Travailler c’est se constituer prisonnier
Catégorie : Global
Thèmes : EconomieImmigration/sans-papierEs/frontieres
Nous sommes tous à un moment ou un autre de notre vie des prisonniers, car travailler c’est se constituer prisonnier. Pourtant le travail tue bien plus que la prison, c’est même le plus grand meurtrier de masse de l’histoire. Il l’a toujours été, certes, mais le mode de production capitaliste et son organisation du travail ont largement participé à intensifier violemment les rapports d’exploitation au sein des entreprises, dans les usines et les commerces. Concrètement, il faut produire toujours plus, toujours plus vite, faire du chiffre, donner de sa personne. Mais toute cette machinerie ne pourrait pas tourner sans l’idéologie qui accompagne le Travail, et qui est souvent forcée d’employer la menace et la contrainte pour s’imposer.
Un peu partout, des individus sont aux prises avec des conditions de vie plus que merdiques et inacceptables, la pauvreté gagne du terrain parmi toujours plus de gens, et même chez ceux qui se croyaient à l’abri. Cette misère qui s’impose de guerre lasse est aujourd’hui l’une des raisons qui poussent beaucoup d’employeurs, des grands patrons qui jonglent avec les millions aux petits commerçants de quartier, à serrer drastiquement la vis sur les diverses latitudes de l’exploitation de leurs salariés. Dans ce serrage de vis général, certains abusent plus que d’autres et certains, même, se permettent de dépasser les cadres légaux et le code du travail. Parfois au JT, certains sont épinglés sur des cibles de jeu de fléchettes pour que la foule puisse se défouler, et oublier par ailleurs ce qui constitue le vrai problème: que le travail et l’exploitation sont en eux-mêmes des abus, que notre dignité ne sera pas retrouvée tant que nous n’en aurons pas fini avec l’économie, le capitalisme et la marchandisation.
Du grand patron de la finance qui a gratté des milliards sur le dos de pauvres endettés et expulsés de leurs logements au petit gérant de supérette, de restaurant ou du bâtiment qui a licencié à tour de bras, qui s’est rendu responsable d’humiliations et de traitements dégueulasses sur ses employés, qui a employé des sans-papiers en les payant moins qu’il ne payerait un âne, tous peuvent du jour au lendemain se retrouver sous les feux de la rampe. On les appelle, de façon bien commode, les « patrons voyous », et les racailles politiciennes des partis et organisations de gauche et d’extrême-gauche comme de droite et d’extrême-droite font leur beurre électoral dessus tandis que les charognards médiatiques en font leur quatre-heure dans leurs pages « sociales ». On peut maintenant tous se défouler sur quelques salauds désignés par la vindicte populaire et oublier tous nos problèmes.
Cependant, la notion de « patron voyou » nous semble bien superficielle. Certes, certains patrons outrepassent leurs droits, en cela, ils sont des voyous vis-à-vis de la loi, mais cela ne nous intéresse pas. Notre problème est plus épineux, c’est qu’il existe encore des patrons et des employés, des maitres et des esclaves, des riches et des pauvres, la hiérarchie et l’argent. Il faut refuser d’accepter la catégorie des « patrons voyous », parce que celle-ci créé une autre catégorie, celle des « bons patrons », des « bons gérants ». Cela est inacceptable, parce qu’endosser les habits du patron, c’est accepter les règles d’un jeu qui n’a d’autres conséquences que l’avilissement de l’humain par l’humain. Le « bon patron » aura beau éclairer le monde de sa beauté intérieure, il reste celui qui donne des ordres. De plus, la notion de « patron voyou » impliquerait que l’exploitation ne serait que le fait d’un petit nombre de patrons abusifs dans un monde qui respire la joie au travail, alors que non, nous vivons dans une société de merde qui est elle-même le produit du travail, et qui en est profondément malade.
C’est aussi le mensonge qui affirme que la souffrance du travail n’est imputable qu’à quelques individus facilement isolables et pas à un mode d’organisation de la vie, qui la soumet à des impératifs de production et qui transforme tout ce qui est, vivant ou non, en marchandise. Et même si demain une bande de justiciers avant-gardistes exécutait chaque patron voyou d’une balle dans la tête en pleine rue, le problème resterait là, dans les marques laissées sur nos corps par des années de turbin, dans l’état de léthargie dans lequel se trouve le travailleur après une journée de travail.
Aussi vrai qu’un édifice basé sur des siècles d’histoire ne se détruit pas avec quelques kilos d’explosifs, le travail ne sera pas détruit par la simple critique de l’exploitation.
Pour la destruction totale du travail.
———————-
Extrait de Lucioles N°2, Bulletin anarchiste du Nord-Est de Paris, lisible sur le site du bulletin.
Je crois qu’il ne faut pas confondre le travail en soi, qui est une caractéristique fondamentale qui distingue l’homme de l’animal, avec le travail salarié, qui est effectivement un facteur d’abrutissement, d’asservissement, d’exploitation et de destruction de l’homme.
Marx faisait remarquer que dans le système capitaliste, comme dans toutes les sociétés d’exploitation qui l’ont précédé, le travailleur est séparé de son travail, du fruit de son travail, il est étranger à sa propre vie. C’est ce qu’il appelait l’aliénation du travail.
Tout le problème est là : le travail, quand les travailleurs peuvent le déterminer eux-mêmes et s’en approprier socialement tout le fruit, est un facteur de développement, d’enrichissement de l’humanité. Mais le travail salarié est tout le contraire.
D’où la sentence du texte, qui est très juste : c’est le salariat qu’il faut détruire. Mais là où à mon sens le texte se trompe, c’est lorsqu’il termine en disant qu’il faut détruire le travail, ce qui n’est pas juste à moins de confondre le travail en lui-même et le travail salarié, alors que ce n’est pas la même chose.
bon ben moi je viens de lire ce numero en entier sur le site du canard, c’est sur que ca le fait moins que sur papier, mais j’ai beaucoup apprécié la fougue et la justesse du propos, il y a un peu de tout mais l’ensemble est quand meme super coherent. c’est je trouve ce qui se fait de mieux en terme d’agitation aujourd’hui en france.
du coup bonne continuation aux lucioles si elles me lisent.
une luciole d’ailleurs