«O gentilhommes La vie est courte, si nous vivons, c’est pour marcher sur la tête des rois ».

Un non-sujet, l’antisémitisme à gauche ?

Depuis quinze ans nous sommes quelques uns à avoir l’impression, au contraire qu’on n’a fait que parler des Juifs. Sans doute est ce une question d’accoutumance, qui fait que le vacarme constant devient un bruit de fond quasi-invisible aux yeux des militantEs.

Jusqu’à ce qu’ils subissent eux même le bruit. Les cris et les huées. A ce moment très précis, où ils ont essayé de parler du « problème », à une manifestation pourtant censée avoir lieu contre l’antisémitisme. A ce moment précis, où ils ont essayé de briser le silence qu’ils croyaient entendre et ont pu voir qu’il s’agissait en fait d’une haine plutôt tonitruante. Soit très exactement ce qui est arrivé aux auteurs du texte paru dans la revue Vacarmes, et qui s’adresse un peu à nous.

Aller parler d’antisémitisme à gauche dans une manifestation appelée par les antisionistes, comme ces derniers, pourquoi? Dans cette partie de l’extrême-gauche où parler de l’antisémitisme, c’est depuis quinze ans, dire trois mots vite faits sur combien c’est grave mais pas souvent, avant de parler « d’instrumentalisation » par les « sionistes », par le pouvoir, par les « racistes », par les « médias »? Bref dresser la longue liste de tous les cas où parler d’antisémitisme est suspect, insupportable et contre-productif. Longue liste qui ne connaît guère d’exceptions.

Ca fait longtemps que nous n’avons plus rien à faire, là. Là, dans cette partie de l’extrême-gauche qui a choisi son camp et bruyamment.

En 2004 avec Dieudonné. Pour certaines, nous n’avons qu’un souvenir étonné de ce moment. Etonné, pas encore totalement écoeuré. Pour certains, nous avons vu ce « sketch » et l’avons trouvé évidemment antisémite, tout simplement parce que Dieudonné transpirait évidemment la haine, grimé en Juif de caricature, nous n’avons même pas pensé au contexte éventuel, pas plus que nous n’y aurions pensé pour les sketchs de Michel Leeb. Mais les jours suivants, il y avait eu tous ces appels à le défendre, qui expliquaient que tout cela était lié à Israël, appels signés par des organisations communistes, anarchistes, approuvés par plein de camarades. PrisEs par d’autres luttes, désorientéEs et mal à l’aise, nous nous sommes tus après quelques remarques naïves qui nous avaient valu une colère noire de camarades de longue date. Nous n’avions rien compris, nous nous faisions complices de la télé et ennemiEs de la Palestine. Devant cette colère sûre d’elle-même, nous avions été lâches, nous pensions que ça passerait, que c’était un malentendu, et nous nous étions contentés de ne pas aller soutenir Dieudonné, parce que tout de même, ce sketch était antisémite, de cela nous étions sûrs.

Ce n’est pas passé. Petit à petit, on a commencé à beaucoup parler des Juifs dans notre camp. Il y avait ces noms qui, désormais revenaient de plus en plus souvent. Ca paraîtra aujourd’hui extraordinaire, mais au début des années 2000, nous étions des centaines de militants à ne jamais parler de Bernard Henry Levy ou de Finkielkraut ou de Jacques Attali. Nous connaissions leur nom. Simplement, pour nous, il n’étaient que des noms parmi mille, ceux de tous les éditorialistes, les écrivains, et les politiques qui soutenaient le capitalisme. Nous étions d’extrême-gauche avec une vision simple du monde, divisé en deux, ceux qui soutenaient les luttes sociales et ceux qui ne les soutenaient pas, et passaient à la télé. C’était un peu simpliste, mais cela avait quelque chose de sain. Là dedans, nous ne distinguions pas.

Mais dans ces années là, dans notre camp, ces noms ont commencé à revenir tout le temps, et au bout d’un moment, ça a commencé à devenir gênant. Ce truc que c’était souvent des Juifs, quand même. « Ben oui mais ce sont des sionistes », commença-t-on à nous répondre.
Aussi bizarre que cela soit, nous étions des centaines de militantEs à ne pas savoir ce que ça voulait dire à ce moment là. Oui, nous savions pour la Palestine. Nous étions d’extrême-gauche, nous pensions que le capitalisme générait l’oppression et la guerre partout. Nous allions donc à mille manifs, « en soutien » aux opprimés, contre la guerre. Ou nous n’y allions pas, car nous avions une autre manif ou une autre action, nous étions une génération d’activistes, avec toujours quelque chose à faire contre.

La Palestine est devenue centrale. Où plutôt l’antisionisme. De la Palestine, en effet, on parlait bien peu, en tant qu’endroit réel, la question c’était toujours Israël et de par le monde, ceux qui soutenaient Israël.
A l’extrême-gauche, nous avons toujours été du camp du Bien. Toujours prompts à interroger ceux qui ne faisaient pas contre le Mal. Mais le Mal avait changé de centralité. Ce n’était plus le MEDEF, plus la société du spectacle. Les suspicions de trahison désormais, c’était avec le CRIF, les sionistes ou BHL. Et les complicités autorisées aussi ont changé.

Dans ces années là, nous avons vu apparaître des noms que nous ne connaissions pas, une nouvelle fois. Des gens qui n’étaient pas de notre camp et qu’il fallait soutenir: Jean Bricmont, qui n’avait rien d’un mec d’extrême-gauche. Paul Eric Blanrue qui avait écrit un livre « Israël, Sarkozy et les Juifs », dont il apparaissait qu’il était censuré mais qu’on voyait partout. Le sous-préfet Guigue et cela restera un grand moment de notre histoire militante, défendre un sous-préfet, mais qu’est ce que c’est que cette histoire ? Et bien il était antisioniste.
Passion triste. Irrépressible

Et puis le premier mort. Ilan Halimi. Et le gouffre qui s’agrandit brusquement.
De fait, nous aurions pu -juste- ne rien dire. Ce meurtre là dépassait nos cadres de pensée, les brisait un peu en mille. Ce meurtre là pouvait imposer simplement le chagrin politique, la dévastation totale, et donc le silence, et donc un non-sujet, oui.

Mais c’est bien pire qui se produisit. La passion triste, le bruit pour nier l’antisémitisme, le réduire aux préjugés contre les Auvergnats, il y eut même cela , et le texte d’Esther Benbassa fut partagé avec enthousiasme, parce que notre camp n’avait en tête qu’une chose: dénoncer, déjà, l’ « instrumentalisation ».

Il y a les choses qui se disent en politique et puis il y a les pensées et les ressentis, suspendus au dessus de nos têtes. Après Ilan, cette idée qui reviendrait aussi lorsque Mohamed Merah tuerait, les victimes d’antisémitisme suscitaient difficilement la compassion et facilement le rejet. Parce qu’elles étaient l’ « instrument » de l’Ennemi, son outil, son arme, et à partir de là l’objet du délit, avec lequel on n’empathise jamais.

2009. L’année qui commence par cette horreur indélébile, le négationniste Robert Faurisson avec Dieudonné sur la scène du Zénith. Et le silence, pendant des jours, dans notre camp, personne n’avait rien à dire contre cela. Le silence tellement pesant, pour ceux qui savaient: au début des années 80, Robert Faurisson avait comme fidèle compagnon de route une figure très connue de la gauche radicale, Pierre Guillaume, qui avait tenu une des librairies les plus courues de notre courant dans les années 70. Robert Faurisson, le négationniste avait été défendu dans nos rangs par des militants plutôt connus qui étaient toujours là. Et sur scène, il était avec celui qui était issu de la gauche antiraciste et qui avait, lui aussi, été défendu bien après des propos antisémites abjects.

Il nous aura fallu, à quelques camarades, un événement aussi terrible, pour que nous osions non pas briser le silence mais affronter le bruit et les huées.

Luftmenschen. Les gens de l’air. Libres et les poches vides. Vidées plutôt, car nos premiers textes nous ont dépouillés de beaucoup de liens qui nous étaient précieux, coupés de notre camp, de nos lieux, de nos manifs, de nos sites. Enfin, de ce que nous pensions nôtres.

Mais c’était bien de se sentir légers. D’avoir dit ce qu’on pensait profondément: que personne n’en avait rien à battre de la Palestine et d’Israël, que l’enjeu était ici, que tout ce cirque antisioniste était un théâtre d’ombres et une allégorie, destiné à mettre en scène de manière acceptable tout le vieux fond antisémite de gauche auquel notre camp ne voulait pas renoncer.

Peu de temps avant nous avions découvert Zeev Sternhell, et dans toute obscurité, il faut se souvenir des petites lumières. Nous nous sentions réinscrits dans une histoire plus que centenaire, dans des cycles politiques où toujours l’antisémitisme de gauche revenait en même temps que la tentation du fascisme. Nous étions d’extrême-gauche, nous avions besoin d’un récit global et l’historien aurait sans doute été horrifié des petits raccourcis que nous faisions prendre à sa pensée. Mais dans ces années là, reparler du général Boulanger, de la jeunesse de Barrès, du cercle Proud’hon ou de Mussolini qui vraiment avait été une sorte de socialiste, c’était nécessaire. Et combattu de toutes parts. Nous étions sionistes et la preuve c’est que Sternhell l’était, nous disait le militant antisioniste pressé. Des historiens qui l’étaient moins trouvèrent le temps de faire un livre à douze uniquement contre les thèses de Sternhell.

Mais de fait, dans le bruit et la fureur, une résistance émergeait. Les antisémites de gauche favorisaient les rencontres en dressant des listes de « sionistes » selon eux unis dans un même complot. Prophétie auto-réalisatrice, eux avaient fait les liens que nous ne faisions pas, chacun persuadé d’être isolé dans notre coin. Et il y eut donc à partir de ce début des années 2010, une toute petite ligne de front contre l’antisémitisme. De toutes petites voix pour aller contre les évidences: refuser le chantage à la liberté d’expression, par exemple, et montrer que l’argument finissait toujours par servir à promouvoir des fascistes. Toutes petites voix qui échangeaient les infos, creusaient les appels consensuels, décryptaient les alliances émergentes de notre camp.

Le texte de Vacarme, à juste titre critique beaucoup la notion de « système ». Mais il le fait en dénonçant essentiellement la complaisance de notre camp vis à vis des tenants de l’anti-système.
Or l’anti-système longtemps vint de nos rangs. Tout autant que de ceux de l’extrême-droite. De même que le conspirationnisme.
Puis virent les révolutions arabes

Il n’y avait pas de « silence » sur les théories du complot, toujours mâtinées d’antisémitisme. Elles étaient un vrai sujet. Celles sur le 11 septembre, celles sur les vaccins, par exemple. C’est très tardivement que l’anti-conspirationnisme est devenu une attitude partagée aussi à l’extrême-gauche et ce fut au prix d’affrontements idéologiques terribles.

Et grâce aux révolutions arabes. En effet, c’est à ce moment là que pour la première fois, l’antisémitisme de gauche apparut pour ce qu’il était, non pas une tension vers l’émancipation, mais le conservatisme le plus terrible, au service de dictatures sanguinaires. Non pas une arme contre l’islamophobie, mais une idéologie qui au contraire pouvait très bien se concilier avec l’islamophobie la plus crasse.

Les révolutions arabes sont ce moment, où dans la gauche radicale, les frères ennemis antisionistes et islamophobes pour des raisons différentes eurent les mêmes positions sur la Libye, sur l’Egypte et sur la Syrie. Ce moment où la dénonciation du « complot sioniste » s’est jointe à celle du « péril islamiste » pour une seule et même théorie: les arabes devaient rester à leur place, et subir.
Du côté antisioniste, c’était inattendu: nous avons été nombreux à être surpris car nous ne mesurions pas à quel point la plupart des antisionistes français étaient dépendants de leurs alliés ailleurs. A quels point ils n’avaient pas d’autre choix que d’être pro-Assad, et pro-Poutine, car de fait, ils l’étaient depuis longtemps déjà. Simplement, face aux révolutions naissantes, ce qu’ils étaient apparaissait désormais évident: des contre-révolutionnaires au service d’un ordre établi, qui valait bien l’impérialisme américain ou n’importe quel autre.

Très concrètement, nos résistances à l’antisémitisme ne devinrent réellement audibles qu’en fonction d’un facteur totalement externe à notre camp, les révolutions arabes qui remodelèrent les positionnements et les alliances. Pour la première fois, des forces diverses commencèrent à considérer que la lutte contre l’antisémitisme n’était pas forcément négative pour une transformation sociale radicale du monde. Pour la première fois, l’antifascisme sans concessions apparut comme une nécessité un peu vaste et la lutte contre l’antisémitisme de gauche radicale, une des composantes du combat contre des forces objectivement pro-dictatures comme la France Insoumise. Pour la première fois, l’alliance entre le discours islamophobe et le discours antisémite apparut avec clarté aux yeux de certaines victimes de ces deux haines.

Cependant, tant il est ancré dans notre héritage politique de gauche radicale l’antisémitisme revient par la fenêtre alors qu’on n’a même pas encore fini de le mettre à la porte.

Alors qu’il connaissait un coup d’arrêt et se trouvait confronté à certaines résistances même dans certaines sphères pro-palestiniennes ET pro-révolution syrienne, c’est sous sa déclinaison « économiste » qu’il revint sur le devant de la scène avec le mouvement des Gilets Jaunes. Mouvement qui fut immédiatement porteur de la rhétorique anti-système, immédiatement au sens littéral, c’est à dire sans le besoin d’aucune médiation.

Car dès son origine, le mouvement était nationaliste, anti-mondialiste, anti-parlementariste, et c’est sans infiltration aucune mais par un phénomène d’adhésion antérieur de beaucoup de ses membres, qu’il adoptait comme théorie politique celles des leaders d’opinion populistes anti-système. Ainsi, Vincent Lapierre, fidèle de longue date de Dieudonné fut immédiatement acclamé comme vidéaste idéal du mouvement, ainsi Etienne Chouard eut la « divine surprise » d’être érigé en inspirateur théorique dans la quasi-unanimité. De la même manière évidente et logique, le discours antisémite non-euphémisé sur les Rothschild se développa très rapidement, non parce que des « infiltrés » d’extrême-droite auraient dévoyé le mouvement originel, mais parce que le discours anti-oligarchie et anti-élites, tout comme l’idée d’un complot unissant Macron à la banque symbole était déjà dans le logiciel de la base des participants au mouvement.

Face à cela, la majorité de la gauche radicale adopte exactement le même discours et la même pratique qu’elle avait eu pendant des années avec le phénomène d’adhésion aux discours soraliens et dieudonnistes sous couvert d’antisionisme: il s’agit d’un mouvement positif par essence, éventuellement « infiltré » par quelques individus d’extrême-droite, qui déclenchaient des « incidents isolés », ces incidents que le « pouvoir » « instrumentaliserait » pour créer un « problème antisémite » qui n’existait pas réellement.

Il ne s’agit pas uniquement d’opportunisme ou de mouvementisme: simplement, l’antisémitisme à prétexte économique s’est aussi diffusé à partir de la gauche radicale. L’association entre la banque Rothschild et Macron, la dénonciation obsessionnelle de certains personnages comme Attali, le remplacement de l’analyse des rapports de domination capitaliste au profit de la dénonciation d’une oligarchie mondialiste est une tendance lourde, tellement lourde qu’elle amène des figures historiques de la gauche radicale comme Gérard Filoche à partager paisiblement un visuel d’extrême-droite d’une très grande violence mais résumant la même thématique.

Par conséquent, cette gauche là ne peut une nouvelle fois qu’adopter la même position que dans le passé face aux manifestations antisémites les plus violentes, qu’elle réprouve, mais comme évènements de bien peu d’importance, et liés à rien, issus de rien. Autant « l’instrumentalisation » va donner lieu à de longues analyses, autant la violence antisémite fait essentiellement l’objet d’une rapide condamnation morale.

Et celles et ceux qui dans notre camp, font autre chose, s’exposent à la vindicte et à des affrontements politiques d’une très grande violence.
Alors que faire ?

Au fil des années, les réponses ont été multiples.

La plus triste d’entre elles a été le silence et le départ vers d’autres rives politiques.
Cela, c’est bien un non-sujet.

Les victimes de cet antisémitisme qui ont été contraintes, faute de solidarité, d’abandonner les idées et les pratiques auxquelles elles croyaient, parce que l’atmosphère était devenue irrespirable.
Cela c’est quelque chose qui, pour certains d’entre nous est à la fois une défaite et le tracé d’une frontière que nous ne franchirons plus jamais. Nos camarades perdus. Par la faute des antisémites de gauche.

La politique ce ne sont pas seulement des idées, ce sont aussi des rapports sociaux.
Toutes ces années, nous avons vu de nouveaux courants se développer qui, à juste titre, développaient des théories et des pratiques censées lutter contre les oppressions internes à nos mouvements. Les difficultés d’être une femme, une Arabe, à l’extrême-gauche, les mécanismes de domination, l’intersectionnalité, tout ça.

Etre Juif et s’entendre dire que l’assassinat d’un jeune Juif, ce n’était pas antisémite ?
Etre Juif et supporter les tirades perpétuelles contre les sionistes qui sont partout ?
Etre Juif et supporter les théories sur le philosémitisme d’Etat ?
Etre Juif et supporter d’entendre qualifier l’agression d’une vieille dame avec des braillements négationnistes, d’incident isolé ?

Des camarades ont renoncé à leur propre camp pour ne plus subir ça.

Et aujourd’hui, il faudrait accepter l’enterrement de première classe pour toutes les prises de positions ultra-minoritaires qui n’ont eu de cesse de combattre l’antisémitisme dans les sphères dites subversives ?

Vacarme nous informe qu’il n’y a eu que silence jusqu’ici, qu’il rompt avec fracas. Les ultra-minoritaires n’ont jamais existé ou si peu vous dit on. Nier la minorité est une tradition politique qui s’accompagne toujours d’une tentation hégémonique et d’une réécriture selon les modalités idéologiques en cours.

Cette opération d’escamotage n’a évidemment qu’un seul but: effacer du tableau pour neutraliser ceux qui depuis des années ne transigent pas ; opération commune de pacification pour que la politique continue. En effet les minoritaires n’ont pas cherché et ne cherchent toujours pas à composer avec la frange antisémite de l’extrême gauche et ses idées, à lui demander de mettre en sourdine ses pulsions mortifères, à mettre au fond du placard ses progénitures soit disant les plus bruyantes quitte à les envoyer à Caracas, à quémander pour que soit pris en compte son ressenti d oppressé par tant de choses blessantes, à s’organiser avec elle. Encore aujourd’hui, les minoritaires combattent la saloperie, ses pratiques et ses théories non pas pour des prébendes ou des points de vie dans le jeu de la politique gauchiste mais pour sa destruction.

La seconde réponse face à l’antisémitisme de gauche, en effet, a été de lui attribuer une source extérieure, ou extrêmement limitée. Notre camp était globalement sain, il s’agissait simplement d’en extirper quelques influences, de reconnaître quelques « erreurs », quelques « non-sujets », d’en discuter paisiblement entre gens de bonne compagnie.

Dans le passé, c’est la conclusion qui fut tirée des aventures pro-négationnistes avec Faurisson ou Garaudy. Au lieu d’interroger le fond très largement partagé qui avait mené des militants à en tirer les conséquences les plus extrêmes, on se contenta de reconnaître que ces conséquences extrêmes étaient une «erreur» et une « connerie ». Décidément oui, défendre Robert Faurisson était une mauvaise idée, assez choquante. On pouvait très bien relativiser sans cesse la Shoah, dénoncer le rôle joué par le « devoir de mémoire » dans la préservation du capitalisme et du sionisme sans pour autant le faire avec un négationniste.

Mais non, on ne pouvait pas, ce que prouva quinze ans après, la collaboration avec Dieudonné. A partir des mêmes horreurs idéologiques, on finissait toujours en même compagnie.

Plus récemment, une autre tendance lourde, en accord avec une vision sociale plus large s’est beaucoup développée. On peut la résumer à « excluons les Indigènes de la République » ou dit plus clairement « c’est les arabes et les islamistes qui ont importé le conflit chez nous ».

Il ne s’agit évidemment pas de défendre les thèses des Indigènes, ni de minimiser les déclarations fracassantes dont ils se firent les spécialistes ces dix dernières années. Simplement, en finissant par aller faire génuflexion chez Maduro, les dirigeants des Indigènes mirent un point final à bien des débats: arabes ou pas, ils étaient bien de cette gauche radicale qui sous couvert d’anti-système et d’anti-impérialisme très orienté charriait avec elle un vieux fond antisémite. Un groupe parmi d’autres, et pas un parasite, et pas un envahisseur étranger et certainement pas le « islamo » de « islamo-gauchiste ». Il n’y a jamais eu d’islamo, et nous avons construit un antisémitisme gauchiste tous seuls.
Troisième piste

C’est de ce « nous » que l’on peut esquisser une troisième piste.

Nous faisons partie de ceux, qui à l’extrême-gauche, n’ont jamais nié ce « nous ». Celui de la responsabilité collective. Nous avons participé à de nombreux collectifs et écrit contre l’antisémitisme de gauche, des centaines de pages. Les auteurs de Vacarme évoquent certains de ces collectifs. Dans un texte qui les présente comme des contributions qui s’opposeraient au non-sujet que serait l’antisémitisme dans une partie de la gauche radicale. Mais à aucun moment, nous n’avons comblé le vide sur un « non-sujet ». Nous avons participé à une guerre fratricide, d’une extrême violence dans le bruit et la fureur et cette guerre ne fait que commencer.

Imposer le sujet de la lutte contre l’antisémitisme à gauche, ce n’est pas ajouter une thématique qui aurait été négligée, ce n’est pas rétablir un équilibre dans un énième deux poids, deux mesures involontaire. Ce n’est pas écrire un article « pour » dans une revue qui publiera dans le même temps un article « contre », et ensuite on en discutera dans une conférence débat entre gens de bonne compagnie, avec le renfort de quelques experts universitaires.

C’est renverser la table, se la prendre en pleine figure, laisser les ex-camarades ramasser les restes et faire le pari de la table rase. Regarder le désastre en face et se dire plus jamais ça, pas en mon nom. Faire le pari d’un nouveau départ, pour la cent millième fois dans l’histoire de la gauche radicale.

Concrètement, ce pari là, depuis quinze ans, se traduit évidemment par une réalité un peu moins lyrique que le paragraphe qui précède. Essentiellement quelques textes, par ci par là, des batailles idéologiques féroces en commentaires sur les réseaux sociaux, des vendredi soir où on se demande si on ne va pas se faire casser la gueule à la manifestation du samedi. L’autre extrême-gauche, l’internationale du genre humain débarrassée de son vieux compagnon de route, l’antisémitisme de gauche, n’existe pas -encore- en France.

Mais se persuader qu’elle puisse naître sans qu’avant soit détruite l’autre, cela n’aboutit qu’au pire. A la défaite absolue du présent et qu’incarne très bien, par exemple, le nouveau chef de file de la gauche radicale actuelle, le fils prodigue et glamour de ces quinze dernières années, le militant type de nos courants, l’activiste-député-cinéaste-écrivain François Ruffin, celui qui parle pour « nous » et pas seulement pour la France Insoumise. Le vieillard idéologique qui ressort fièrement la haine centenaire et bruyante, dans sa grossièreté insondable. Le cri de ralliement originel, tous ensemble contre Rothschild.

Le #Notinmyname, dans le contexte, c’est la guerre.