On se souvient encore avoir écumé les assemblées, les rues furieuses, les blocages, les places occupées. On se souvient s’être plongé.e.s dans les affiches, les tracts et les journaux. Nous étions candides, de mots et de rencontres, avides et impatientes d’en découdre avec ce monde qui nous a vus naître et qui nous fait crever chaque jour un peu plus. Biberonné.e.s par la moral de classe, on avait approché travailleurs et travailleuses. N’étaient-iels pas antologiquement nos alli.é.e.s ? On rêvait Haymarket alors que pour la plupart c’étaient pouvoir d’achat et bonne retraite. On voulait foutre le feu, iels voulaient trimer mieux. On était trop rétives au travail pour ne pas déchanter au contact des exploité.e.s. Ce texte est l’écho lointain des incendies nocturnes du 14 et du 16 mai. Ce sont des attaques contre le travail, bien sûr, mais aussi contre celleux qui contribuent à ce que tout ça perdure.

St Étienne, 2h du mat’.                                                                                                                                                               A pas feutrés, on s’approche du site de ce monstre des travaux public. Le portail est ouvert. On hésite, on a peur mais bientôt l’appétit d’action dissipe nos appréhensions. On entre puis ce sépare. Chaque membres du raid sait ce qu’iel doit faire. Subtil mélange d’anticipation et d’improvisation. Chacune prépare des véhicules, d’entreprise ou de particuliers, on ne fait pas de distinction. Quelqu’une lance le signal. Soudain aux lumières des spots s’ajoutent celles des flammes. On s’ameute et s’enfonce dans la nuit.

Ce qu’on a détruit là s’assimile aux moyens de productions. La moral de classe dit que la classe laborieuse, et elle seule, peut saboter lesdits moyens dans une logique de rapport de force avec la classe exploiteuse. Exceptions faites de quelques épisodes luddites, le sabotage n’a jamais atteint de véritables intentions et intensités destructrices. La même moral insiste par ailleurs pour que la classe laborieuse se réapproprie les moyens de productions. On va pas bavarder d’exemples historiques parce-qu’on s’en fout. Les aéroports, les taules ou les autoroutes du peuple on les déteste de toute façon. Les moyens de productions qui les rendent possibles ne doivent connaître qu’annihilation. Et on va pas attendre que les exploité.e.s aient une révélation pour armer nos résolutions. La lutte des classe est une arnaque, toutes se réalisent par le travail. Profits et pouvoirs pour les un.e.s, salaires pour les autres. Communauté d’intérêts imprescriptibles. Cogestions. Et tu voudrais qu’on marche le 1er mai au milieu de cette foule qui daube et qui rampe ! Non, nous on enrage contre le travail car ses nuisances défoncent nos existences.

Une belle lune amorce sa descente au dessus de Saint Julien Molin Molette. En plus de ces bonbons, ce village du Pilat tire son renom d’un projet d’extensions de carrière et de son opposition local. Peut être cela explique-t-il l’importante présence de caméras et de spots sur le site. Du piémont au sommet, des ordures font saigner la montagne.                 En pénétrant sur les lieux, on frissonne devant cette plaie ouverte, verticale.Faute de pouvoir soigner cette déchirure minéral, on vient infliger aux engins et algecos un préjudice maximal.

C’est délicat d’écrire sur la responsabilité, plus encore quand elle devient individuelle. Pour notre part, on essaye de naviguer entre les rives doctrinaires du libre arbitre et du déterminisme absolu. Celleux malheureusement échoué.e.s sur l’une ou l’autre berge constituent de bonne balises pour orienter notre esquif. Nous admettons que dans des proportions fort variables, l’individu.e est toujours responsable de sa conduite.                                                                         Au-delà du rôle qu’elle joue pour sa classe, la « force de travail » conserve sa subjectivité et son pouvoir d’agir dans toute situation. Et là où vit sa puissance, réside aussi sa responsabilité. Qui se reconnaît dans ces prémices peut commencer à détourner les yeux de l’État et du capital et percevoir les innombrables responsables ordinaires.                                             Qui verrouille des portes. Qui fouille des corps. Qui attribue des notes. Qui expérimente en laboratoire. Qui roule dans tous le pays pour vendre du soda. Qui prescrit automatiquement des médocs, qui dort avec son uniforme de soldat, qui traîne son caddie, qui conduit un 32 tonnes, qui part au ski, qui installe des digicodes. Qui prend le métro, glisse dans la rue, rampe au bureau, rentre de l’usine, s’imbibe de bière, esclavagise sa femme, bouffe au resto, suis la mode, consomme les infos, s’endort pour une petite mort. Avant d’avaler 3 cafés et de tout recommencer. 8H par jour, 250 jours par an, 40 ans de la vie.                                                                                                                                                                                     Pour un salaire, les responsables ordinaires aggravant l’état de tous alentours, assassinant leurs beautés jusqu’à en faire pleurer la terre. Hélas, les grégaires du travail ne saccagent ni leur site ni leurs moyens de productions. On va donc continuer à le faire. Pas parce que c’est nécessaire.

Dans 2 jours de nouveaux véhicules de Vinci dormiront sur l’asphalte. Dans une semaine la carrière remettra en branle sa machine à extraire. Nos actes sont aussi inutiles que leurs conséquences éphémères. Et qu’importent les émules puisqu’il n’y aura pas de chaos. Nous n’attaquons que pour nous même. Pour faire et refaire l’expérience intime de notre refus du monde. Nos vie prennent sens et consistance qu’en ces poignées de secondes.

 

Des rapaces du Rajas