Nous sommes des personnes qui ont choisi de rester vivre dans le bocage de Notre-Dame-des-Landes après des années de batailles et d’occupation. Si nous sommes à jamais enracinés ici-là, c’est que nous avons été possédés par cette lutte. Nous n’imaginions pas une seconde quitter celles et ceux qui nous ont appelé à venir vivre ici. Parce que nous continuons d’éprouver une expérience foncièrement communiste sur ces terres promises du mouvement.
Cinq ans après « De la ZAD aux Communaux », ce texte cherche à revenir sur les questions foncières qui se posent à nous, à penser notre rapport aux terres et à la Terre, à continuer d’explorer l’hypothèse d’une communisation du bocage. Si l’état et les inquisiteurs de la radicalité abstraite affirment de concert que tout est fini, c’est bien que quelque chose se prolonge. Quelque chose de profondément rétif aux carcans binaires dans lesquels ils sont enferrés : violence vs non violence, légal vs illégal, radical vs populaire, offensive vs alternative.
Se départir de l’idéologie pour apprendre de l’expérience. Opposer à la rassurante clarté des modèles (qu’ils soient politiques, économiques, scientifiques, moraux), l’opacité d’expériences singulières et imprédictibles.Refuser de réduire l’inconnaissable à un système de transparences apaisantes. Consentir à se jeter à corps perdu dans l’inconnu. Pour tous les doctes – épris de formes idéales – l’expérience politique est toujours jugée à l’aune de ses imperfections, de ses écarts vis-à-vis des absolus, plutôt que d’être pleinement vécue dans toutes ses potentialités.
Prendre de la hauteur, du recul. Sortir de la médiocrité sentencieuse du commentaire. Revenir sur nos hypothèses. Déplier nos projections. Chercher à retranscrire ce que nous vivons sur la ZAD et que nous traduisons laborieusement et par nécessité dans l’écriture. Parler depuis des gestes, des tentatives, des mises en jeu existentielles, des choix stratégiques… Percer le voile des clichés pour partager l’expérience nue d’un mouvement intense et complexe : entre-lacs d’impuissance et de puissance, d’inimitiés profondes et d’amitiés sublimes, de défaites et de victoires, de libéralisme obtus et de communisation en acte.

PRISE DE TERRE(S) Notre-Dame-des-Landes, été 2019

« La société ne peut être que capitaliste car les masses sont sans terre. La terre n’est pas du capital, c’est une chose toute différente. La terre, d’où vient tout ce que l’industrie ensuite transforme et d’où viennent toutes nos denrées alimentaires, est une partie de la nature, comme l’air que nous respirons, comme la lumière et la chaleur sans lesquelles il ne peut y avoir de vie. Comme l’air et la lumière, la terre et l’eau doivent être libres. Cela, les hommes l’ont toujours su et le sauront toujours. »
Gustav Landauer

Depuis les origines, la question foncière est au cœur de la bataille à Notre-Dame-des-Landes. Le mouvement puise ses racines, en 1974, dans la défense par les paysans-travailleurs de la terre, considérée alors comme un « outil de travail ». Quarante cinq ans plus tard, la perspective qui nous anime est celle d’une reprise en main de l’ensemble du foncier (terres agricoles, bâtiments, friches et forêts) par les habitants et les paysans. Une reprise en main collective pour arracher les terres et la Terre à la dévastation capitaliste… Se battre, encore et toujours, pour réinventer les communaux [1]…
Aujourd’hui le projet d’aéroport est définitivement enterré, grâce à des années de lutte acharnée. Après un an de tourmentes marqué par une opération contre-insurrectionnelle inédite conjuguant offensive militaire et administrative ; nous continuons inlassablement de creuser le sillon qui mène de la lutte victorieuse contre l’aéroport à celle pour la défense du bocage et de la Terre comme biens communs…

I. FONCIÈREMENT DÉTERMINÉS À POURSUIVRE ENSEMBLE

Le 17 janvier 2018, nous avons arraché une victoire historique contre la destruction de 1400 hectares de terres, et bien plus encore si l’on songe à l’urbanisation qu’aurait irrémédiablement engendré la construction de l’ex-futur aéroport…
Aujourd’hui, malgré l’abandon définitif du projet, il reste tant de raisons de se battre pour ces terres de bocage, tête de bassin versant d’Erdre-et-Gesvres :

 les défendre contre l’accaparement, la concentration capitalistique qui prend aujourd’hui la forme d’une course effrénée à l’agrandissement des fermes, d’une fuite en avant qui précipite le remplacement de la classe paysanne par une poignée d’agro-entrepreneurs gérant des centaines d’hectares depuis leur smartphone.

 les défendre contre l’agriculture industrielle, avec tout ce qu’elle implique de pratiques dévastatrices : usages de pesticides, arasement des haies, destruction du vivant, maltraitance animale, mécanisation-robotisation toujours plus intenses, atomisation, aliénation et empoisonnement des agriculteurs.

 les défendre contre, mais aussi et surtout les défendre pour y expérimenter des usages communs qui rendent possible l’autonomie des habitants et des paysans dans une relation symbiotique plutôt que dans un rapport d’exploitation avec la terre et les êtres vivants qui la peuplent.

C’est une seconde manche de la lutte qui s’engage. Une bataille pour la défense et la mise en commun de ces terres sauvées in extremis du bétonnage. Une bataille qui prolonge en même temps qu’elle dépasse ce qui s’est vécu par le passé sur la ZAD. Aujourd’hui comme hier, la question foncière – celle de l’accès et de l’usage de la terre – est une question politique cruciale.
C’est le nœud entre d’une part, la guerre sociale pour la réappropriation des outils de production, des moyens de subsistance ; et d’autre part la guerre territoriale pour défendre et prendre soin du monde fragile que nous habitons et dont tout laisse à penser qu’il est au bord de l’épuisement. La question foncière est au cœur de la question révolutionnaire. à la croisée de la fin du monde et de la fin du mois, du soulèvement des gilets jaunes et de la jeunesse qui s’agite pour le climat, il y a la réappropriation et la défense de la terre comme bien commun.
L’équation foncière est vertigineuse. La surface agricole représente 50 % de la surface du territoire national. Dans les dix ans qui viennent, en raison du vieillissement des agriculteurs, la moitié des fermes en France vont changer de main : soit un quart du territoire national qui se « libère » ! Il s’agit de nos champs, nos prairies, nos marais, nos alpages et nos bocages. Une vaste zone à reprendre, à défendre, à étendre.
à défaut d’une dynamique de reprise des terres combinant occupations sauvages et installations collectives, ces terres iront soit à l’agrandissement des exploitations industrielles, soit à de nouvelles constructions. Il y a urgence. L’étau se resserre. Chaque année en France, près de 80 000 hectares sont engloutis sous le béton, tandis que les méga-exploitations agricoles ne cessent de croître. En 2013 3,1 % des exploitations concentraient à elles seules la moitié des terres agricoles de l’Union Européenne !

Nous vivons un tournant historique dans l’appropriation capitaliste des terres et la dévastation du monde. Si rien ne vient enrayer la tendance, la prochaine génération sera irrémédiablement dépossédée des derniers savoirs-faire paysans et par conséquent absolument dépendante de l’agro-industrie pour subvenir à ses besoins fondamentaux. La suivante habitera un désert. En France, près d’un tiers des oiseaux des champs ont disparu ces quinze dernières années…
Dans ce moment charnière, nous pensons que l’expérience de la ZAD ne peut se réduire à un précédent victorieux de lutte contre un aéroport. Elle doit se prolonger et contribuer – à sa mesure – à l’impulsion d’une dynamique de reprise des terres agricoles et de mise en commun du foncier par des expériences paysannes collectives intimement reliées aux luttes sociales en cours. Plus que jamais, nous avons besoin de communiser les terres pour bâtir des formes conséquentes d’autonomie politique et matérielle.

« La raison pour laquelle notre époque est si pesante, si stérile, si déchirée et si malheureuse, c’est que nous sommes enfermés dans notre passivité depuis trop longtemps, que nous avons trop longtemps différé l’accomplissement de notre tâche qui est de répartir la possession du sol entre les habitants. »
Gustav Landauer

II. À JAMAIS ANCRÉS DANS LE BOCAGE

Pour rappel, nous occupions environ 200 hectares de terres agricoles avant l’abandon du projet d’aéroport, les installations issues de la lutte se déploient sur 310 hectares aujourd’hui. Les Conventions d’Occupation Précaire que nous avons signées sur ces terres sont pour la plupart transformées en baux de fermage de neuf ans, ou en instance de l’être. Si nous avons pu arracher définitivement ces terres après des années de lutte, c’est en partie grâce à une stratégie collective d’installations officielles.

Ce sont ces installations qui nous ont permis de mettre un pied dans la porte, de soutenir un rapport de force en accédant définitivement à la terre par le statut du fermage. Souvenons-nous que ce statut fut arraché naguère de haute lutte par les résistances paysannes contre les propriétaires terriens. Il est extrêmement protecteur pour l’usager et nous prémunit fortement d’éventuels risques d’expulsion pour les décennies à venir.

Si nous sommes sortis de l’expulsabilité permanente du squat pour se projeter à l’échelle des décennies à venir, passer d’une pratique paysanne irrégulière à des installations légales n’a pas été une décision facile. Se confronter à des impératifs de viabilité économique, s’exposer aux contrôles, demander la Dotation Jeune Agriculteur, les aides PAC, le label bio. Mettre le doigt dans l’engrenage kafkaïen de l’administration agricole…

Quelques camarades de lutte avaient déjà fait ce choix des années avant l’abandon, accompagnés en ce sens par la com- mission installation de COPAIN [2]. Pour notre part, si nous avons dû le faire au printemps dernier, ce n’est ni de gaîté de cœur, ni parce que nous voulons devenir des « exploitants agricoles » comme les autres.
C’est d’abord pour mettre un terme à l’opération d’expulsion du printemps 2018, pour protéger les maisons, fermes et ateliers de la ZAD, ainsi que toutes les activités subversives qui continuent aujourd’hui de s’y déployer.

Pour rendre possible l’accès collectif au foncier du plus grand nombre, il fallait que quelques-uns jouent à fond le jeu du « jeune paysan qui s’installe ». C’est parce que certains parmi nous ont entamé individuellement le parcours d’installation officielle que nous avons encore aujourd’hui les terres qui nous permettent de prolonger des expériences d’agriculture collective. C’est enfin et surtout pour être en position de soutenir effectivement le rapport de force face aux appétits des exploitants cumulards. Nous sommes donnés les moyens d’être prioritaires à l’accès au foncier, de peser sur la situation pour arracher plus de terres.

Ce choix de l’installation paysanne, nous avons parfaitement conscience des risques qu’il comporte, mais nous misons sur la force, l’ingéniosité et la résistance de nos collectifs pour déjouer l’individualisation et la normalisation qu’il pourrait induire. L’expérimentation permanente de multiples formes de travail en commun est selon nous le meilleur garde-fou pour déjouer ces tendances.

III. NULLE TERRE SANS GUERRE

Une bataille agricole fait rage à la ZAD. Sourde, moins visible et spectaculaire qu’auparavant, elle n’en n’est pas moins foncièrement déterminante. Elle nous oppose notamment à l’AMELAZA [3] 4. FNSEA : Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants agricoles.
Syndicat majoritaire soumis au lobby agro-industriel.]], à la FNSEA [4] et à la Coordination rurale [5].
Pour faire le point sur la situation foncière de la ZAD, rappelons quelques chiffres concernant l’usage des terres. La ZAD, c’est 1200 hectares [6] de terres agricoles et 230 hectares de bois et de friches.
Concernant les terres agricoles, 305 hectares ont toujours été cultivés historiquement par des paysans en lutte qui ont résisté de toutes leurs forces au projet d’aéroport. Il est légitime que nos camarades retrouvent aujourd’hui leurs droits de fermages sur les terres qu’ils cultivaient avant 2008.

Avant cette date, 250 hectares étaient cultivés par les cumulards. Il est coutume de dire de ces cumulards qu’ils ont « touché le beurre et l’argent du beurre ». En plus d’avoir été prioritaires pour s’agrandir hors ZAD, ils ont perçu un gros chèque de Vinci pour des terres qu’ils ont continué à cultiver gratuitement jusqu’à aujourd’hui, tout en empochant la PAC dessus. Pour couronner le tout, les cumulards récupèrent aujourd’hui définitivement ces terres en fermage, sans rendre l’argent et « avec le sourire de la crémière » !

310 hectares sont cultivés par les installations paysannes issues du mouvement de lutte. Cela reste insuffisant par rapport à nos besoins actuels. Pour que les installations individuelles et les formes d’agriculture collective puissent pleinement se déployer, il en faudra bien plus [7]. C’est pourquoi nous nous positionnons sur de nouvelles terres à l’automne.

220 hectares de terres dites « non historiques » sont toujours en Convention d’Occupation Précaire (COP). Leur sort sera réglé cet automne par une réattribution définitive en fermage : soit ces terres tombent dans l’escarcelle des exploitants déjà en place ; soit elles répondent aux besoins fonciers des installations issues du mouvement qui s’y sont positionnées. La bataille de la rentrée réside là.
L’automne sera chaud. De part et d’autre, on se positionne d’ores et déjà. Il suffit que nous remplissions de simples formulaires d’autorisation d’exploiter pour que la DDTM [8] s’alarme que l’on « mette le feu à la campagne ». Des zones de conflits entre les installations issues du mouvement et les exploitants cumulards persistent, d’autres apparaissent. Plus de cent hectares de terres agricoles sont en conflit aujourd’hui sur la ZAD.

Notre capacité à l’emporter repose exclusivement sur le rapport de force. Elle dépend des actions que nous serons en mesure de mener sur le terrain pour appuyer une dynamique collective d’installation paysanne et de reprise des terres, mais aussi sur le nombre de candidats à l’installation susceptibles de rejoindre la lutte. Elle dépend enfin de notre capacité à remettre la question des terres et de la Terre au cœur des débats politiques actuels.

L’automne prochain va achever de déterminer l’équilibre des forces dans le bras de fer agricole et foncier qui s’engage pour les années à venir dans le bocage. Puis, au fil du temps, vont se multiplier les départs à la retraite d’agriculteurs du coin, amis ou hostiles. De nouveau, plusieurs centaines d’hectares se « libéreront ». D’ici là, il faudra être prêts à les reprendre.

Par ailleurs, ce conflit pour la reprise des terres a vocation à s’étendre au-delà du périmètre de l’ex futur aéroport, à commencer par les 270 hectares acquis par les aménageurs en dehors du périmètre de la ZAD pour constituer une réserve foncière dans le but de « compenser les agriculteurs impactés ».

La ZAD reste un espace privilégié pour s’essayer à des expériences inédites d’autonomie politique et matérielle. Nous avons besoin d’individus, et surtout de collectifs, désireux de se lancer dans l’aventure pour participer à la reprise des terres. Le levier stratégique des installations paysannes est un moyen et non une fin. Ce dont il est question au fond, c’est de se frayer un chemin pour (ré)apprendre ensemble à habiter la terre, en prendre soin et mettre en partage ses fruits. En ces temps ballottés entre peur millénaire de la catastrophe et désir renaissant de révolution, l’expérience vécue au cœur du bocage de Notre-Dame-des-Landes est extrêmement précieuse.

IV. HABITER LA TERRE

La question foncière ne peut être réduite à la question agricole. Celle-ci n’est qu’un angle d’attaque pour reprendre les terres et défendre la Terre. Foncier signifie littéralement le « fond de tout objet », « la partie essentielle de quelque chose », et non simplement le sol, la terre, ainsi que les bâtiments qui la constellent.

Si c’est par une mise en avant de nos pratiques paysannes que nous avons pu accéder au foncier, nos usages restent multiples et enchevêtrés. Ils dépassent tant la question agricole que celle de la production. Quelque part, on pourrait même dire que c’est aussi le bocage qui a fait usage de nos corps ces dernières années pour défendre son intégrité… Habiter le bocage c’est nouer en lui et avec lui un rapport sensible aux antipodes de l’implacable froideur gestionnaire. L’opération de verdissement du Conseil Départemental n’est que poudre aux yeux. Jamais les pouvoirs institués ne seront à même d’enrayer la catastrophe écologique qu’ils ont eux même précipité. Il est pour le moins cocasse de voir Philippe Grosvallet – hier encore fervent partisan de l’aéroport – se faire aujourd’hui le chantre de la « préservation » du bocage. Absolument aucune mesure contraignante n’a été prise par le département propriétaire pour protéger les haies, les mares et les cours d’eau, et encore moins pour interdire l’usage de pesticides [9]. Derrière les effets d’annonce écologiques, nous savons que nous ne pourrons compter que sur nos propres capacités à prendre des terres et sur la pression des habitants du coin pour prendre soin du bocage et l’arracher aux logiques d’exploitation, d’exclusivité et d’accaparement.

Seule la communauté en devenir des habitants et des paysans peut renouer un rapport au bocage et au monde qui ne soit pas celui d’une pure extériorité à la nature. La tendance actuelle tend à l’aménagement d’un territoire polarisé entre deux extrêmes : des hyper-centres métropolitains toujours plus artificialisés et des réserves naturelles valorisées par le tourisme et le marché des compensations écologiques. Entre ces deux pôles, quelques rares ilots épars d’agriculture paysanne noyés dans un lugubre océan d’agriculture industrielle.

Paradoxalement, l’exploitation comme la sanctuarisation sont autant de manières de tenir la nature à distance. Ces deux logiques se conjuguent aujourd’hui dans le capitalisme vert.
La marchandisation de la nature atteint des sommets de sophistication dans l’absurde avec la quantification et la valorisation de ces nouveaux fruits de la terre que les économistes nomment « services éco-systémiques ». C’est par cet astucieux tour de passe passe qu’il est désormais possible de monnayer la capacité d’un arbre à capturer du carbone, de spéculer sur la valeur qu’il représente comme on spécule sur le prix du pétrole ou le cours d’une action, de se servir de la mesure du carbone qu’il capture pour compenser artificiellement par un jeu d’écriture comptable les émissions d’une multinationale.

Nos manières d’habiter et de prendre soin du bocage contiennent en puissance un autre rapport à la nature. Un rapport qui pense le bocage comme un alentour qui nous enveloppe et nous englobe, plutôt que comme une extériorité que l’homme supérieur devrait gérer – que ce soit avec le dessein funeste de « l’exploiter » ou celui, naïf et présomptueux, de la « préserver ».

« Nous sommes la nature qui se défend », ce slogan a fait le tour du monde. Il aurait été plus juste ici de dire « Nous sommes le bocage qui se défend », pour rappeler que le bocage n’a pas grand-chose de « naturel » mais qu’il est le fruit d’une relation symbiotique entre végétal, humain et animal. Au demeurant, même la forêt amazonienne est façonnée par une dimension jardinière qui échappe totalement au regard occidental, mais pas à celui de ses habitants.

S’extraire du binarisme artificiel entre l’homme et la nature, entre le domestique et le sauvage, cela permet de (re) construire un rapport au monde à même de prendre soin de ce qu’il y a de faune et de flore sauvage au cœur même des territoires paysans mais aussi de ce qu’il y a de pratiques paysannes au cœur des territoires sauvages. La Terre n’est ni une réserve naturelle, ni une ressource agricole, c’est un écheveau de relations entre minéraux, végétaux, animaux et humains : un « Tout-monde » pour reprendre les mots d’édouard Glissant.

En Occident, la paysannerie comme forme de vie est aujourd’hui quasiment éteinte, ensevelie par l’industrialisation et l’urbanisation. à l’heure où l’anthropologie infuse profondément l’imaginaire politique, gardons-nous d’une certaine manière de la lire qui cherche à assouvir la soif de cosmologies et de mondes dans le fantasme exotique de tribus antipodes. Ne perdons pas de vue le monde qui gît là sous nos yeux, à quelques encablures du périphérique.
Il a au moins autant à nous apprendre.

Derrière les carcans de la famille et de la tradition, le culte du travail et l’esprit de clocher, la mémoire paysanne recèle une sensibilité à même de nous aider à prendre soin de l’inter-relation par laquelle le bocage nous prodigue les moyens de notre subsistance et de notre autonomie ; pour peu que l’on accomplisse les gestes qui le constituent comme bocage : fauche et pâturage des prairies, soin des haies, fossés et talus, polyculture-élevage…

Pour comprendre le complexe entrelacs de relations réciproques qui ont façonné le monde du bocage, il convient de saisir le rôle crucial des animaux domestiques. Un éleveur paysan qui regarde les prairies et les haies à travers les yeux des bêtes qu’il choie, voit bien autre chose que le regard strictement gestionnaire que les techniciens agricoles cherchent à lui imposer. Il y a toute une sensibilité paysanne à cultiver et à défendre. Sans quoi celle-ci achèvera bien vite de se noyer dans la froide comptabilité de la production animale et végétale, de sombrer dans les dérives de la génétique et de la zootechnie. Ne laissons pas les « stratégies d’optimisation économique » se substituer à nos relations singulières à la terre, aux animaux et aux végétaux.

L’éleveur paysan est au contact quotidien d’une autre dimension du territoire, inaccessible au touriste qui contemple un paysage comme à l’aménageur qui le « zone ». Quiconque se livre, par exemple, à l’observation assidue des bovins accède à une autre compréhension de la notion de symbiose. Le vanneau huppé pond dans les empreintes de leurs pas. Le héron garde-bœufs se nourrit des insectes qui les entourent et parfois les incommodent. Des orchidées, des tritons, des grenouilles, des papillons, une myriade d’espèces rares et sauvages peuplent les prairies pauvres et humides où paissent les troupeaux.
Cette faune sauvage ne pourrait vivre nulle part ailleurs…

La vie grouille autour des troupeaux ruminants, mais aussi en eux. D’innombrables microbes les habitent, logés dans leur rumen, une partie essentielle de la panse. C’est ce microbiote qui mange l’herbe que la bête ingère pour mieux nourrir la bête elle-même en retour par un processus symbiotique complexe de digestion-rumination articulant vie végétale, vie animale et vie microbienne.

Le lien intime entre les espèces compagnes et les humains a profondément contribué à sculpter le modelé du bocage. Le fil des haies, fossés et talus dessine une incroyable fôret-lisière façonnant au gré de ses entrecroisements des prairies inlassablement pâturées au fil des ans, semblables à d’innombrables clairières enchevêtrées. La pratique d’une agriculture extensive et la nécessaire proximité des humains, des prairies et du bétail va de pair avec un habitat vernaculaire dispersé, une myriade de petits hameaux plutôt que des gros bourgs mornes cernés de lotissements. Le bocage est un maillage complexe tissé par la continuité des relations entre végétaux, animaux, et humains. Là où la métropole organise la séparation entre ces mondes, le bocage nous invite à les imbriquer.

V. PASTORALISME ET ÉCOLOGIE BOCAGÈRE

Tout dans la société actuelle nous appelle à une transformation radicale des rapports entre humains et animaux : l’organisation massive de la souffrance animale et humaine dans les abattoirs industriels ; l’avènement d’animaux-machines sélectionnés génétiquement pour leurs « performances économiques » reproduits ad nauseam par insémination artificielle tandis que disparaissent les races rustiques qui faisaient toute la richesse de la biodiversité domestique ; la production standardisée d’une viande insipide, nourrie à l’ensilage, bourrée d’antibiotiques, destructrice de la santé et de l’environnement, produite pour gaver les pauvres à bas prix jusqu’à les rendre obèses.

Extrêmement minoritaire, l’élevage paysan ne doit pas être l’idiot utile de l’industrie agro-alimentaire. Pas question d’être la caution éthique et publicitaire d’un système économique qui cherche à cacher la forêt de l’agriculture industrielle derrière l’arbuste de l’agriculture paysanne !
La perspective de produire quelques steaks bios hors de prix pour la bonne conscience de la bourgeoisie mondialisée tandis que les pauvres sont empoisonnés par l’agro-industrie ne peut tenir lieu d’horizon politique pour la paysannerie !

Pour autant, la vision dystopique d’un monde sans pastoralisme, est tout aussi glaçante que la catastrophe actuelle : destruction pure et simple de la biodiversité sauvage, domestique et humaine des prairies humides, du bocage, des landes, des tourbières, des montagnes et des steppes ; anéantissement d’une multiplicité de cultures paysannes, de savoirs faire artisanaux, de spiritualités ancestrales qu’elles soient monothéistes, polythéistes ou animistes ; développement exponentiel d’une nouvelle industrie dans la Sillicon Valley avec les laboratoires de la foodtech qui produisent artificiellement de la vitamine B et de la viande de synthèse par manipulation génétique pour pallier les carences nutritives et gustatives du régime vegan ; illusion naïve et non violente d’un monde qui tiendrait la mort et la souffrance à distance. La sixième extinction animale en cours ne saurait être enrayée simplement en changeant de système alimentaire ! Cela implique un renversement du capitalisme dont on peine à imaginer qu’il puisse se faire sans violence.

Si la vie confinée dans l’environnement minéral et artificiel des hypercentres métropolitains favorise l’idéalisation de la nature et la diffusion des idéologies véganes, anti-spécistes et primitivistes, celle-ci confinent à l’absurde une fois transposée dans le bocage ou n’importe quel territoire paysan. Même lorsqu’elles ne se manifestent pas par des actes d’hostilité pure et simple (aller couper les clôtures de son voisin), ces idéologies induisent une destruction du bocage tel qu’il existe et des relations végétaux-animaux-humains qui le façonnent. Il y a quelque chose de profondément colonial dans le fait de dire à un paysan qui résiste au bétonnage de ses terres que celles-ci vont devenir demain une vaste saulaie ou un immense champ de légumineuses.

à un moment de son histoire, le bocage de Notre-Dame-des-Landes a ouvert une véritable brèche pour repenser ces questions fondamentales par le frottement, la rencontre, le dépassement de positions antagonistes. Des expériences éphémères de cultures de légumineuses ont été menées de concert entre des paysans du coin (éleveurs bovins) et des végans.
Au terme d’âpres discussions, une quarantaine d’hectares de terres agricoles du bocage ont été laissées à l’enfrichement avec le consentement de paysans, alors même que cela allait profondément à l’encontre du rapport à la terre qui est le leur.

Ce qui a refermé cette possibilité, enrayé ces débuts de déplacements et de dépassement, ce n’est ni la police, ni l’administration, mais le repli idéologique et identitaire, le refus de composer avec l’autre. Là réside sans nul doute l’un de nos principaux échecs.

Loin de nous l’idéal conservateur d’un retour aux formes anciennes de communautés paysannes, d’une simple perpétuation du bocage tel qu’il est. Si nous voulons défendre le bocage dans son intégrité, ce n’est certainement pas pour en faire un éco-musée ! Il s’agit de laisser en lui de la place à l’expérimental, à l’inédit, à l’imprévisible, de ménager ses devenirs insoupçonnés. Inventer un rapport mosaïque aux communaux, plutôt que l’hégémonie d’une seule forme de relation au territoire. Cela implique de laisser de la place pour l’enfrichement de certains espaces ainsi que pour l’expérimentation pratique d’une agriculture végétalienne [10].

Si nous voulons donner à saisir comment des bribes de l’héritage paysan rencontré ici-là nous ont profondément bouleversé ce n’est certainement pas pour prôner un impossible retour au passé. C’est avant tout, pour donner matière à alimenter partout la fabrique et l’invention de nouvelles manières de cultiver le sol, d’élever des animaux, d’habiter la nature, de côtoyer la vie et la mort, et d’être ensemble au monde.

« Nous ne pouvons ravoir la part de nature qui appartient à tous les hommes que si la part de nature que nous sommes nous-mêmes se transforme, que s’il existe en nous un nouvel esprit de renouvellement de toutes les conditions de vie. »
Gustav Landauer

VI. L’ÉCHO DU LOGIS

Que l’écologie serve aujourd’hui d’argument aux institutions contre notre manière d’habiter le bocage illustre à quel point celle-ci peut être brandie aussi bien par la jeunesse en grève pour le climat que par les plus perfides des gestionnaires.
C’est ainsi que nos cabanes, dont la construction a permis de défendre ce bocage contre l’aéroport et de le sauver du bétonnage, sont aujourd’hui perçues comme écologiquement problématiques par les aménageurs de la communauté de communes. Que la zone de l’ex-futur aéroport soit désormais en passe d’être considérée dans leurs plans comme « Agricole » et « Naturelle » signifie qu’elle est inconstructible, et donc inhabitable…

Certes, toutes nos constructions sur les ruines des bâtiments détruits pendant l’opération César en 2012 ont vocation à rester dans le paysage. Nous continuons en ce moment même d’édifier des hangars agricoles et des habitats. Nous projetons toujours de reconstruire au fil des années l’ensemble des anciens corps de ferme détruits… Mais la bataille est ailleurs ! Elle touche le cœur même de nos manières d’habiter.

Plusieurs cabanes maraîchères (La Hulotte, La Riotière, etc.) ne rentrent pas dans les cases des planificateurs inter-communaux. L’idée toute simple de vivre dans une cabane en bois en bordure de haie, cernée d’un jardin maraîcher, de cultures et de pâturages pour les bêtes semble affoler au plus haut point les aménageurs. Eux, dessinent sur leurs cartes des zones séparées (« agricoles », « naturelles », « résidentielles », « artisanales », « commerciales » et « industrielles ») pour mieux organiser des existences elles-mêmes séparées.

La ZAD a abrité et abrite toujours de multiples manières de l’habiter : de l‘ermitage solitaire lové derrière les haies à l’abri des regards au petit lotissement de cabanes individuelles ; des caravanes aux hangars agricoles réaménagés, en passant par les yourtes, roulottes et bien d’autres formes d’habitat. Nous nous focaliserons ici sur une certaine manière communiste de l’habiter.

L’organisation de l’espace dans la plupart des collectifs d’habitation va complètement à rebours des tendances de l’urbanisme contemporain. L’espace de vie s’agence différemment lorsque dix ou vingt personnes habitent ensemble. Dans cette forme d’architecture vernaculaire sur la ZAD, l’espace d’habitation articule habitat léger et habitat en dur. Il est organisé le plus souvent autour d’une grande bâtisse ou d’une cabane avec sa cuisine, sa salle à manger, sa salle de bains, constituant un lieu commun central. Celui-ci est cerné d’une constellation d’espaces intimes et privés.

Il aura fallu toute la science des architectes et des urbanistes pour réduire, dans l’habitat contemporain, les « parties communes » à un étroit couloir et un local poubelle… Il faudra toute notre détermination pour défendre et réinventer – à la campagne comme en ville – des formes d’habiter dans lesquelles les parties communes ne seraient plus réduites à la portion congrue. Seule une telle extension du domaine des parties communes est à même de subvertir le cadre étriqué de l’habitat individuel, en couple ou en famille.

« De ce qui se passe derrière les lourdes portes des appartements, on ne perçoit le plus souvent que ces échos éclatés, ces bribes, ces débris, ces esquisses, ces amorces, ces incidents ou accidents qui se déroulent dans ce que l’on appelle les parties communes, ces petits bruits feutrés que le tapis de laine rouge passé étouffe, ces embryons de vie communautaire qui s’arrêtent toujours aux paliers. Les habitants d’un même immeuble vivent à quelques centimètres les uns des autres, une simple cloison les sépare, ils se partagent les mêmes espaces répétés le long des étages, ils font les mêmes gestes en même temps, ouvrir le robinet, allumer la lumière, tirer la chasse d’eau, mettre la table, quelques dizaines d’expérience simultanées qui se répètent d’étage en étage, d’immeuble en immeuble et de rue en rue. Ils se barricadent dans leurs parties privatives – puisque c’est comme ça que ça s’appelle – et ils aimeraient bien que rien en sorte… » Georges Perec.

Ceux qui parlent d’écologie sans aborder frontalement la question de la vie quotidienne sous tous ses aspects, ceux qui n’ont à la bouche que les mots « compensation », « bilan carbone », « développement durable », « green tech », « transition », « empreinte écologique », ceux-là parlent une langue morte, celle de la comptabilité du désastre.

Pour esquisser les fondements d’une écologie communale et révolutionnaire, ancrée dans la vie quotidienne, peut être faudrait-il repartir de la notion d’écosophie de Félix Guattari. Pour lui, la question écologique se situe à la lisière de trois registres : « celui de l’environnement, celui des rapports sociaux, et celui de la subjectivité humaine ». Dans le bocage de Notre-Dame-des-Landes s’expérimentent des formes de vie commune à même de tenir inséparés ces trois registres de l’écologie, comme en témoigne notre relation à la forêt.

VII. ABRAKADABOIS !

La forêt de Rohanne fut plantée de main d’homme au milieu du siècle dernier. Paradoxalement, le projet d’aéroport aura permis que l’ONF cesse d’entretenir cette forêt. L’absence de gestionnaire a laissé la place à un processus d’ensauvagement de cette plantation ainsi qu’à une expérience forestière communale.

Lors de l’opération César en 2012, la forêt de Rohanne fut le théâtre de violents affrontements. Lorsque nous nous y promenons, des images nous reviennent, comme des fantômes qui la hantent. La texture du silence forestier, (peuplé en vérité d’une infinités de bruissements, de respirations, de chants et de cris animaux), est ici particulière. On croirait encore entendre les détonations des grenades et la clameur de nos cris de loup accompagnant la retraite des gendarmes mobiles en novembre 2012.

Depuis 2014, les habitants du bocage se réapproprient la forêt. Tout commence par des ballades pour la connaître mieux et choisir ensemble les arbres à cueillir pour répondre à la fois aux besoins de la forêt en régénération et aux besoins des habitants en bois d’œuvre. Des ateliers sont organisés pour aider chacun à dessiner les plans des futures constructions et à estimer ses besoins.
Puis l’hiver, hors sève, en lune descendante, viennent les chantiers collectifs en forêt pour approfondir son ensauvagement en accompagnant cette plantation vers une futaie irrégulière, avec abattage pied à pied et débardage à cheval.

Une place très importante est accordée à la transmission et à l’apprentissage des savoirs faire forestiers. Parfois, il y a d’étranges rituels pour réveiller la magie qui sommeille en elle. Quelques arbres sont réputés sacrés et intouchables pour avoir abrité des cabanes vigoureusement défendues pendant l’opération César en 2012. Le bois d’œuvre est ensuite scié par nos soins lors de chantiers collectifs. Puis il est redistribué à prix coûtant pour répondre aux besoins de construction des habitants. Enfin, des replantations d’arbres viennent régulièrement maintenir et diversifier les peuplements de la forêt…

Tout cela semble couler de source… Mais le bon sens n’est pas un argument pour les juristes du régime forestier et les administrateurs de l’ONF. Qu’importe nous nous préparons à l’éventualité de défendre physiquement nos usages communs de la forêt de Rohanne. Cet hiver, comme tous les ans depuis 2014, nous continuerons de les exercer.

Habiter, cultiver, prendre soin, arpenter…
Au fond, nous en sommes convaincus, c’est d’abord par l’approfondissement de l’ensemble de ces usages communs que nous par- viendrons à défendre le bocage de l’exploitation. Naguère, une infinité de droits collectifs se rapportaient aux communaux. Les noms de ces droits d’usages liés à la terre font résonner la poétique immémoriale d’un monde révolu : droits de pacage, de vaine pâture, de seconde herbe, de coupe, de dépaissance, de champoyage, de moutonnage, de padiance, de cueillette, de plantis, d’affouage et de marronnage.

Aux antipodes des régimes d’exclusivité de la propriété privée capitaliste, nos usages collectifs dessinent une manière d’envisager la terre non plus comme un immeuble – objet de l’appropriation exclusive d’un propriétaire qui aurait sur elle les pleins pouvoirs – mais d’un bien commun dont les habitants jouissent simultanément, apprenant laborieusement à concilier, à superposer et à ménager leurs multiples usages, apprenant aussi à prendre soin du bocage comme s’ils prenaient soin d’eux mêmes, à réparer le monde pour les prochaines générations d’habitants. Cette expérience vécue est à rapprocher de la définition du communisme que donnait Karl Marx dans « l’idéologie allemande » comme le dépassement « de l’antagonisme entre l’homme et la nature, entre l’homme et l’homme. »

VIII. TOUJOURS À FOND !

Si nos usages sont la meilleure manière de défendre aujourd’hui le foncier de la ZAD ; sur le long terme, seule une forme de propriété collective peut garantir une dimension intergénérationnelle qui dépasse l’espérance de vie des usagers actuels. Tant que nous n’aurons pas renversé la propriété privée de la terre et des moyens de productions pour y substituer une propriété d’usage ; nous ne pourrons faire abstraction de la propriété des terres que nous cultivons comme des bâtiments que nous habitons.

Sur l’ensemble des terres de la ZAD, 890 hectares appartiennent désormais au Conseil Départemental et 120 à l’état. Par ailleurs, 135 hectares font d’ores et déjà l’objet de procédure de rétrocession, c’est-à-dire qu’ils vont retourner à leurs anciens propriétaires d’avant 2008. Enfin, il reste des rétrocession à « purger », c’est-à-dire des propriétaires qui ne se sont pas manifestés ou ne sont pas intéressés pour reprendre leur bien. Cela représente 295 hectares qui resteront demain sur les bras de l’état si les dits propriétaires ne les réclament pas. Au-delà des terres, la propriété de nos lieux de vie est – elle aussi – absolument déterminante. Sur les trente lieux habités que compte la ZAD, sept appartiennent à l’état et vingt-trois au conseil départemental.

L’année dernière, nous nous sommes dotés d’un outil pour acheter collectivement des maisons, des fermes, des bâtiments et des terres. C’est le Fonds de dotation « La terre en commun ». Cet outil juridique nous a semblé le plus pertinent pour constituer une forme de propriété collective inaliénable qui vienne protéger le foncier de la ZAD et assurer la continuité des droits d’usages qui s’y exercent.

à partir de 2020-2021, une fois l’ensemble des rétrocessions purgées, l’état va mettre en vente le foncier de l’ex-futur aéroport dont il est propriétaire. Cela concerne des terres agricoles mais aussi des maisons, fermes et bâtiments dont nous avons aujourd’hui l’usage dont notamment : l’Auberge des Q de plomb et les maisons attenantes, la nouvelle ferme des cents noms, le Moulin de Rohanne et l’Ambazada, ou encore la ferme de Saint Jean du Tertre. Parvenir à racheter collectivement ces lieux qui seront vendus par l’état est une première étape décisive dans la construction d’une expérience de propriété collective sur la ZAD.

Nos projections dépassent de loin l’éphémère des majorités au Conseil Départemental. Nous avons tout notre temps pour racheter progressivement l’ensemble de la ZAD ! Le temps du bocage n’est pas celui de l’obsession court-termiste et présentiste des gouvernants. Dans un contexte d’instabilité politique et d’effondrement du système représentatif, la position actuelle du président du département – vieil éléphant d’un socialisme en voie d’extinction – ne pèsera guère longtemps.

Tout a été écrit sur l’abus que constitue la propriété foncière privée. Mais nous nous méfions aussi viscéralement des bonnes intentions des pouvoirs publics qui, hier encore, planifiaient l’anéantissement du bocage et aujourd’hui continuent partout de saccager le monde. Alors nous essayons de frayer un chemin qui ne soit ni celui de la propriété privée, ni celui de la propriété publique : une forme de propriété commune, fruit d’une association inédite entre habitants, paysans, usagers, naturalistes, chercheurs…