position de Casaux n’a aucune légitimité. Quand quelqu’un.e parle de ce qu’iel ne vivra jamais personnellement, iel parle en ignorant.e. Quand c’est une personne en situation de pouvoir ou de normalité qui parle de personnes marginalisées par la société, cette ignorance est aussi une pratique d’autoritarisme, et quand cette opinion cherche à limiter l’activité ou à répandre une généralisation négative à propos de groupes dominés, nous sommes alors face à un acte d’oppression.

Concluons sur ce qui est maintenant évident : Casaux ne sait rien des personnes trans, Casaux n’en a rien à faire des personnes trans, Casaux répand des affirmations fausses et blessantes à leurs égards. Il doit se taire et écouter les personnes qu’il essaye de marginaliser. Peut-être alors apprendra-t-il quelque chose, mais dans tous les cas, son silence nous fera à tou.tes du bien car il n’y a que de la merde qui sort de sa bouche.

Cordialement,
Peter Gelderloos.

P.-S.
Traduction effectuée par le Groupe Antifasciste Lyon et Environs

https://rebellyon.info/Nicolas-Casaux-et-la-transphobie-par-21327