Depuis plusieurs années maintenant et plus particulièrement depuis le mouvement des « gilets jaunes », chacune et chacun à notre manière, mais toujours dans une démarche d’information, nous sommes sur le terrain quotidiennement pour documenter l’actualité. De par notre métier de journalistes, nous sommes souvent en première ligne, au cœur de luttes sociales et parfois des confrontations entre les manifestant·e·s et les forces de l’ordre. Nous sommes exposé·e·s, nous le savons et nous l’acceptons.

Mais nous constatons qu’au fil de l’intensification du mouvement social et de ses violences, notre travail est devenu de plus en plus risqué, difficile, voire impossible. Nos conditions de travail se dégradent. Nous constatons que ce n’est pas majoritairement du fait des manifestant·e·s, mais bien largement du comportement des forces de l’ordre elles-mêmes.

Depuis trois ans maintenant, nous assistons à une volonté délibérée de nous empêcher de travailler, de documenter, de témoigner de ce qu’il se passe pendant les manifestations. Nous sommes de nombreux·ses journalistes à nous en plaindre.

Par violence, nous entendons : mépris, tutoiement quasi systématique, intimidations, menaces, insultes. Mais également : tentatives de destruction ou de saisie du matériel, effacement des cartes mémoires, coups de matraque, gazages volontaires et ciblés, tirs tendus de lacrymogènes, tirs de LBD, jets de grenades de désencerclement, etc. En amont des manifestations, il arrive même que l’on nous confisque notre matériel de protection (masque, casque, lunettes) en dépit du fait que nous déclinions notre identité professionnelle.

Plus récemment, un cap répressif a été franchi. Plusieurs confrères ont été interpellés et placés en garde à vue pour « participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations », alors même que nous nous déclarons comme journalistes. Par ces faits, la police et la justice ne nous laissent ainsi que deux options :

– venir et subir une répression physique et ou judiciaire ;

– ne plus venir et ainsi renoncer à la liberté d’information.

Dans son rapport de mars 2019, Michelle Bachelet, la Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, rappelle la France à l’ordre. Elle dénonce l’usage excessif de la force, notamment des lanceurs LBD 40 lors des manifestations des « gilets jaunes ». Amnesty International et Reporters sans frontières (RSF) dénoncent les violences policières contre la presse. David Dufresne décompte au moins 85 agressions visant spécifiquement les journalistes parmi les 698 signalements qu’il a recensés depuis le début du mouvement des « gilets jaunes ».

Nous rappelons que le rôle de l’État dans une démocratie n’est pas de définir le cadre de la liberté de la presse. Ce n’est ni à l’exécutif ni au législatif de décider de notre façon de travailler. Comme le rappelle la Charte éthique des journalistes, nous n’acceptons que la juridiction de nos pairs. La liberté de la presse est une et indivisible.

La grande majorité d’entre nous sont indépendant·e·s et précaires. Au regard des réalités économiques de notre métier, la carte de presse est devenue extrêmement compliquée à obtenir, bien que nous publions régulièrement dans les plus grands titres de la presse nationale et internationale. Notre quotidien, c’est la mise en concurrence, le dumping, les horaires non majorés, les journées fractionnées.

Or, les forces de l’ordre demandent systématiquement la détention d’une carte de presse pour nous permettre de travailler, quand bien même elles ignorent partiellement ou totalement la législation entourant notre profession. Pour rappel, le journalisme n’est pas une profession réglementée. Ce n’est pas la carte de presse qui justifie ou non de notre profession. La carte de presse n’est qu’un outil dont l’obtention est sous-tendue à une obligation fiscale.

C’est pourquoi nous exigeons du gouvernement qu’il prenne les mesures nécessaires pour que les forces de l’ordre cessent de nous harceler et nous laissent travailler librement.

La France, pays des droits de l’homme, est aujourd’hui classée en 32e position du classement mondial de la liberté de la presse par RSF. La récente convocation de trois journalistes de Disclose et Radio France par la DGSI après leurs révélations sur l’implication de l’armement français dans la guerre au Yémen renforce nos inquiétudes.

En nous exprimant publiquement par cette tribune, nous revendiquons notre droit à informer et le respect de la liberté de la presse. C’est pourquoi, au-delà des violences que nous subissons dans l’exercice de notre métier, nous demandons à la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels·les (CCIJP) de tenir compte de l’évolution de nos métiers. En nous attribuant une carte de presse, la CCIJP marquerait sa solidarité avec les plus précaires d’entre nous et ferait un geste politique fort en faveur de la liberté de la presse en France.

Retrouvez ci-dessous la liste des signataires :

https://www.acrimed.org/Des-centaines-de-journalistes-denoncent-la