Emmanuel Macron s’est rendu au dîner du CRIF, mercredi 20 février. Rappelons, tout d’abord, que la venue même d’une personnalité politique devant une organisation comme le CRIF n’est en aucun cas une évidence. Ainsi, François Mitterrand considérait qu’il s’agissait d’une entorse à la laïcité comme l’explique cet article de France Info. Il refusait d’y participer en 1988 considérant que le CRIF, qui s’arrogent le droit d’être les seuls représentants de la communauté juive hexagonale, est une institution dont la dimension religieuse n’est pas absente.

Pour Macron, « l’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme »

Arrêtons-nous tout d’abord sur la première mesure « forte » proposée par Macron, celle qui consiste à assimiler antisionisme et antisémitisme. Le président a ainsi annoncé la France adoptera, désormais, dans ses textes de référence une définition de l’antisémitisme qui contienne la référence à l’antisionisme : « La France, qui l’a endossée en décembre avec ses partenaires européens, mettra en œuvre la définition de l’antisémitisme adoptée par l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah » (intégrant l’antisionisme) » , se défendant « d’ empêcher de critiquer la politique du gouvernement israélien », pour mieux justifier cet amalgame qui n’en est plus un, étant donné que selon Macron, l’antisionisme est un antisémitisme. 
Ainsi, un cap est franchi. Si Macron avait déjà ouvert le bal de l’amalgame l’an dernier lors de la en commémorant le 75e anniversaire de la rafle du Vél d’Hiv à Paris, le 16 juillet 2017, le trait d’union entre l’antisémitisme et l’antisionisme – qui n’est selon eux qu’une « nouvelle forme » d’antisémitisme, aura sa transcription, selon le patron de LREM, dans une résolution qui sera soumise aux parlementaires : « l’Assemblée émet ainsi un avis sur une question déterminée, mais cela n’a pas le caractère contraignant de la loi », explique le Jdd.

La visée, sous-jacente, est de mobiliser la rhétorique de la lutte contre l’antisémitisme pour renforcer l’appareil répressif, législatif et policier, contre les mouvements sociaux. En dernière analyse, il s’agirait même, selon François Sureau, avocat proche de Macron, et connu pour avoir dénoncé vertement la poussée liberticide du gouvernement, d’une instrumentalisation qui vise à préserver l’ordre établi sous prétexte que la lutte contre celui-ci reviendrait à verser dans l’antisémitisme : « Ces événements lamentables nous invitent d’abord à ne pas être dupes, et d’abord pas des réactions intéressées des vigilants, y compris gouvernementaux, qui paraissent se servir du cri antisémite pour conjuguer abusivement défense des juifs et défense d’un ordre injuste, de ce monstre social dont parlait Simone Veil. Il ne suffit pas de relever que l’antisémitisme a partie liée avec la dénonciation du monde de l’argent pour se croire tenu quitte des horreurs du monde de l’exploitation, et ce serait enfermer les juifs une autre fois que de faire de leur destinée le ciment. »

Plus, encore, « Il s’agit de préciser et raffermir les pratiques de nos forces de l’ordre, de nos magistrats, de nos enseignants, de leur permettre de mieux lutter contre ceux qui cachent, derrière le rejet d’Israël, la négation même de l’existence d’Israël, la haine des juifs la plus primaire », explique Macron dans son discours. Signe que s’il n’y aura pas de modification de la loi, elle aura bien vocation a être utilisée par la justice, l’encourageant à considérer l’antisionisme comme de l’antisémitisme.

Une offensive contre l’association de Boycott BDS

L’analyse de l’instrumentalisation en cours est en cela confirmée par la nature des déclarations suivantes d’Emmanuel Macron, qui ont toutes concerné, d’une façon ou d’une autre, de nouvelles privations de liberté en prétendant lutter contre l’antisémitisme (et la « haine » en général). Si deux de ses mesures phares (la dissolution de plusieurs groupuscules d’extrême-droite, et le renforcement de la judiciarisation d’internet), annoncés comme des mesures « fortes » par Macron, étaient en réalité prévues depuis bien plus longtemps – conférant à ces annonces un caractère opportuniste qui n’avait rien à voir avec la lutte contre l’antisémitisme, l’annonce selon laquelle il n’y aura plus « aucune concession » quant à l’association de boycott, nommée BDS signe la véritable singularité de ce discours comme le premier acte du trait d’égalité fait entre antisionisme et antisémitisme, encourageant ainsi la justice à faire de même.

L’annonce de la dissolution du Bastion social, du réchauffé d’il y a 2 mois.

Premièrement, donc, la dissolution de groupuscules d’extrême-droite : « Parce que la période met en cause ce que nous sommes, la France doit tracer de nouvelles lignes rouges » a déclaré Macron. « J’ai demandé au ministre de l’Intérieur d’engager des procédures visant à dissoudre des associations ou groupements qui par leur comportement nourrissent la haine, promeuvent la discrimination ou appellent à l’action violente », ciblant « pour commencer » des groupuscules d’extrême-droite » : Bastion social, Blood and Honour Hexagone et Combat 18. Tout d’abord, comme Mediapart le précise, cette décision était déjà prévue bien à l’avance : « Depuis plus de deux mois, la décision était dans les tuyaux du ministère de l’intérieur et le motif de la dissolution de ce mouvement né des décombres du GUD (Groupe Union défense) n’était pas son antisémitisme, mais son incitation à la constitution d’un groupe armé… lors de l’acte III des « gilets jaunes ». Ensuite, la mesure est hautement symbolique. Outre l’ironie de l’histoire qui fait que Macron commémore lui-même Pétain, qualifié de « grand soldat », le gouvernement voudrait faire croire que l’arme législatif suffirait à lutter contre l’extrême-droite, alors que les politiques anti-sociales, et la rhétorique nationaliste de ce dernier sont les carburants de la montée de l’extrême-droite tant sur le terrain institutionnel que dans la rue. Comme s’en étonnait l’éditorialiste à l’Opinion, et spécialiste des questions de sécurité, Jean-Dominique Merchet dans un tweet : « #Macron « Besoin de commandement », « forces organiques », « âme des peuples » : l’étonnant vocabulaire politique du président de la République. » Un vocable, en effet, qui emprunte sans fards au champ lexical politique de l’extrême-droite.

Par ailleurs, et là est la « subtilité » et toute l’ambiguïté charriée par le discours de Macron, celui-ci cible « pour commencer » les groupuscules d’extrême-droite. Le déploiement de ce genre de lois pour cibler directement les mouvements sociaux a été une constante, sous couvert, là encore, de lutter contre « la haine » – haine propagée, et entretenue au premier chef par Macron, et sa police.

Et cette instrumentalisation, et généralisation, dans ses conséquences concrètes, ne se fait pas attendre. Autre mesure phare annoncée par Marcron : la lutte contre la « haine », sur les réseaux sociaux, à travers le renforcement de l’arsenal législatif et policier. Un texte qui reprendra en réalité les conclusions d’un rapport sur lequel planche le gouvernement depuis près d’un an, et qui s’inscrit dans la lignée de la précédente charge menée par Macron contre l’anonymat sur internet. Amalgamant totalement la question des « fake news » et de la possibilité d’être anonyme sur les réseaux sociaux, il avait en effet expliqué envisager une « levée progressive de toute forme d’anonymat ». S’il ne s’est pas étendu sur les moyens concrets d’application de cette levée de l’anonymat en ligne, il n’est pas difficile d’en deviner la teneur. Par exemple la nécessité d’envoyer une copie de ses papiers d’identité pour créer ou conserver un compte sur Facebook ou Twitter. Une logique qui avait d’ores et déjà été condamnée par la Quadrature du Net – défendant les libertés sur Internet – en la personne de Félix Tréguer : « Emmanuel Macron oublie que l’anonymat constitue un droit associé à la liberté d’expression et de communication et au droit à la vie privée. Il est reconnu comme tel au niveau international, notamment par la Cour européenne des droits de l’Homme ».

Cette fois, Macron revient à la charge, sous prétexte de lutte contre l’antisémitisme, comme si l’anonymat était la cause des propos haineux et racistes tenus sur internet. Une offensive qui pourrait prendre un tour directement policier, le secrétaire d’Etat chargé du Numérique Mounir Mahjoubi ayant en effet évoqué une possibilité de de porter plainte sur internet contre les propos haineux, condamnables par la loi, exhortant par ailleurs les entreprises du net à collaborer avec les services de police et de justice pour pouvoir.

Faut-il le préciser : ce n’est nullement l’anonymat qui contribue à tenir des propos haineux, racistes. Ce serait bien même le contraire. Ceux qui propagent leur haine sont connus de tous, et protégés non par l’anonymat, mais par l’impunité même dont ils jouissent du fait de leur rang social ; ces noms, nous les connaissons tous, ce sont ceux de Marlène Schiappa, qui assimilent le Mariage pour tous et le fondamentalisme islamique, ceux d’un Finkilekraut, d’un Zemmour, d’un Macron qui s’autorise des « petits phrases » anti-pauvres ; c’est la haine, physique celle-là, de la police, contre les Gilets Jaunes depuis le début du mouvement, et, surtout, contre les jeunes de banlieue, contre toutes les minorités.