Les vrais « fascistes » de notre temps – le corbusier et les architectes urbanistes
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Catégorie : Global
Thèmes : AntifascismeEconomieLogement/squatQuartiers populairesResistances
Ce fascisme-là a toujours été minoritaire en France, même « aux heures les plus sombres de notre histoire », à Vichy et sous Pétain. Les Quarante millions de pétainistes (H. Amouroux) qui s’en remirent au vainqueur de Verdun entre juin 1940 et juin 1941, n’étaient pas des « fascistes », mais des orphelins en quête d’un père de la Nation. Les vrais fascistes, les maigres milices de Doriot, Déat, Deloncle qui déchaînèrent leurs exactions sous la botte de l’occupant, n’ont laissé que des fantômes d’ héritiers, tout juste bons à justifier un fantôme d’antifascisme. Aussi avons-nous toujours employé avec des guillemets et parcimonie ce mot de « fascisme ». (cf. Postures et impostures : au Grand Guignol de la Gauche (leur « antifascisme » et le nôtre). Cf. Le vrai « fascisme » de notre temps. Bas les pattes devant Snowden, Manning, Assange et les résistants au techno-totalitarisme.)
Il se trouve que Le Corbusier fut un vrai fasciste, sans guillemets ni repentir. A la fois dans ses opinions et ses amitiés. Il se trouve que l’idéologue du modulor, de « l’homme standard » et de la « la machine à habiter », fut le maître à construire des communistes, des gaullistes, des dictateurs comme des démocrates, et de toute une génération d’architectes urbanistes, en France et dans le monde, après la défaîte des fascismes. C’est que par-delà leurs guerres pour la prise de l’Etat, fascistes, communistes, et républicains partageaient le même idéal technocratique de l’urbanisme fonctionnaliste. Tous s’inscrivaient avec ferveur dans ce mouvement techno-totalitaire : l’homme-machine dans sa machine à habiter, dans une ville-machine, dans un monde-machine. C’est qu’il ne suffit pas d’être antifasciste (communiste, « blanquiste », trotskyste, stalinien, castriste, maoïste, etc.) pour être antitotalitaire.
Hackers et « antifascistes », encore un effort pour être de votre temps. Il ne suffit pas de rabâcher la sempiternelle critique de la « gentrification », de l’éviction des habitants des quartiers populaires au profit de vos amis et congénères de la creative class (R. Florida), pour combattre les nouvelles Metropolis. En Chine, en Californie, comme à Nice, Paris et partout dans le monde voici la smart city, la cité machine automatisée, la version 2.0 de la police urbanistique. L’organisation optimale de l’ordre public. Mais cette « ville intelligente » criblée de capteurs, traversée de « flux » , de « réseaux », de « virtualités » innombrables, n’est-ce pas précisément votre matrice adorée, et donc, comment pourriez-vous la brûler ?
( Pour lire l’article : http://www.piecesetmaindoeuvre.com/…
Pièces et main d’oeuvre
Nous avons lu le dernier texte de Pièces et main d’oeuvre (ou « PMO », www.piecesetmaindoeuvre.com) « Ceci n’est pas une femme (à propos des tordus queer) » et nous sommes, comme tant d’autres, consternés. Nous tenons ici à condamner fermement ce texte et souhaitons, en tant qu’hommes, nous dissocier publiquement des positions politiques qui y sont défendues. Nous ne serons ni complices, ni silencieux face à de tels discours réactionnaires. Nous affirmons au contraire notre solidarité avec celles et ceux (femmes, féministes, lesbiennes, gays, transgenre, intersexes) qui sont insulté.e.s et attaqué.e.s dans ce pamphlet. La réaffirmation de l’ordre patriarcal, qu’il soit « de droite décomplexée » ou « anti-industriel », ne se fera pas en notre nom.
1) Un texte ouvertement anti-féministe
Pièces et main d’oeuvre a une idée fixe : traquer partout les « transhumanistes ». Pour ce faire, PMO tire à boulets rouges sur les alliés, prétendus ou avérés, de ces promoteurs de « l’homme-machine ». Sauf que le canon, qui certes fait du bruit et des dégâts, est d’une précision douteuse, et sert souvent à assouvir de bien bas instincts.
De prime abord PMO semble ici exposer ses critiques des théories et militant.e.s Queer. Ce texte pourrait être une contribution à un débat stimulant et pointu… sauf qu’on s’aperçoit bien vite que derrière sa charge contre le(s) Queer(s), PMO s’attaque en réalité au féminisme. Et plus précisément à l’un de ses apports majeurs : le fait d’avoir mis en évidence la construction sociale de la différence des sexes, et d’avoir montré que la domination hétéro-patriarcale repose sur l’idéologie de la différence « naturelle » des sexes. Une idéologie qui légitime et renforce les discriminations et l’oppression contre tou.te.s les individu.e.s qui ne sont pas « hommes ».
PMO souhaite, à sa manière, réaffirmer qu’hommes et femmes sont fondamentalement différent.e.s. Que cette différence est fondée en nature. Et que c’est très bien comme ça ! L’invocation de la « Nature » ou de fantasmes et poncifs éculés est un procédé classique pour museler la critique féministe. On en retrouve malheureusement une nouvelle version dans les milieux « anti-industriels » et écologistes (réformistes comme radicaux).
PMO se place en défense de la majorité silencieuse : les hommes, les vrais, les hétéros, moqués, stigmatisés, dévirilisés par les machines, dominés par le « lobby LGBT » qui rêverait d’imposer « l’homonormalité ». Pour notre part, nous ne croyons pas que les hommes-hétéros-virils soient une espèce en voie d’extinction. Nous distinguons en revanche clairement l’entourloupe qui consiste à faire passer comme subversif un discours qui défend les privilèges de groupes sociaux dominants : pères divorcés contre « la justice matriarcale », patrons contre les grévistes « preneurs d’otages », Français de souche contre « le racisme anti-blancs », et maintenant PMO en défenseur des hétéros contre « la cabale queer »… Désolés, mais nous n’avalerons pas de telles couleuvres.
2) Une démarche théorique malhonnête
La critique du queer proposée par PMO est mal menée. Elle repose sur une série d’assertions sans fondements et de raccourcis énormes dans l’argumentation. Elle est orientée et résulte d’interprétations pour le moins étranges d’articles que nous n’avons visiblement pas compris de la même manière. Enfin, elle se base sur une méconnaissance criante de la diversité des approches queer. PMO fait par exemple l’impasse totale sur les critiques queer anticapitalistes. L’équivalent serait d’envoyer PMO dans-une-grotte-éclairé.e.s-à-la-bougie. Peut mieux faire, non ?
L’avalanche d’explications étymologiques, de références et de tournures érudites masque mal des raisonnements alambiqués, des généralisations abusives, bref, une rhétorique « tordue » et pédante qui renvoie le lecteur ou la lectrice dans ses petits souliers, au lieu de l’encourager à penser.
Pour faire une critique sérieuse d’un courant théorique et d’un mouvement politique, nous aurions attendu de PMO qu’il commente au moins ses ouvrages principaux, ou les actes de ses militant.e.s. Mais la plupart des maigres articles « queer » cités et critiqués par PMO sont tirés de la presse mainstream. C’est comme si quelque « champion de la critique sociale » pointait la bêtise des anti-industriel.le.s en s’appuyant sur les rares et courtes tribunes qu’on leur prête dans Libération ou Le Monde.
Enfin, le rapport aux études scientifiques est contradictoire : écartées d’un revers de manche quand elles vont à l’encontre du raisonnement de PMO, elles sont au contraire brandies comme des étendards quand elle abordent la disparition du chromosome Y (éventuellement prévue dans 3 millions d’années…).
Bref, l’exercice critique que se propose PMO est complètement bâclé, en plus d’être malhonnête et pétri d’arrogance. Ce qui nous pose question sur l’intention à la base.
3) Est-ce que PMO aspire à un changement social ?
Changeons (apparemment) de sujet et adressons-nous directement à PMO. Dites-nous une fois pour toutes : cette fuite en avant techno-totalitaire, sur laquelle vous ne cessez de nous alerter, est-ce qu’on peut l’arrêter ? Est-ce que ça impliquerait une révolution, ou quelque chose dans le genre ? Qui la mènerait, cette révolution ? Selon vous, sûrement pas le « gratin écolo-techno-gay ». Ni les polémistes depuis leur tour d’ivoire, vous en conviendrez. Alors, qui ? Le reste de la population ne semble pas plus digne de confiance à vos yeux. Entre « victimes dominantes », « enthousiastes de la servitude volontaire » et « insectes sociaux-mécaniques », on se prend à penser que l’humanité est de toutes façons une erreur de la « Nature ».
Rassurez-vous, nous ne vous demandons pas : « Que proposez-vous ? » pour être « crédibles ». Mais nous aimerions savoir si vous y croyez. Parce que nous, qui croyons dans une transformation radicale de cette société, qui ne la voyons pas autrement que dans l’alliance entre personnes issues de « mondes » les plus divers, des queers aux écolos radicaux, en passant par les ouvrier.e.s et les immigré.e.s, nous ne comprenons pas vraiment la facilité avec laquelle vous vous permettez de caricaturer l’un des mouvements d’émancipation encore vivants, comme tout ce qui ne rentre pas dans le cadre très étroit de votre grille d’analyse.
Non pas qu’il faille s’interdire de débattre « entre nous ». Mais simplifier, provoquer, insulter, se défouler (se venger ?), c’est tirer le débat vers le bas. Alors nous nous demandons si votre négligence apparente, votre indifférence devant la nécessité de partager une analyse sociale de qualité, est liée à vos hypothèses sur le devenir humain. Dites-nous franchement, PMO, selon vous, l’humanité est-elle fatalement coincée dans la violence de ce « désir mimétique » théorisé par René Girard, que vous citez dans votre pamphlet ? Au fond, mérite-t-elle autre chose que le cataclysme technologique, que vous décrivez d’ailleurs inlassablement comme inéluctable ? Ou mérite-t-elle qu’on fasse un peu d’efforts pour « construire ensemble » ?
Si pour vous la réponse est « non », ce n’est plus la peine de nous infliger vos états d’âmes, nous continuerons sans vous.
Quelques hommes hétéros, militants anti-autoritaires, anti-capitalistes, critiques de la technologie ET sensibilisés au féminisme… sans doute du genre de ceux que PMO appelle « chevaliers-servants de leurs Maîtresses-dames » ou encore « radicalistes ignares et benêts ».
Grenoble, janvier 2015