lundimatin : Pour celles et ceux de nos lecteurs qui n’ont pas suivi les derniers épisodes de vos aventures, votre assignation à résidence a récemment été déplacée à Aurillac dans le Cantal afin que vous soyez plus proche ou du moins, moins éloigné de votre famille. La presse locale rapporte que ce samedi, une manifestation d’extrême droite menée par Génération Identitaire s’est tenue près de chez vous, pouvez-vous nous raconter ce qu’il s’est passé ?Kamel Daoudi : Samedi 31 août, aux alentours de midi, j’étais chez moi et j’ai entendu des gens crier.Interpellé par le bruit dans un quartier habituellement calme, je me suis rapproché de la fenêtre. J’ai alors pu entendre que l’on scandait mon nom. Deux personnes munies de mégaphones faisaient répéter à une cinquantaine d’autres des slogans orduriers du type : « Kamel Daoudi, toujours islamiste, on vient te chercher chez toi. Kamel Daoudi, maintenant c’est fini, tu retournes en Algérie » (sur l’air de la « chanson de Macron ») ou autres « Kamel Daoudi, retourne en Algérie », « Islamistes hors de France, expulsion en urgence.  », « On est chez nous ; on est chez nous ». Au vu de leur répertoire pour le moins connoté politiquement et malgré le fait qu’ils tentent de se faire passer pour des Gilets-Jaunes en détournant la désormais célèbre « chanson de Macron », j’ai tout de suite compris qu’il s’agissait d’un groupuscule d’extrême-droite. En regardant par la fenêtre, j’ai effectivement pu me rendre compte que cette petite foule haineuse brandissait de grandes pancartes à mon effigie avec la mention « terroriste » et leur logo « Génération Identitaire », tout cela encadré par des fumigènes.
A un certain point, j’ai entendu que les esprits s’échauffaient et j’ai crains que ces nervis d’extrême-droite prennent à partie mes voisins. J’ai appris par la suite que c’est effectivement ce qui s’était passé. Comme ils étaient attroupés à proximité de la maison d’une famille dont l’un des fils est autiste. Le jeune homme connu dans le quartier a été apeuré par les cris de la foule et voyant son père et son frère sortir précipitamment de la maison pour savoir ce qu’il se passait, il les a rejoint avec ses couverts à la main laissant son déjeuner sur la table. Son père a donc demandé aux « manifestants » ce qu’ils faisaient devant chez lui, il s’est alors fait agresser verbalement.

Ses actes ont par ailleurs confirmé ses paroles. A ma connaissance, M. le maire n’a pas jugé bon de saisir le procureur de la République pour dénoncer les agissements des groupuscules d’extrême-droite, par contre, il s’est empressé d’écrire au préfet pour demander à ce que je sois changé de quartier « voire de ville ».

M. Mathonnier, maire d’Aurillac précise dans le même journal que « Monsieur Daoudi n’est pas une victime, ce qui n’excuse en rien ce qui s’est passé ce matin, mais un coupable ». Avez-vous une idée de ce qu’il entend par là ? Comment s’est passée votre intégration dans cette nouvelle commune ? Oui, cela recoupe ce que je disais plus tôt quant aux termes choisis par les journalistes. La qualification « terroriste » n’est pas seulement pénale, c’est un stigmate social et politique, une marque indélébile. M. le maire sait parfaitement que j’ai été arrêté il y a 18 ans, jugé, condamné et que j’ai purgé ma peine depuis plus d’une décennie. Il n’ignore par non plus que si les services de renseignement avaient eu quoi que ce soit à me reprocher depuis, ils m’auraient bien évidemment inquiété. Mais pour lui comme pour certains journalistes, je serai éternellement « terroriste » et donc « coupable ». En cela, leurs déclarations comme les mots qu’ils choisissent rejoignent tristement et précisément ceux des militants d’extrême-droite : « Kamel Daoudi, toujours terroriste. On vient te chercher chez toi. » Faut-il préciser que selon les règles élémentaires de l’état de droit, la culpabilité éternelle n’existe pas. Si comparaison ne vaut pas raison, aucun journaliste ne s’aventurerait, par exemple, à présenter Alain Juppé comme l’ancien-premier-ministre-voyou-reconnu-coupable-de-corruption. Sans verser dans le populisme, je vous laisse faire la liste de celles et de ceux de nos gouvernants que l’on ne résume pas à leurs turpitudes judiciaires passées ou présentes.

Aussi, je tiens à préciser un constat qui me tient à cœur. Ce qu’il y a d’effarant dans une situation comme celle de samedi dernier, c’est le décalage que l’on peut voir entre deux réalités. D’un côté, celle des militants d’extrême-droite et des hommes politiques, anxieuse, anxiogène et essentiellement fantasmatique. De l’autre, la réalité du quotidien de mes voisins qui croient davantage ce qu’ils voient et vivent que ce que leurs rapportent les médias ou les rumeurs et ragots. C’est inquiétant et rassurant à la fois. Et donc pour répondre à la dernière partie de votre question, j’ai de très bons rapports avec mes voisins et je les remercie chaudement de leur soutien.