La revendication qui, en quelques jours, est devenue comme l’étendard des gilets jaunes, a aussitôt susciter contre elle réprobations et critiques de la part des militant.es et activistes aguerri.es, promptes à dénoncer le terrible piège qui se cacherait sous l’exigence du fameux RIC. Si nombre des avertissements énoncés méritent de l’être, on peut quand même s’étonner qu’ils soient formulés de manière aussi péremptoire – il n’y aurait donc rien à sauver dans l’appétit populaire pour un peu de démocratie directe ? Qu’un mouvement parti d’une colère contre la taxation du carburant aboutisse en quelques semaines à réclamer un changement institutionnel visant à ce que chacun puisse se prononcer sur les lois sans l’intermédiaire de représentants mérite peut-être un peu plus que de la condescendance.

1. Que le référendum d’initiative populaire ait été le fer de lance d’Étienne Chouard, dont on connaît les accointances avec des personnalités d’extrême droite, ne devrait pas suffire à discréditer une idée qui, en exprimant la volonté d’un exercice direct du pouvoir législatif, peut tout autant s’affilier avec les véléïtés de démocratie directes des « enragés » de 1789 ou des communards parisiens. Vouloir se passer de représentant, n’est-ce pas acter de manière on ne peut plus claire la défiance envers l’ensemble des politiques, de leurs partis, et des institutions démocratiques actuelles ?

2. N’y voir qu’un piège, en tant qu’il serait facilement assimilable et réappropriable par le gouvernement, c’est occulter la manière dont le RIC est défendu. Si jamais quelque chose du genre devait être octroyé, c’est certain qu’il ne ressemblerait pas vraiment à ce qui est réclamé : les questions posées ne pourront l’être sur n’importe quel sujet, et certainement pas sur la constitution ou la révocation des élus. Plus que de susciter un réflexe critique sans nuance, une pareille proposition devrait plutôt nous interroger sur les brèches béantes qu’elle met à jour. Combien de mouvements ont porté de manière aussi claire une remise en cause profonde de l’électoralisme et du parlementarisme ? Si le dégagisme du « Macron démission » n’exprime pas grand-chose d’autre qu’une personnification des dynamiques politiques et économiques en cours, le RIC dit tout autre chose et dit bien plus : il signe un certain refus de s’en remettre à des représentant.es, quel.les qu’iels soient. Alors certes, il ne s’agit ni d’exiger l’abolition de l’État, ni celle du capitalisme, mais prétendre qu’un tel système référendaire serait aisément soluble dans le programme gouvernemental, c’est négliger tout ce qu’il contient de potentiellement subversif, et que le pouvoir n’est pas prêt d’accepter. Ainsi, plutôt que d’y voir l’occasion de souligner la naïveté des gilets jaunes, les mises en garde critiques gagneraient sûrement à pointer le risque qu’il y aurait à se satisfaire d’un RIC tronqué de ses aspects les plus radicaux.

3. L’exemple du référendum de 2005 sur la constitution européenne montre sans ambiguïté qu’il est possible de ne pas prendre en compte le résultat d’un référendum. Est-ce suffisant pour disqualifier le RIC comme une mesure inepte ? D’une part il ne faudrait pas négliger la défiance et l’amertume durable qu’a engendré un tel passage en force – et donc le degré de conflictualité que produirait la répétition d’un tel scénario. D’autre part, on peut supposer que la partie ne serait pas si facile avec une possible révocabilité des élus. Quant au risque d’une instrumentalisation du RIC par l’extrême droite, et plus largement du poids de la manipulation médiatique sur « l’opinion publique », en plus de mimer les réticences qu’ont toujours exprimé les classes dominantes vis-à-vis de la démocratie et de l’incapacité de la « masse » à se forger une opinion valable, ces craintes ne sont pas plus pertinentes dans le cas du RIC que dans celui de l’élection de représentants.

4. La centralité qu’a acquise le RIC au sein du mouvement des gilets jaunes, au dépend des revendications sociales aux travers desquelles une dimension de classe prenait forme, peut être considéré comme un recul. Mais si le caractère inter-classiste de cette proposition est flagrant, il faut bien voire qu’elle représente aux yeux de beaucoup le moyen d’obtenir par la suite d’autres réformes, ou de s’y opposer, sans avoir à le quémander auprès des élu.es. S’il faut certainement mettre aussi en exergue les exigences qui reflètent le conflit de classe que porte ce mouvement, tout comme l’aspiration à la démission de Macron, cela n’est pas incompatible avec le soutient au RIC, dont le caractère apparemment consensuel apporte aussi aux gilets jaunes une certaine dynamique.

Considérer le RIC tel un piège que se serait eux-même tendu les gilets jaunes paraît non seulement reconduire le mépris qui déjà s’exprimait lorsqu’était fustigée l’opposition aux taxes sur le carburant et le mot d’ordre du pouvoir d’achat – qui pourtant pouvaient dès le départ être entendu et traduit comme un refus de la paupérisation et précarisation – mais tend aussi à minimiser la portée du consensus qui se forme autour de la révocabilité des élus, dont le principe est pourtant historiquement lié aux aspirations et organisations libertaires, et marque une transformation significative du rapport à la politique et aux modèles pseudo-démocratique qui nous dominent. Le raisonnement qui consiste à craindre que le mouvement s’arrête suite à la mise en place d’une forme de référendum d’initiative citoyenne vaut pour tout recul possible du gouvernement, qu’il s’agisse de l’augmentation du SMIC ou du rétablissement de l’ISF. En ce sens, maintenir fermement l’exigence d’une destitution du pouvoir permet de maintenir une conflictualité qu’aucun recul ne peut apaiser, mais cela ne nous empêche pas de tenter d’élargir et d’approfondir la brèche qu’ouvre une volonté massivement partagé d’un exercice direct du pouvoir sur tout sujet, et le désir sous-jacent d’une destitution à terme de tout représentant politique qu’il renferme.