CONTRE LE GENRE, CONTRE LA SOCIETE

 

« On ne remédie pas à l’exclusion par l’inclusion mais par l’attaque des forces qui excluent, qui sont nombreuses et sont rarement entièrement sous notre contrôle. » (Ignorant Institute Research, « Comment détruire le monde », 2012)

 

Le genre est un outil de guerre. Il y a une guerre menée contre nos corps, nos esprits et le potentiel de nos relations : la guerre sociale.

Qu’est ce que le genre, qu’est-ce qu’être genré-e ? Ces genres sont des catégories socialement construites qui correspondent à une nébuleuse de paramètres comprenant les comportements, sexualités, apparences, rôles sociaux-culturels, corps etc.

Les genres se matérialisent différemment selon les différents espaces, temporalités, individu-e-s. Certain-e-s vont éprouver le genre comme très restreignant, alors que d’autres ne se heurteront jamais aux limites que leur genre leur impose. Ce genre est inexorablement connecté à la sexualité et les deux se façonnent et se définissent perpétuellement l’un l’autre. Les deux genres tes plus communément imposés sont homme/mâle et femme/femelle, et s’en extirper, se mouvoir à travers eux ou les attaquer invoque les différentes instances exécutives et répressives de la société. Le genre bénéficie à celleux qui veulent nous socialiser, nous contrôler et nous diriger, sans rien nous offrir en retour. À chaque fois qu’une personne est scrutée, détaillée et genrée, la société l’attaque, la confine, part en guerre contre elle.

La guerre sociale est le conflit qui englobe toute la société. C’est la lutte contre la société, c’est-à-dire contre toutes relations existantes. La tendance à l’auto-destruction à l’intérieur de la société appelée : « comportement anti-social »[1], le désir d’obéir et de commander, les actes de rébellion et les actes de renforcement, les émeutes et les retour au travail sont les attaques et contres-attaques de cette guerre. La guerre sociale est le combat entre celleux qui souhaitent détruire cette société et celleux qui la maintiennent. Le chaos contre le contrôle. Le néant et le potentiel contre tout et l’existant. Tout ce qui maintient cette société nous isole les un-e-s des autres ; chaque coup porté contre le contrôle et la domination est un pas vers l’autre, un pas en retrait de nos identités imposées, de nos aliénations et vers des possibilités infinies. Parce que la société est partout, le seul moyen de lui échapper est de gagner la guerre sociale : détruire la société. Le genre est l’un des fronts sur lequel la guerre sociale se combat.

Le genre lui même est utilisé comme un outil pour centraliser et coloniser. En se déplaçant hors d’europe pour de plus larges projets coloniaux, les européen-ne-s ont apporté-e-s leurs idées et conception du genre. La famille nucléaire et les genres spécifiques et les sexualités qu’elle requiert étaient étrangers à de nombreuses cultures non-occidentales qui forment des familles suivant une multitude d’autres façons. La famille nucléaire est une unité qui se moule plus facilement dans le récit social des cultures occidentales dominantes ; elle s’inscrit aisément dans les dynamiques de pouvoir patriarcal. Au sein de la famille nucléaire, le patriarche fait le travail du colon : socialisation, police des comportements et des rôles, et bien sûr l’exécution et la reproduction de genres capables d’exister le plus pacifiquement possible au sein des hiérarchies occidentales. L’essor de l’église et la diffusion du christianisme ont joué un rôle important dans la diffusion de la famille nucléaire et dans la conception occidentale du genre et de la sexualité. Certaines populations ont acceptées le christianisme en l’intégrant à leur culture à différents degrés alors que d’autres ont été violemment forcées à « l’accepter ». Ce n’est pas pour dire que le genre n’existait pas sous certaines formes en dehors du colonialisme et des cultures occidentales. D’autres forces rentrent certainement aussi en jeu pour définir et restreindre ce qu’est le genre, mais ce qui est certain, c’est que l’idée actuelle « universelle » et « naturelle » du genre provient aujourd’hui en partie du colonialisme et du besoin de centraliser et contrôler les formes de vies non-occidentales.

La binarité trans/cis nourrit aussi le colonialisme et la centralisation, assimilant et catégorisant toutes les identités autres que la sienne. Comme toutes les formes de représentation, la binarité trans/cis en tant qu’ensemble de catégories globalisantes est à la fois réductrice et inadéquate. Il y a des genres qui ne sont pas cis mais ne se situent pas dans l’éventail trans. Mais en dépit de cela on présume comme trans n’importe qui qui n’est pas cis et vice versa. Une avant garde LGBTQ s’est déplacée pour assimiler tous les genres « inhabituels » et même l’absence de genre dans la transitude. Cela ne laisse aucune place à quiconque pour se positionner en dehors de ces catégories. Cela s’applique souvent de manière coloniale, en interprétant les genres non occidentaux pour les rendre intelligibles et gérables par les récits occidentaux LGBTQ de genre et de sexualité.

Aucune de nous n’appartient à un genre en dehors du contexte de la guerre sociale. Autrement dit, le genre est une contrainte sociale sur nous, un moyen de nous garder sous contrôle (en limitant ce qui est acceptable pour qui que se soit genré-e de quelconque façon que se soit). L’existence même de personnes trans de toutes trempes (et particulièrement de personnes non binaires) et des corps intersexués qui entravent les efforts d’attribution de genres à des caractéristiques anatomiques remettent en cause le récit selon lequel le genre comporte deux catégories biologiques stables découlant de corps sexués de manière spécifique. Ces réalités nous poussent à reconnaître que le genre est quelque chose qui nous « arrive » et non pas quelque chose que l’on est de manière inhérente ou « naturelle ».

Chacun-e de nous est un vaste et inqualifiable rien, une singularité infiniment puissante. Nous imposer un genre, ou même une identité, ne peut qu’au mieux nous étouffer et au pire nous détruire. Tenter de nous définir échouera toujours. Aucune catégorie ne peut pleinement nous contenir ; n’importe quelle identité nous restreindra forcément. Par conséquent, nous devons nous opposer aux identités. Cependant, il serait insensé de nier les conséquences matérielles des mythes de l’identité, ces mythes font après tout partie des fondements des oppressions. Quiconque que l’on déclare être une femme, sera traité-e « comme une femme » malgré le fait que les femmes ne partagent rien de plus entre elles que le mythe de la féminité et la violence sociétale qui accompagne ce mythe. À chaque fois que l’on est genré-e, la société tente de nous limiter à certains comportements et rôles, à certaines actions et apparences. Les femmes sont bienveillantes et faibles, les hommes sont insensibles et forts. Le genre nous vole notre potentiel à être et à faire n’importe quoi, puis nous offre un éventail limité de rôles, actions, apparences et comportements empaquetés en une catégorie sociale spécifique. On a un potentiel d’« être » illimité, mais le genre est ce mythe qui nous dit que l’on est une chose spécifique et seulement cette chose. Toutes les caractéristiques qu’« offrent » les différents genres sont des traits que l’on peut incarner par nous même, sans l’imposition du genre.

Se comporter d’une façon qui est vue comme en dehors du champ des genres qui nous sont imposés va inévitablement engendrer de la répression. Que cette répression se manifeste par un rire gêné d’un-e proche ou comme un passage à tabac et une lourde peine de prison, dépend du contexte. Quoi qu’il en soit, aussi longtemps que le genre restera intact, nous serons limité-e-s à des listes d’actions qui sont acceptables pour le genre par lequel on est perçu-e-s, sous peine d’affronter une violence correctionnelle. Nous n’avons rien à gagner au fait d’être genré-e qui ne provienne pas soit d’une conformité à nos propres genres soit qui serait le bénéfice provenant d’un contrôle ou d’un renforcement des genres des autres.

Ceci étant, l’on ne gagne rien du genre qui ne soit pas basé sur le fait de contrôler les autres ou de se limiter soi-même. De surcroît, tous les genres renforcent et perpétuent des hiérarchies. En termes de hiérarchies, être cis et être un homme sont centraux, priorisés, valorisés. Genrer à pour conséquences d’approcher ou d’éloigner les gens du centre, de les placer au-dessus ou en-dessous les un-e-s des autres. Du fait de la manière dont les genres sont définis dans la société, ces derniers ont plus ou moins de valeur. Ceci, combiné avec le fait que personne ne peut échapper à sa socialisation, amène à la perpétuation constante des hiérarchies de genres par tout-e-s. Chaque genre existe à une intersection entre assujetti-e-s et assujettissante/dominé-e-s et dominant-e-s. Des combinaisons de genre, race, cis- et transitudes et une multitude d’autres facteurs créent une position de sujet à partir de laquelle il est possible à la fois d’oppresser et d’être oppressé-e. Ces hiérarchies ont toujours été de pair avec le contrôle et la domination. Le genre est juste une autre facette du contrôle hiérarchique, de la guerre sociale.

Alors que certain-e-s font des demandes à la société pour concilier, respecter et même égaliser les genres, nous devons voir au-delà de l’égalité des genres et l’inclusion des genres et détruire tout ce qui perpétue ou impose le genre. On doit se retourner contre la société elle-même. Le genre est une guerre contre nous tou-te-s, et pour celleux qui désirent la liberté, rien de moins que l’éradication totale du genre ne peut suffire. A celleux d’entre nous qui souhaitent abattre toutes les barrières entre nous plutôt que d’être aliéné-e-s les un-e-s des autres (et de nous-même) à cause de rapprochements que n’avons jamais choisis, à celleux d’entre nous qui souhaitent accéder à tous nos potentiels d’actions, notre potentiel à tout devenir plutôt que de suivre le rythme des limites de genres que l’on sait inadéquates, nous disons : détruisons la société, détruisons le genre.

 

nila nokizaru

1 – NTT : fait référence à la loie anglaise : « anti-social behaviour order » ASBO, introduite en 1998, qui cible quiqonque sort des normes en criminalisant de manière volontairement très large des comportements considérés comme incivils.