• Détournements de mineurs

Charles de Fraycinet, délégué à la guerre en 1870, aspire à la revanche et instaure en tant que chef du gouvernement les « bataillons scolaires » en 1882, avec une préparation militaire : exercices physiques, chants patriotiques, initiation aux défilés.

 

Un siècle plus tard, Charles Hernu, reste inspiré par son incorporation à l’âge de 20 ans dans les « Chantiers de Jeunesse », créés par Pétain en juillet 1940. Ses responsabilités en 1944 de délégué de la « Propagande ouvrière » pour le département de l’Isère lui vaudront plus tard un article titré « Veni Vidi Vichy ».

 

Ministre de la Défense de François Mitterrand en juillet 1982, il affirme martialement : « Il faut arriver à l’armée préparés par l’école, le lycée et l’Université. Il faut une symbiose avec l’Éducation nationale : améliorer l’information des jeunes gens et des jeunes filles sur les nécessités de la défense, mais aussi cesser de voir dans les manuels scolaires des passages scandaleusement antimilitaristes. »

 

En septembre 1982, il est à l’initiative du premier protocole « Défense – Éducation nationale » qu’il contresigne avec Alain Savary : « Rapprocher les communautés enseignante et militaire et développer l’esprit et la culture de défense ». Est proposée la mise en place de « trinômes académiques » décentralisés, chargés de la formation des formateurs : académie-autorité militaire territoriale-IHEDN (Institut des hautes études de la Défense nationale).

En 1988, Michèle Alliot-Marie, secrétaire d’État à l’Enseignement, s’en félicite : « L’esprit de défense est inséparable de la formation des citoyens. Le formation des formateurs dans chaque académie devra former à l’esprit de défense les personnels de l’Éducation nationale. »

Écoles, protocoles et « esprit de défense »

Les protocoles vont se succéder sous gouvernements de gauche et de droite pour en améliorer l’efficacité et le périmètre :
→ En janvier 1989, Chevènement et Jospin cosignent la création dans chaque académie :
– dans les IUFM pour les futurs professeurs, une formation initiale sur l’esprit de défense (militaire, civile, culturelle),
– pour les responsables (inspecteurs d’académie, chef d’établissement, professeur d’histoire, conseiller d’éducation), une formation de perfectionnement.
→ En avril 1995, Bayrou et Léotard s’associent pour mettre en place une « Commission nationale Éducation nationale-Défense » chargée de suivre les résultats obtenus. Elle inspire une loi sur le Service national qui institue en octobre 1997 un « parcours de citoyenneté » pour garçons et filles :
– Recensement à 16 ans,
– Préparation à la défense entre 16 et 18 ans,
– Volontariat militaire entre 18 et 26 ans.
À la rentrée 1988, le bulletin officiel de l’Éducation nationale décrète l’enseignement obligatoire de la défense nationale dans le secondaire.
Le directeur de l’enseignement scolaire au Ministère de l’Éducation nationale s’adresse aux trinômes académiques : « Il convient aux 3 partenaires de déterminer ensemble, à l’attention des enseignants, les formes les plus appropriées d’une approche dynamique des questions de défense ».
→ En janvier 2007, c’est au tour de Michèle Alliot-Marie et Gilles de Robien d’étendre le protocole à des coopérations en matière d’enseignement supérieur et de recherche.

Non à l’armée à l’école, mais aussi en deçà et par-delà nos frontières

Après les attentats de 2015, l’État appelle à une « grande mobilisation de l’école pour faire vivre les valeurs de la République ».
En mai 2016, Jean-Yves le Drian et Najat Vallaud-Belkacem appellent en renfort Stéphane Le Foll pour parapher le 5ème protocole, le Ministre de l’Agriculture intégrant les 190 000 élèves de l’enseignement agricole : « L’action conjuguée et inédite de ces trois ministères contribue à renforcer le lien entre la jeunesse et la défense, dans un contexte national marqué par la nécessité d’accroître la cohésion républicaine et citoyenne. »
Cette fois le champ d’intervention s’étend à l’école primaire, pour laquelle « l’enseignement de défense vise à améliorer la connaissance des missions des militaires et de la Défense par les élèves les plus jeunes. Il vise à faire comprendre que les militaires servent la Nation et que leurs spécificités sont liées à leurs missions dont les objectifs sont arrêtés par le pouvoir politique. »
Dans le secondaire, à la place des classes vertes, des « classes de Défense » permettent visite de sites militaires et participation aux commémorations avec drapeau national. Des « pratiques pédagogiques sportives avec les armées » rappellent les « bataillons scolaires » d’antan.
Pour favoriser l’insertion des jeunes (Engage-toi !), particulièrement dans les lycées professionnels et les quartiers « défavorisés », les stages en entreprise peuvent être accomplis dans l’armée, et des élèves-officiers peuvent parrainer des élèves de lycée.
Dans l’Enseignement supérieur et la Recherche, dans de nombreux domaines la coopération avec l’armée doit se développer : géopolitique, intelligence économique, capacités technologiques…
Ainsi toute la jeunesse doit communier avec les actions de l’armée en France et dans le monde : « Faire percevoir concrètement les intérêts vitaux ou nécessités stratégiques de la Nation, à travers le présence ou les interventions militaires qu’ils justifient ; comprendre le cadre démocratique de l’usage de la Force et de l’exercice de la mission de défense dans l’État républicain. »

  • Roman national et Garde nationale

Pour le protocole, la fabrication artificielle d’un « roman national » doit être au service de l’État-Nation, non de la réalité : « La construction d’une mémoire collective porteuse des valeurs de la République suppose de la distinguer de l’histoire proprement dite, dont la finalité est la recherche de la vérité. »

Le collectif de Belleville « Non à l’armée à l’école » répondait par avance en 1983 à ces manipulations : « Un peuple fort aura l’esprit libre et critique, un peuple embrigadé sera toujours faible et à la merci de tous les pouvoirs ».

Que l’on soit enseignant.e ou parent, la Charte du Mouvement de l’École moderne (Pédagogie Freinet) d’avril 1968 reste d’actualité :
« L’éducation est épanouissement et élévation et non accumulation de connaissances, dressage ou mise en condition. Nous sommes opposés à tout endoctrinement. Nous ne prétendons pas définir d’avance ce que sera l’enfant que nous éduquons, nous ne le préparons pas à servir et à cautionner le monde d’aujourd’hui mais à construire la société qui garantira au mieux son épanouissement. Nous nous refusons à plier son esprit à un dogme infaillible et préétabli quel qu’il soit. Nous nous appliquons à faire de nos élèves des adultes conscients et responsables qui bâtissent un monde où seront proscrits la guerre, le racisme et toutes les formes de discrimination et d’exploitation. »

Le Service national universel est dans le prolongement de tous ces protocoles, mais Macron y ajoute une précision importante : « Le service national servira en cas de crise à disposer d’un réservoir supplémentaire de la Garde nationale ». C’est en juillet 2016 que François Hollande la reconstitue en regroupant des réservistes des armées, de la police et de la gendarmerie (85 000 personnes en 2018).

Quelle crise sociale craint donc un État qui apparaît de plus en plus régalien (« État dont la principale mission est de faire régner l’ordre par la police, l’armée et la justice ») aux yeux de plus en plus de personnes, et pas seulement des habitant.e.s de Bure, des Gilets jaunes et des populations du Sahel ?