Nous sommes membres d’un collectif désormais interdit par la loi. Pourtant nous n’avons pas ouvert le feu sur des gens en terrasse, ni tenté de le faire dans un TGV. Nous militons pour des transports en commun gratuits et organisons une solidarité entre celles et ceux qui n’ont pas les moyens de payer leurs déplacements. Mais aux yeux du gouvernement et de l’Assemblée nationale au complet, nous représentons un danger assimilé au terrorisme.

Pour la loi sur le renseignement, le gouvernement et l’Assemblée avaient profité des attentats de janvier 2015 pour accélérer leur agenda sécuritaire commun aux industries et services de surveillance. Après ceux de novembre, le prétexte de l’attentat raté du Thalys a permis le vote à l’unanimité d’une loi sur la « sécurisation des transports ». On ne parle pas ici de lois d’exception ni d’état d’urgence, mais d’une loi de droit commun : la loi Savary, du nom du député socialiste qui l’a portée. Celle-ci déploie un arsenal carcéral à l’encontre à la fois des terroristes et des simples fraudeurs, rassemblés par une même loi au motif que chacun d’eux contribuerait au « sentiment d’insécurité ».

Cinq amendes non payées en un an : six mois de prison. Fuite face à des contrôleurs : deux mois de prison. Déclaration d’une fausse adresse : deux mois de prison. Signalement de la présence de contrôleurs : deux mois de prison. Organisation d’une mutuelle de fraudeurs : six mois de prison. À cela s’ajoute, entre autres mesures répressives, l’autorisation de fouille des bagages ou l’échange de fichiers entre les entreprises de transport et les organismes sociaux pour ainsi mieux confondre les fraudeurs. L’objet réel de cette loi est donc clair : assurer les revenus des actionnaires des sociétés de transports en commun, principalement Veolia, Keolis et la SNCF en criminalisant les plus précaires.

À Lille, nous nous sommes organisé.es en mutuelle depuis 2009. Étudiant.es, travailleur.ses précaires, réfractaires au fichage des déplacements, militant.es pour la gratuité des transports, nous mettions au pot commun pour voyager sans ticket. Charge à la caisse commune de payer les amendes. Cette forme d’entraide concrète profitait d’un vide juridique : en 2014, après que la Brigade financière, généralement habituée aux gros bonnets, ait perquisitionné deux membres de notre mutuelle, le procès a abouti à une relaxe. Ce qui devait faire enrager l’élu délégué aux transports de la métropole lilloise, Gérald Darmanin (LR) qui, comme député et comme élu local, renforça les mesures sécuritaires à l’encontre des « usagers ». Après la multiplication des caméras et micros de surveillance, la carte RFID qui consigne nos allées et venues, le projet d’installation de portiques dans le métro, la fin de la gratuité pour les plus fragiles (chômeurs, handicapés, etc.) et l’augmentation des tarifs, on se demande jusqu’où ira la M.E.L (Métropole Européenne de Lille) pour appauvrir, surveiller et criminaliser toujours plus.

Si la loi de sécurisation des transports est une page de plus dans la longue liste des modalités de la répression, il faut souligner le cynisme particulier de l’alibi terroriste. Comment peuvent-ils ensuite s’étonner que les précaires rejoignent les manifestations les plus déterminées contre la loi travail lorsqu’ils mettent en place de telles lois ?

Nous ne pouvons considérer la loi de sécurisation des transports que comme la création d’un délit de solidarité, ainsi qu’il en a été à l’encontre des soutiens aux migrants il y a quelques années. Mais cette mesure n’y fera rien. Dans un contexte de précarisation, ajouté à l’augmentation du prix des tickets et à l’obligation qui nous est faite de voyager toujours plus loin et plus longtemps pour trouver un employeur ou un logement abordable, la fraude augmentera nécessairement. Les réseaux de solidarité et d’entraide se constitueront, et se constituent déjà, ailleurs et autrement.

Ceci est donc le dernier communiqué de notre Mutuelle.

La Mutuelle des fraudeurs de Lille

1. « La chasse est ouverte », La Brique, N°44

2. « Mutuelle des fraudeurs, ensemble créons des liens », La Brique, N°45