Quand la peur change de camps; résistons ensemble, septembre 2010, n° 89
Catégorie : Global
Thèmes : Immigration/sans-papierEs/frontieresLogement/squatRépressionRésistons ensemble
Lieux : Tours
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RESISTONS ENSEMBLE / bulletin numéro 89 / septembre 2010
Quand la peur change de camps
Certains diront que c’est peut être le fait le plus marquant de cet été mais d’autres savent que c’est le fait le plus marquant de ces quarante dernières années ; c’est un tournant dans le conflit entre la population des quartiers et l’Etat. Un point de non retour a été franchi avec l’échec le plus total de la lutte menée par la première génération d’enfant d’immigrés dans les associations et en direction des partis politiques. Nous sommes au-delà de ce point,en plein passage à une lutte armée. Certes cette lutte ne s’est pas généralisée mais elle est de plus en plus ancrée dans les esprits comme le seul moyen de ne pas se laisser humilier. Alors face à l’inaction générale peut-on reprocher à des hommes et à des femmes de vouloir se battre à armes égales face à une police brandissant avec arrogance ses flashballs, ses armes de poing, patrouillant en plein milieu des cités devant hommes femmes enfants et vieillards ?
Peut-on reprocher a une certaine jeunesse de n’avoir plus peur de rien ni même de la police? on ne peut même pas leur reprocher d’être des révolutionnaires qui s’ignorent, jouant leur avenir sur une bataille. Personne ne sait mieux qu’un banlieusard « tel acte telle peine de prison », on en est à un point tel que l’Etat est contraint de durcir le dispositif judiciaire pour faire face par exemple avec le projet de déchéance de la nationalité pour les « français d’origine étrangère ». Mais qu’en a à foutre de la nationalité française quelqu’un qui risque entre 30 ans et la perpétuité ?Et quelqu’un qui est forcé à entrer dans la clandestinité après le passage des vautours,ces même vautours qui à Grenoble ont tous demandé leur mutation après l’envoi d’un message leur promettant un déplumage ?
Alors la vraie question demeure : quelle solidarité construire face a cela ? condamner la violence de part et d’autre ou soutenir une lutte face a la répression ? A chacun de choisir son camps.
Vers l’épuration ethnique ?
L’expulsion des Rroms roumains et bulgare n’a pas commencé hier. Il y en a eu 11 000 en 2009. La différence est que jusqu’ici ça se passait dans une complète discrétion médiatique. A part quelques associations et collectifs tout le monde s’en foutait. Les Rroms ne constituent-ils pas, et ce depuis des siècles, pour les pouvoirs et pour beaucoup de gens qu’une minorité qu’on exclut et méprise de façon presque « naturelle » (ce serait de « leur faute »)?
C’est le contenu de la propagande et des mesures législatives de style vichyste proposées cet été qui est nouveau. Pour la première fois, depuis la 2ème guerre mondiale une minorité est attaquée comme criminelle dans son ensemble sur une base « ethnique ». Bien entendu, on n’envoie, pas encore, les Rroms vers les camps de concentration, mais néanmoins les similitudes existent : en les expulsant on les traite comme des « européens light », des sous citoyens et donc des sortes de sous hommes.
Derrière la brusque médiatisation de ces mesures il pourrait y avoir un plan plus large. Il s’inscrit dans les lois que l’Etat prépare face au vent nouveau radical qui s’est levé ces mois-ci dans les quartiers populaires face à la police.
Après les « sans-papiers », après les Rroms, la prochaine cible visée par l’Etat serait les enfants d’immigrés en révolte. Une preuve ? La dernière décision de Sarkozy d’éliminer la bigamie et l’escroquerie pour ne laisser « que » l’atteinte à la vie d’un flic comme cause de déchéance de la nationalité française. Déjà déclarés criminels en groupe, privés de leur nationalité française, les émeutiers des cité pourraient devenir à leur tour expulsables. En utilisant les procédures « légales » expérimentées sur les Rroms la République pourrait alors se débarrasser des Arabes et des Noirs des quartiers populaires. Les fondements idéologiques et légaux d’une épuration ethnique à grande échelle pourraient être en préparation. Pas possible en France ? en tous cas ce ne sont pas des jérémiades de curés et de politicards de gôche qui les arrêteront.
> RIPOSTE dans les quartiers populaires
L’affaire a été plutôt médiatisée : dans la nuit du 15 juillet un casino d’Uriage-les-Bains en Isère est braqué par deux hommes pris en chasse par la BAC, échange de coups de feu, la course se finit à pied dans le quartier de la Villeneuve à Grenoble (38). Karim Boudouda, 27 ans, est abattu par la police. Le procureur invoque la légitime défense, la mère du jeune homme parle de porter plainte. « Dans la fusillade, Karim a d’abord été blessé à une jambe, et ensuite, ils l’ont abattu comme un chien, de deux balles dans la tête. Pour moi, c’est un assassinat. Même s’il a fait un braquage, on ne le tue pas. » Du 16 au 18 juillet, le quartier de la Villeneuve où habitait Karim, vit trois nuits d’affrontements. La police déployée en nombre, 300 CRS, des hommes du GIPN et du RAID, essuie ponctuellement des tirs d’armes à feu. Dans un discours le 30 juillet Sarkozy parle de « guerre nationale », de déchéance de la nationalité française, de peine de 30 ans incompressible, d’élargissement des peines planchers, d’expulser les Rroms…
Dans le Loir-et-Cher, dans la nuit du vendredi 16 au 17 juillet, Luigi Duquenet, 22 ans est abattu par un gendarme. La voiture aurait forcé un barrage, pour le conducteur « Il n’y a jamais eu de barrage. Les gendarmes nous attendaient. Quand je les ai vus, j’ai pilé. Ils nous ont alors tiré dessus ». Le dimanche une cinquantaine de gens du voyage ont attaqué la gendarmerie de Saint-Aignan (41) à coups de haches et de barres de fer. En réaction quelques 300 militaires sont déployés sur place.
Mi juillet, un an après la mort en garde à vue au commissariat de Chambon-Feugerolles (42) de Mohamed Benmouna (voir RE78), la contre enquête n’a pas progressé, une marche silencieuse a eu lieu pour continuer de réclamer justice.
Mardi 3Août à Auxerre (89), quartier Sainte Geneviève un jeune homme échappe à une interpellation grâce à l’intervention d’un groupe d’une dizaine de personnes au visage masqué; plus tard dans la soirée une voiture de police est visée par un tir d’arme à feu. Jeudi matin à Villefontaine (38) près de Lyon des coups d’arme à feu sont tirés contre le domicile d’un policier. On comprend que les syndicats de police s’inquiètent.
Dans le quartier parisien de Belleville, vendredi 6 Août 20h30 une patrouille de 3 policiers interpellent une femme chinoise sans papier, elle proteste avec force, ils la menottent et l’entraînent en direction de leur voiture. Mais de nombreuse personnes, chinoises elles aussi, se mettent à suivre les flics en exigeant de savoir pourquoi cette femme est arrêtée. Ils ne lâchent pas le morceau et continuent d’encercler la voiture où la femme est enfermée, menottée. Alors les policiers craquent et la libèrent. Tout le monde exulte.
Jeudi 12 Aout dans la cité des Tarterêts à Corbeil-Essonnes (91) une patrouille de l’UTEQ veut contrôler un jeune mineur. Celui-ci sort un marteau et appelle à l’aide. Une soixantaine de jeunes gens descendent des immeubles et s’en prennent aux policiers en leur lançant des pavés et en les frappant. Les policiers ripostent en jetant des grenades lacrymo et tirant au flashball. 5 policiers finissent à l’hôpital. Quelques jours plus tard, 2 hommes d’une vingtaine d’années passent en jugement avec pour base d’accusation les témoignages de policiers : le 1er accusé d’avoir arraché le casque d’un policier écope d’un an de prison dont 7 mois ferme et le 2nd accusé d’avoir injurié et fait des doigts d’honneur, de 3 mois ferme. Mais le parquet d’Evry a fait appel : la peine ne convient pas aux policiers venus très nombreux assister au procès, ils voudraient plus de prison, des mandats de dépôt…
A Roubaix (59) Samedi 21 Aout un homme de 27 ans roule à moto, il est poursuivi par la police, il finit par chuter et se retrouve à l’hôpital avec la mâchoire cassée, une fracture ouverte à la jambe et de multiples contusions. Pour les habitants de son quartier, l’Epeule, ce sont les flics qui l’ont poussé. Pendant deux nuits ils s’affrontent à la police, 5 d’entre eux sont interpellés. Pour le maire PS (comme par hasard le même qui avait déposé plainte contre le Quick hallal), qui a appelé en renfort une compagnie de CRS, ce n’est pas du tout une « bavure »: l’homme a refusé de s’arrêter et il était connu des services de police, les flics peuvent donc en disposer impunément.
Dimanche 22 Aout, quartier de la Fontaine Mallet à Villepinte (93), des flics en patrouille repèrent un jeune de 19 ans qu’ils recherchent, ils se servent de leur Taser à plusieurs reprises pour l’interpeller. Les habitants du quartier réagissent et s’affrontent aux policiers jusqu’à 2h du matin.
Le 24 août, des tirs éclatent dans la cité de la Bagatelle à Toulouse (31). Probablement le résultat de foutues embrouilles qui virent parfois à la mort. Le soir vers 23h la police est appelée. Une patrouille de la bac débarque, toute philanthrope. De suite elle essuie sans être touchée un coup de feu, puis prenant en chasse la voiture du tireur, deux coups de feu. Arrivés dans une autre cité du Mirail, les bacqueux et quelques renforts se trouvent caillassés par 30 à 50 personnes, celles poursuivies disparaissant dans la nature. Une enquête pour « tentative d’homicide sur agents de la force publique » a été ouverte. Selon le proc’, « quand des policiers sont pris à partie, cela mérite de tout faire pour identifier les auteurs, et quand ces auteurs sont identifiés, cela mérite une réponse particulièrement ferme ». La vie d’un flic vaut bien plus qu’une autre.
Aux abords de la cité du Luth à Gennevilliers (92) une patrouille de 3 policiers a été attaquée par une trentaine de personnes, dans la nuit du 31 août au 1er septembre, par jet de pavés. Un policier a eu un traumatisme crânien, leur voiture a été sérieusement endommagée. Deux jeunes ont été interpellés. Un peu plus tôt dans la journée deux jeunes en scooter avaient déjà été arrêtés pour « crime de rodéo ». Ils ont été condamnés en comparution immédiate à 5 mois et à un an de prison (une vengeance de la justice ?) pour « refus d’obtempérer », « violences volontaires » et « conduite sans permis ».
> [ C H R O N I Q U E D E L ’ A R B I T R A I R E ]
Encore deux noyades… et deux autres
Vous vous souvenez de Mickaël Cohen ou Vilhelm Covaci, poursuivis par la police et retrouvés noyés en 2004 et 2006 . La série noire se poursuit. Un sans papiers guinéen de 28 ans, chassé par la police se noie dans la Seine à Draveil (Essonne), et aussi un adolescent de 15 ans fuyant un contrôle routier à Mantes-la-Jolie (Yvelines). Parions que comme d’habitude les enquêtes vont s’enliser, il ne restera que des familles en deuil, impuissantes mais qui n’oublieront pas.
Petite victoire
Le 19 juillet le Conseil d’Etat a condamné en partie le fichier Base élèves premier degré : suppression des données sur la santé des élèves, réduction de la durée de conservation de celles contenues dans la Base nationale identifiant élèves (BNIE), qui est aujourd’hui de 35 ans… et surtout un droit d’opposition des parents pour que les données soient anonymes et ne sortent pas de l’école, pour ne pas être croisées avec d’autres fichiers de l’éduc’ nat’ ou d’autres ministères, ni auscultées par la mairie et l’inspection académique. Cette petite victoire vient après deux ans de bataille de plus de 2 000 parents et 200 directeurs d’école sur le terrain et dans les tribunaux. L’horizon reste la disparition de ce fichier, de la bureaucratie et du flicage modernisés qui vont avec, sous prétexte de meilleure gestion administrative et de suivi pédagogique.
L’autre rentrée
La loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure n°2 est discutée cet automne par les boîtes à dangereux guignols. À chaque fois des caps sont franchis, aussi brutaux que l’aggravation est progressive et diffuse. Entre autres ici : 30 ans de taule ou perpétuité incompressibles pour le meurtre de personnes dépositaires de l’autorité publique (flics, gendarmes, magistrats) ; peines-plancher systématiques pour les récidives de « violences aggravées », au moins 6 mois fermes ; bracelet électronique pour les condamnés en état de récidive à 5 ans fermes au moins, et les sans-papiers assignés à résidence ; responsabilité pénale des parents de mineurs auteurs de délits et autres infractions ; procédure d’expulsion expéditive du préfet pour tout type de squatteurs de logements, locaux, terrains, sans jugement, sur simple mise en demeure, et même contre l’avis ou à la place du proprio ; etc.
L’autre cartouche du moment est le projet de loi Besson qui affaiblit encore plus la déjà lamentable condition juridique des sans-papiers et renforce leur répression. Entre autres : possibilité pour le préfet de créer des zones d’attente ad hoc ; une Interdiction du territoire français (ITF) accompagnerait toute Obligation de quitter le territoire français (OQTF), ; allongement de la durée de rétention ; création d’une « carte bleue européenne » pour les travailleurs hautement qualifiés, qui illustre bien l’immigration choisie mais ne cache pas que la répression accrue ne frappe toujours qu’une partie des sans-papiers pauvres pour maintenir la majorité dans la peur et l’exploitation.
> [ A G I R ]
Pour avoir osé comparer le gouvernement actuel à celui Vichy, en matière de méthodes de chasse aux sans papier dans un tract, quatre militant-e-s tourangeaux se retrouveront au tribunal correctionnel de Tours le jeudi 16 septembre, poursuivis pour « diffamation publique contre une administration publique » par le Ministre de l’intérieur en personne… Appel à soutien les 15 et 16/09, 13h00 devant le tribunal de Tours. www.baleiniers.org
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