[chili] 2 mois de grève de la faim des prisonniers mapuches
Catégorie : Global
Thèmes : Prisons / Centres de rétentionResistances
Le 12 juillet dernier, 32 prisonniers politiques mapuches dispersés dans cinq centres de détentions différents et tous en préventive, ont initié une grève de la faim contre les lois antiterroristes qui les frappent spécifiquement, contre la double peine civile et militaire, contres les procédures d’exception, pour la libération des prisonniers et la démilitarisation de leurs territoires. Il y a actuellement 96 prisonniers mapuches dans les geôles chiliennes.
Le 1er septembre, deux jeunes mapuches incarcérés dans un centre de détention pour mineurs se sont joints à la grève de la faim. Les grévistes sont maintenant au nombre de 34.
Jusque là le silence médiatique s’est installé et le gouvernement n’a pas réagi. Le 3 septembre, au bout de 54 jours, le président Piñera s’est exprimé pour la première fois en leur demandant de cesser leur grève de la faim.
Pour sa part, la presse écrite et audiovisuelle a longtemps ignoré ce mouvement collectif de grève de la faim, et a choisi de traiter l’autre drame, celui des 33 mineurs ensevelis depuis plus d’un mois dans la mine de San José, au Nord du pays.
Depuis le 9 septembre, quatres députés, membres de la commission des droits humains de la chambre basse, ont entamé une grève de la faim de solidarité.
Ces derniers jours, les choses commencent à bouger, la presse a décidé d’en parler un peu plus, l’Eglise catholique s’en mêle (et au Chili, ce n’est pas rien), les fêtes du Bicentenaire approchent… Le gouvernement, d’un côté commence à hospitaliser de force les grévistes, et de l’autre, parle de vouloir modifier quelques détails de la loi antiterroriste afin de continuer à l’appliquer alors même que cela ne figure pas dans les revendications des grévistes qui demandent qu’elle ne leur soit pas appliquée et d’être traités comme n’importe quel chilien.
Alors que plusieurs grévistes viennent d’être transférés de force dans des hôpitaux, certains annoncent aujourd’hui la possibilité d’une prochaine grève de la soif à partir du 13 septembre si le gouvernement ne répond pas favorablement à leurs demandes.
Ce mouvement de protestation est parvenu maintenant à un tournant décisif. C’est le moment où jamais d’accentuer la solidarité avec les grévistes de la faim. Les mercredis sont devenus des journées de mobilisation. Le prochain rassemblement aura lieu à Paris, le 15 septembre devant l’ambassade, à 18h30.
Le 11 septembre 2010 ****************** Chili : L’impossible domestication du peuple mapuche
Raúl Zibechi | La Jornada du 10/09/2010
La guerre que l’État chilien a déclarée au peuple mapuche il y a 150 ans n’est pas terminée. La république Criolla [fondée par des descendants de colons], qui le 18 septembre prochain fêtera son bicentenaire, s’est lancée en 1861 dans une guerre d’extermination contre tout un peuple, qui s’est terminée en 1883. L’occupation militaire de l’Araucania, territoire situé au sud de la rivière Bio Bio, a mis un terme à 260 années d’autonomie mapuche qu’avait dû accepter la Couronne espagnole par décision du Parlement de Quilín, le 6 janvier 1641, par laquelle avait été reconnus la frontière et l’indépendance de fait du peuple mapuche.
Après l’occupation de l’Araucania, les Mapuches ont été confinés dans des “réductions” [réserves], ont perdu les 10 millions d’hectares qu’ils contrôlaient et ont été transformés en agriculteurs pauvres, forcés de changer leurs coutumes, leurs manières de produire et leurs normes juridiques. La dictature du général Pinochet a accentuer la dépossession. Si, en 1960 chaque famille mapuche possédait en moyenne 9,2 hectares, à la fin de la dictature, il ne leur restait à peine plus de 5 hectares. Le bouquet final, c’est la démocratie qui l’a fourni grâce à la mainmise progressive des grandes entreprises forestières et la construction de complexes hydro-électriques : aujourd’hui, chaque famille mapuche ne dispose plus que de 3 hectares en moyenne.
En effet, l’ensemble des terres mapuches n’atteint pas les 500 mille hectares, où vivent quelques 250 mille membres de communautés rurales dans quelque 2 000 réserves qui sont autant d’îlots dans une mer de pins et d’eucalyptus. Les familles indigènes disposent de la moitié des revenus moyens des non indigènes ; seulement 41% des logements mapuches ont des égouts et 65% l’électricité. Dans certaines communautés indigènes, la mortalité infantile dépasse de 50% la moyenne nationale. Quand ils prétendent récupérer leurs terres, c’est-à-dire leur dignité, on leur applique la loi antiterroriste (Loi 18.314, de 1984) promulguée par Pinochet.
La grève de la faim de 32 prisonniers mapuches entamée il y a 60 jours s’inscrit dans cette longue guerre de l’État contre un peuple. Ils exigent qu’on ne leur applique pas la loi antiterroriste, la fin du double traitement juridique (car beaucoup de prisonniers sont soumis à la justice militaire et à la justice civile), que ne soient pas utilisés contre eux des témoins encapuchonnés qui restreignent les droits de la défense et que soit mis fin à la militarisation du territoire mapuche.
Le Comité des Droits Humains des Nations Unies a publié un rapport, le 18 mai 2007, dans lequel il note que la définition du terrorisme dans la loi chilienne « pourrait s’avérer trop vaste et qu’elle a permis que des membres de la communauté soient accusés de terrorisme pour des actes protestation ou de revendication sociale ». Il ajoute que l’application de cette loi se prête à des arbitraires et à des discriminations, car au Chili « elle a été majoritairement appliquée pour la persécution pénale des Mapuches ».
D’autre part, la loi antiterroriste est seulement appliquée au peuple mapuche. Si les organisations mapuches brûlent un camion d’une entreprise forestière, ils sont accusés de terrorisme. Mais, quand des travailleurs en grève brûlent un autobus, comme c’est arrivé à de multiples occasions, on leur applique la législation civile. Pour l’avocat de droits humains Hernán Montealegre, ceci est du au fait que les propriétaires terriens « ont beaucoup d’influence sur les gouvernements » (El Mostrador, 3 septembre 2010).
C’est « la justice du colon », comme l’indique le politologue mapuche José Marimán. Le Chili poursuit les Mapuches avec des lois qui ne s’appliquent pas aux autres citoyens, en les traitant comme des êtres de seconde catégorie ou colonisés. Les Mapuches sont soumis à la torture, y compris envers des enfants et des personnes âgées, dans une impunité totale ; on les accuse sur la base de montages et de faux, « sans que personne ne les dédommage quand est prouvée la fausseté des accusations », et « certains sont jugés à la fois par des tribunaux militaires et civils (double jugement), pour des infractions semblables à celles que commettent des Chiliens protestant pour d’autres raisons, comme le fait de jeter des pierres ou des crachats sur les policiers et leurs véhicules de combat » (El Quinto Poder, 7 septembre 2010).
La manœuvre la plus récente est la tentative d’appliquer la Convention 169 de l’OIT, qui établit les droits collectifs, mais sans procéder à une consultation préalable et vidée de tout contenu, de sorte que sont reconnus formellement l’existence de peuples indigènes mais sans que soient inclus les droits et les pouvoirs qui leur correspondent. Le gouvernement de Sebastián Piñera, aidé par la Concertation [1], ne veut pas que la résistance mapuche ternisse les fêtes du bicentenaire et cherche à se dégager de cette grève de la faim qui, après des semaines d’isolement médiatique, commence à briser le mur du silence.
Malgré la répression et la cooptation, il ne sera pas possible de faire plier le peuple mapuche. Trois raisons de fond s’y opposent. La première est la propre histoire et la cosmovision mapuche. « Dans le Wallmapu il ne s’est pas développé une société indigène de type étatique, comme cela s’est produit dans les Andes et en Méso-amérique », a écrit l’historien Pablo Marimán Quemendo. Les colons, « en incorporant par la force une société indigène de type horizontale, matriarcale et segmentaire comme celle des Mapuche, ont ouvert une situation complexe et difficile à résoudre jusqu’à aujourd’hui ». Des mondes tellement différents ne peuvent coexister qu’en se reconnaissant mutuellement.
À ce fossé culturel, économique et politique profond, s’ajoute une seconde scission de caractère colonial : « On nous parle d’égalité, de fraternité et de liberté, mais on nous on traite comme des Indiens vaincus, des citoyens de seconde catégorie dont on fait les victimes de politiques racistes », indique Marimán. En troisième lieu, le modèle néo-libéral a poussé de vastes secteurs non mapuches à éprouver des modes de vie et d’exclusion semblables à celles dont souffre ce peuple. Il les a transformé en ses alliés potentiels, en particulier les jeunes des villes qui subissent le triple encerclement de la pauvreté, de la répression et des politiques sociales discriminatoires.
Le peuple mapuche n’a été vaincu ni par la guerre d’extermination, ni par la dictature, ni par la démocratie progressiste qui a combiné la répression avec la corruption. Traqués par l’État, méprisés par les gauches électoralistes, ils mettent de nouveau leurs corps en jeu, pour sensibiliser ceux d’en bas, mapuches et blancs, pour continuer à vivre, pour continuer à être un peuple.
Traduction : XYZ… pour le site OCLibertaire, reproduction vivement recommandée
= = = Les revendications des grévistes de la faim
1. Abolition de la loi anti-terroriste, actuellement essentiellement appliquée aux Mapuche
2. Fin de l’existence d’une justice militaire à deux vitesses appliquée à une population civile militante ou sympathisante des revendications mapuche
3. Liberté pour tous les prisonniers politiques Mapuche détenus dans différentes prisons de l’État chilien.
4. Respect du droit à un procès équitable, fin des montages politico-judiciaires et des procédures viciées par l’usage de témoins « sans visage », et fin des pratiques qui violent les droits de l’homme les plus fondamentaux comme l’extorsion d’aveux, les menaces, les tortures physiques et psychologiques et l’application de conditions inhumaines et dégradantes dans les prisons.
5. Démilitarisation des zones Mapuche sur lesquelles les communautés revendiquent des droits ancestraux.
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Le 9 septembre, quatre députés chiliens leur ont rendu visite aux grévistes de la prison de Temuco. Réclamant l’instauration d’une table de dialogue avec les autorités, les parlementaires ont tenté de rester aux côtés des grévistes avant d’être évacués de force par le personnel pénitentiaire. Les députés ont annoncé qu’ils se mettaient également en grève de la faim.
Le 10 septembre, des mapuches de la capitale, Santiago, appuyé par des organisations sociales et culturelles ont décidé d’initier un jeûne de solidarité.
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