Les demandes de « safe » ne consistent pas à exiger la création de sorte de bulles hermétiques dépourvues de toute interaction violente. Nous savons aussi bien que quiconque à quel point les rapports humains peuvent être porteurs d’une violence issue d’années de conditionnement et d’éducation, qui ne peuvent se déconstruire en un claquement de doigt malgré la meilleure volonté du monde. Doit-on vous rappeler cependant que nous vivons dans cette société raciste, sexiste, homophobe, transphobe et validiste, pleine de mépris de classe et qu’on ne peut y échapper ? Les oppressions, nous y sommes confronté-e-s au quotidien et non sans conséquence matérielle, physique et psychologique. Nous résistons chaque jour. Faire preuve de résilience est une obligation. Vous ne connaissez pas nos parcours, certain-e-s d’entre nous sommes des survivant-e-s, alors la moindre des choses c’est de ne JAMAIS nous mépriser lorsque l’on réclame des espaces safe, ou pire encore, nous reprocher du « purisme idéologique » ou d’être issu-e-s d’une « culture victimaire de néo militant-e-s d’internet ». Se victimiser et n’exiger aucune contradiction vis-à-vis de soi-même, c’est le LUXE du privilégié, afin de manipuler, diviser, exclure et maintenir ses propres privilèges.

Le « safe » est pour nous une notion politique : nous demandons qu’une base préalable de déconstruction soit établie, avec des règles garantissant l’écoute et le respect de nos luttes afin que les mécanismes de domination ne puissent se reproduire sans un regard (auto)critique pour les éviter. Nous voulons que soit pris en considération aussi bien nos luttes que nos individualés, sans être déshumanisé-e-s et invisibilisé-e-s dans un entre soi blanc et privilégié. Nous refusons d’être utilisé-e comme caution ou d’être au service des plus privilégié-e-s, nous luttons avec nos forces et aucune injonction ou pression ne devrait avoir lieu. Ceci implique que nos allié-e-s se responsabilisent en reconnaissant leurs privilèges et leurs erreurs, en apportant si possible leur soutien en cas de conflits et d’abus, sans se contenter du silence ou d’y assister. Tout silence est partie prenante de l’oppresseur. Et nous devrions pouvoir nous exprimer sur nos luttes sans vous braquer,sans craindre d’être rejeté-e ou d’êtreresponsables de tous vos maux (ne reproduisez pas à petite échelle ce pourquoi vous combattez nos oppresseurs). Voilà comment nous envisageons un milieu safe, la base que tout-e privilégié-e possède et parfois abuse.

Parce qu’on ne va pas dans un mouvement, une assemblée, une manifestation, pour se faire une énième fois écraser, humilier et silencier. A ce titre, bannir les insultes et attitudes oppressives est une base nécessaire au dialogue entre groupes. Ce n’est pas parce que leur vocabulaire n’était pas approprié que nous avons eu des appréhensions à aller vers les Gilets Jaunes, mais parce que la base nécessaire au dialogue n’était pas établie. Un dialogue que même les plus privilégié-e-s peinent encore à amorcer.

Sachez que ce n’est pas une perte de temps que de prêter attention aux minorités présentes dans nos milieux, au cœur et aux fondements mêmes de nos luttes, il s’agit de rendre nos espaces plus accessibles et inclusifs. Il est tout à fait envisageable de concilier un temps soit peu SAFE et PÉDAGOGIE, où les erreurs et les maladresses seraient permises dans le mesure où chacun-e serait de bonne volonté pour apprendre, comprendre et ferait attention la fois suivante à respecter l’autre sans s’accaparer sa place et sa parole, où se former politiquement entre nous et soutenir les moins privilégié-e-s seraient une priorité. Le dialogue étant la base. C’est ce que nous essayons de construire au sein de RACINE, en privilégiant différentes non-mixité racisé-e-s, en faisant régulièrement des bilans et en nous assurant de prendre les décisions en concertation ! Ça s’apprend et c’est une manière de tenir à long terme.

Autre sujet à souligner : L’antiracisme est une lutte politique et non morale, on ne lutte pas contre le racisme parce que « le racisme, c’est pas bien », on lutte contre le racisme parce que celui-ci se trouve au cœur et au fondement de l’organisation de notre société et que nous voulons que ça change. Le racisme assigne à chacun-e d’entre nous une place pré-destinée, de la même manière que la condition sociale (riche/pauvre) va assigner une place et un niveau de vie aux personnes blanches. Si l’un vous paraît injuste, pourquoi l’autre ne le serait-il pas ? Par conséquent, nous ne voulons pas voir nos revendications être reléguées, détournées, au profit d’un soit-disant « Abattons le capitalisme, après on verra ! « . Le racisme n’est pas un détail du capitalisme ! Nous nous devons aussi d’aborder la question des rapports colonialistes qui perdurent à travers le monde, aux fondements mêmes de la société française. Être considéré-e pleinement citoyen-ne français-e, chanter la marseillaise, brandir un drapeau BBR en espérant vivement que les flics nous rejoignent est clairement un luxe que l’exilé-e et le-a descendant-e d’immigré-e-s, avec tout le poids des discriminations et de l’héritage colonialiste et esclavagiste, n’ont tout simplement pas. Si vous parvenez à adhérer au mouvement des Gilets Jaunes, c’est certes car vous partagez des revendications sociales, mais également car votre position sociale vous le permet, en l’occurrence être blanc-he-s et français-e-s semble fédérer une bonne partie du mouvement, tandis que nous autres racisé-e-s et autres concerné-e-s d’oppressions peinons à nous identifier et à émettre nos revendications. Et en ce sens, nous reprocher de ne pas y participer, de diviser, de ne pas consacrer notre temps et notre énergie à faire de la pédagogie auprès des Gilets Jaunes, nous balancer avec mépris que vous n’irez pas à la manifestation antifasciste, que l’on va devoir se débrouiller car les Gilets Jaunes manifestent en même temps nous semble complètement déplacé et affolant, surtout venant de militant-e-s connu-e-s et privilégié-e-s se prétendant antifascistes.

Émettre des critiques et des réserves ne signifient pas que nous condamnons ce mouvement et n’envisageons aucune convergence. Sachez que ce n’est pas un plaisir que de se sentir exclu-e d’un mouvement social d’une telle ampleur. Néanmoins, si les différentes oppressions ne sont pas abordées et que l’extrême droite n’est clairement pas repoussée, nous craignons bien de voir se perpétuer un modèle qui nous reléguera toujours en bas de l’échelle. Nous n’en voulons plus !

C’est pourquoi nous avons fait ce choix d’appeler à unemanifestation antiraciste et antifasciste le Samedi 19 Janvier 2019. Jour prévu du spectacle de Dieudonné sur Nantes et nouvel acte des Gilets Jaunes. Nous ne souhaitons nullement nous quereller avec vous, ce n’est pas notre désir. Nous n’avons pas non plus pour but de contester la légitimité de la lutte sociale menée par les dits Gilets Jaunes. Mais nous voulons faire exister nos luttes en parallèle et en convergence avec les autres. A ce titre, nous avons besoin de votre soutien pour être nos intermédiaires. Parlez-leur de nous, expliquez-leur en quoi leur refus de trancher les questions de présence de l’extrême-droite, de rapport à l’immigration…les coupent d’une partie de la population qui est depuis bien longtemps en lutte. Expliquez-leur l’antifascisme et œuvrez activement à la convergence des luttes !

Si la convergence vous paraît évident et se base sur des non-dits, elle ne l’est clairement pas pour nous. Ne nous l’imposez pas, n’abusez pas de vos privilèges pour nous contraindre à y adhérer. Nos appréhensions et nos réserves sont légitimes. Toute tentative de convergence de la part de collectifs de racisé-e-s à Paris s’est malheureusement accompagnée d’une invisibilisation et n’a donné aucune suite. Nous tentons à notre tour une autre stratégie : celle de proposer aux Gilets Jaunes de nous rejoindre et réclamer une position clairement contre l’extrême-droite à Nantes. Nous leur tendons la main, à eux et à vous de la saisir. Cette manifestation n’est pas une fin en soi consacrant une convergence définitive, elle n’est qu’une amorce et nous refusons qu’elle soit utilisée comme caution. On ne doit absolument pas s’en contenter, mais au contraire, s’en servir pour y réfléchir concrètement.

Il ne s’agit pas de compter les fachos parmi les Gilets Jaunes mais de juger les effets du Mouvement des Gilets Jaunes, d’anticiper et de prévenir les risques de récupération politique par l’extrême-droite. Quels que soient nos différents, l’urgence anti-antifasciste est bien là : de tout côté l’extrême-droite ne cesse de monter et il est impensable que quelqu’un comme Dieudonné puisse se ramener en toute tranquillité à Nantes.