INTELLIGENCE COLLECTIVE

Pour éviter de se faire nasser et bombarder de gaz lacrymogène comme à chaque manif, un appel inédit et surprenant avait été lancé le vendredi, au dernier moment. 5 points de rendez-vous séparés dans la ville. Cette forme déroutante de mobilisation a manifestement pris de cours le maintien de l’ordre, les services de renseignement, les médias, et même les habitués des manifestations !

Ce sont donc 5 cortèges de plusieurs centaines de personnes chacun qui convergent timidement vers la préfecture autour de 13H. Dans cette foule, des personnes venues du grand ouest, certains arborant leur département sur le gilet : « 72 » ou « Vendée », ou encore des provinciaux habitués à monter sur Paris qui ont préféré, cette fois ci, éviter de tomber dans les pièges de la capitale. La composition de la manifestation semble différente des précédentes : beaucoup ne connaissent pas Nantes. La détermination et l’énergie paraissent plus fortes. Pour être honnête, il y a aussi plus de drapeaux tricolores et de Marseillaises …

On entend : « Il paraît que la BAC de Nantes a une réputation épouvantable. Tiens, regarde, ils sont là bas». Quelques instants plus tard, un groupe de gilets jaunes part au contact de ces policiers cagoulés, et, quasiment tête contre tête, les font reculer sans la moindre violence, sous les huées. Incroyable.

LE SIÈGE DE LA PRÉFECTURE

Il est enfin possible de défiler dans les rues de Nantes. Le dispositif est pris de cours. La manifestation déambule donc dans toutes les rues qui sont d’habitude interdites, y compris les axes commerçants, dans une ambiance joviale. Le cortège est de plus en plus dense, comprenant jusqu’à 5 000 personnes au plus fort. L’accès à la place de la Cathédrale est bouclé par une ligne de CRS ? Certains Gilets Jaunes font le tour par une rue adjacente pendant que d’autres restent face aux policiers. La ligne est encerclée de part et d’autres, au cri de « Nous aussi, on veut des primes ! ». Et ici encore, le barrage est contraint de céder, sans violence. Un premier moment de tension à lieu devant la préfecture. Fumigènes colorés contre lacrymogènes. Mais le cortège repart, bonhomme, avant de revenir beaucoup plus déterminé une heure plus tard. Des échelles sont amenées, et posées contre les murs de la préfecture, pour envahir le jardin. En 1968, le bâtiment de Nantes avait été occupé par les manifestants. C’est ce vieux rêve qui ressurgi l’espace d’un instant. L’initiative est sérieusement découragée par les CRS, mais un, puis deux manifestants particulièrement téméraires – et visiblement insensibles au gaz – se hissent jusqu’aux jardins. L’un d’eux, en équilibre sur le mur, face aux policiers, tient bon alors qu’il est copieusement gazé. Ce moment de grâce donne des ailes aux manifestants. C’est le début de plusieurs heures de siège de la préfecture.

JUSQU’À LA NUIT

Un feu prend devant l’entrée. Des barricades sont allumées le long du Cours des 50 Otages. Le parasol d’une boulangerie sert de protection face aux tirs policiers. Une ligne de CRS doit reculer en ordre dispersé face à une foule de Gilets Jaunes qui courent vers eux en hurlant, sans jets de projectiles. Les forces de l’ordre, débordées, tirent énormément vers la foule toutes sortes de munitions, et beaucoup de manifestants doivent être évacués vers l’arrière, blessés. Au moins une personne touchée à la tête, à côté de l’œil, saigne abondamment.
Pendant que le gros de la confrontation se concentre à la préfecture, il se raconte qu’un cortège a profité de la confusion pour aller s’en prendre à la mairie. Des gilets Jaunes munis de lance pierre auraient cassé de nombreuses vitre, et jeté des déchets dans la cours.
La nuit tombe. Des flammes de plusieurs mètres de haut illuminent le cours.

Le cortège se remet en mouvement vers le centre-ville, et s’engouffre dans les rues de Bouffay. Il reste encore plusieurs milliers de personnes débordantes d’énergie, comme insatiables. Les magasins ferment leurs devantures sur leur passage. Des affrontements ont lieu rue de Strasbourg. Feux d’artifice. Des grappes de gilets jaunes sont éparpillées dans toute la ville. Le calme ne revient qu’après 20H, alors que le cœur de Nantes baigne encore dans les vapeurs acres.