Un récit de la manif’ anti cop 21 du 29/11 – le silence de vos pantoufles ne cache pas le bruit des bottes
Publié le , Mis à jour le
Catégorie : Global
Thèmes : Contre-sommetsContrôle socialEcologiePrisons / Centres de rétentionRépression
Lieux : Paris
12:00 – Plusieurs groupes sont présents place de la République. Le début est un peu frileux mais petit à petit ça bouge. Certain.e.s entonnent des slogans (« Fermons les usines, et les supermarchés ! Une mini éolienne, dans tous les potagers ! »), des chants, d’autres sont venu.e.s avec des banderoles, des marionnettes, de la musique. Il reste encore des chaussures sur la place, mais Avaaz a déjà emmené le plus gros, après un sage discours de la gentille présidente d’Avaaz France dans la matinée. Le reste est récupéré au fur et à mesure par des gens qui passent. Parmi les groupes présents on trouve Alternative Libertaire, la CNT, la vélorution, les alternatifs, le NPA, solidarité avec la Palestine, etc… et aussi beaucoup de groupes informels. Il y a des familles, des étudiant.e.s, des personnes agisées, des RG, des poussettes, des lycéen.ne.s, des internationaux-ales venu.e.s pour l’occasion, des passant.e.s qui s’en foutent, des passant.e.s qui s’en foutent moins, et des gens qui rejoignent la manifestation, content.e.s de voir qu’il se passe finalement quelque chose. Un peu plus loin entre Nation et Oberkampf il y a la chaîne humaine. Des journalistes qui viennent de là-bas nous expliquent : « on en vient et on nous a dit de pas venir ici, parce que c’était plein de black-blocs et que c’était dangereux ». Et pour preuve, on chante des chansons pendant qu’une grande marionnette danse au-dessus de la foule ! Trève d’ironie, cette vision stéréotypée des manifestants illégaux étaient sans doute celle des gens d’Alternatiba qui, en nous croisant dans la matinée, demandaient aux personnes souhaitant participer à la manif interdite de « ne pas tout casser » » au risque de « décrédibiliser » la chaîne humaine. Nous, nous ne voulons pas rentrer dans cette logique de séparation des moyens de luttes que l’on pense complémentaires.
13:00 – Ca continue tranquillement. Les flics bloquent toutes les sorties de la place : les débuts de marche qui sont lancés tournent en rond sur la place de la Rép. On doit être dans les 4000 ici.
14 :00 – On commence à essayer de partir en manifestation hors de la place mais des CRS nous bloquent. Les CRS sont de marbre, comme des bons CRS quoi. On change de rue on réessaye. Rien. Ah si, une petite bombe lacrymo. Et une autre tiens. On met du citron sur nos écharpes pour se protéger un peu. Plusieurs attitudes face aux barrages : certain.e.s font des sit-in, d’autres jouent à « 1,2,3 émotion » organisé par l’Artnez des Clown, certain.e.s lancent des canettes, des chaussures, un balai, des bougies ramassées autour du mémorial, d’autres essaient de discuter avec les CRS. Tout le monde se prend des lacrymos par contre. Une vieille femme venue se recueillir n’a pas vu la nasse se refermer et aux premières grenades assourdissantes, croit à une attaque terroriste. Qu’importe le/les mode.s d’actions choisi, il faut savoir qu’un bon nombre d’entre nous sont masqué.e.s pour ne pas participer au fichage général de celleux qui se révoltent, et aussi pour se protéger contre la répression. Car les flics et les médias de masse, complices, filment tout et prennent plein de photos.
15:00 – Des lacrymos sont envoyées sur la place assez fréquemment, des tirs mal calculés tombent sur le barrage d’en face, et même dans la bouche du métro où des passant.e.s se font accidentellement gazé.e.s. Les flics aux barrages filtrent les gens qu’ielles laissent sortir ou pas. Les « honnêtes gens » passent tranquillement. D’autres se font arrêter. Les manifestant.e.s sont fouillé.e.s, on confisque leurs drapeaux aux vélos de la vélorution pour les laisser sortir. Les camions CRS avancent et resserrent l’étau sur l’ouest de la place. Les gens qui ont peur de rester bloqué.e.s dans ce traquenard sortent à l’est dès que c’est possible.
16:00 – Les flics commencent à réduire la nasse à une petite partie de la place, ils font sortir les « gentil.le.s » mais gardent le nombre qu’ielles souhaitent pour remplir leur quota : environ 300 personnes. A peu près quatre fois plus regardent et soutiennent depuis l’extérieur. A partir de là, la séquestration a duré 3h30. La tonne de flics et les quelques dizaines de camions nous mettent la pression et nous empêchent de bouger. En plus de nous encercler constamment, les flics viennent régulièrement nous matraquer et nous poivrer pour en chopper au hasard, mais font aussi quelques tentatives d’embarquement bien ciblé. Nous, on résiste comme on peut en nous accrochant et en gueulant tous un tas de slogans : « C’est l’Etat, le premier terroriste ! », « Sans haine, sans arme, et sans violence ! », « Flics, juge, assassins ! », et plein d’autres. On essaye aussi de d’établir une stratégie collective pour tou.te.s les personnes embarquées par la police, à savoir freiner le plus possible le travail de fichage de la police pour que les manifestant.e.s puissent manifester à nouveau. Pour cela un slogan fonctionne à merveille : « Pas d’identité, solidarité » ; cela met du baume au cœur de chanter cela quand il semble de plus en plus évident que nous allons tou.te.s finir au poste. En effet, à l’extérieur, des manifestant.e.s sont parfois transférés à l’intérieur, comme punition. D’autres sont embarqué.e.s violemment parce qu’ielles s’impatientent et lancent des canettes. Entre ces moments de violences policières, plein d’initiatives chouettes sont lancées parmi les séquestré.e.s : celleux qui sont nassé.e.s lancent une mini « free party » avec un vélo sono d’un.e manifestant.e. Un.e autre monte dans un arbre accrocher un drapeau en arc-en-ciel avec inscrit « Peace / Paix ». On tente aussi de tourner ça en ridicule en scandant : « on est séquestré, appelez la police ! ». A l’extérieur, c’est : « Rendez-nous nos potos, c’est l’heure de l’apéro ». Il y a aussi quelques efforts de résistance : un copain qui avait été reconnu par un flic a heureusement été arraché par un groupe de manifestant.e.s aux mains des CRS qui cherchaient à l’extraire violemment de la nasse. Les vêtements changés, maquillage refait, on arrivera à empêcher qu’il se fasse repéré par la suite.
19h15 – Les flics veulent remplir leurs bus. Les quotas, toujours les quotas. Promettant un simple contrôle d’identité puis le retour à la liberté, des groupes partent avec les flics et se retrouvent emmenés en garde à vue. Une fois la supercherie dénoncée, les CRS changent de tactique : ielles laissent sortir les gens en file indienne prétextant vouloir fouiller les sacs à la recherche d’objets dangereux. Quelques manifestant.e.s tentent leur chance puis reviennent dans la nasse pour témoigner, créditant bon gré mal gré le discours des CRS. Ces témoignages et une « négociation » très inéquitable au vu de la pression policière que nous subissions ont finalement abouti à une sortie sans prise d’identité des personnes restantes, par groupes de 10 environ. Petit à petit les gens sortent, mais regrettent vite quand ielles réalisent qu’ielles ont laissés derrière elleux les quelques personnes que les flics ciblaient vraiment. Partir en petits groupes comme nous le faisons leur rend la tâche plus facile… (certain.e entendent : « dès que tu le vois, on le chope »). Hé oui, il ne faut jamais croire un flic « gentil » (surtout lorsqu’il t’a matraqué pendant 3h), car il y a toujours anguille sous roche. En parallèle de la fin de la manifestation de la place de la République, des petites manifestations se déroulaient devant chacun des commissariats de Paris pour protester contre les interpellations abusives. Les copaines interpellées racontent que les flics étaient complètement dépassés : un gradé dit en rigolant « ce sera un des jours les plus mémorables de ma carrière ». Contraste dérangeant avec les dizaines d’interpellé.e.s qui n’ont pas été nourri.e.s, qui n’ont pas eu de couvertures pour la nuit, qui ne pouvaient pas aller faire pipi.
20h00 – A république, il y eu largement plus de 200 interpellations, la legal team est débordée. Certain.e.s étrangers-ères, belges ou suisses, embarqué.e.s par les flics, ont été mis-es en CRA (Centre de Rétention Administrative). Du 13 novembre au 13 décembre l’espace Shengen étant fermé pour la COP21 il fallait un visa pour être en France. Une d’elleux s’en sort avec une ITF (Interdiction d’être sur le Territoire Français) d’un an. La plupart des interpellé.e.s de la manif ont fait 24h de garde à vue simplement pour pour « participation à un rassemblement interdit et refus de coopérer après la seconde sommation ». Les mauvaises conditions réservées aux personnes en garde à vue pourraient à elles seules faire l’objet d’un long article.
Plus de 24h après la fin des interpellations, il resterait 8 manifestant.e.s en GAV (prolongée), les flics aiment préciser que les GAV peuvent durer entre 48 et 144h pour jouer avec les nerfs des manifestant.e.s. Pour la quasi totalité des plus de 200 garde à vue, il n’y aura aucune poursuite judiciaire. Les interpellations devaient servir à saper toute contestation, en décourageant les manifestant.e.s d’une part et en les décrédibilisant d’autre part.
Bilan : Il n’y avait pas sur la place les 100 000 personnes que l’on pouvait encore espérer avant le décret d’état d’urgence. Mais la manifestation, même symbolique de dimanche dernier donne envie de se bouger pour les deux semaines d’anti COP21. On aura vu la grosse répression pour marquer le coup et faire peur, l’état d’urgence réserve probablement encore quelques surprises, les CRS sont décomplexés par le contexte social, médiatiques et politique. On aura vu des caméras et journalistes sur-représenté.e.s, et des médias qui baratinent leur baratin de baratineurs-euses comme d’hab. Pour les manifestant.e.s, un mode d’action commun et un peu cohérent aurait peut-être donné plus de poids aux protestations, mais bon… vu la situation, c’était compliqué. Et puis c’est peut-être mieux de penser les modes d’actions comme complémentaires et non comme opposés. En tous cas, c’était sympa comme patchwork.
Quelques manifestant.e.s, arrêté.e.s ou non.
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