A propos des revendications et à propos de la liberté
Category: Global
Themes: Actions directes
La lecture de moult textes qui paraissent sur Internet ou sur papier (et expriment pour la plupart beaucoup d’idées qui me sont proches), me laisse de plus en plus souvent perplexe et parfois m’énerve fortement… J’ai donc décidé de tenter de formuler rapidement deux des critiques que j’ai à faire, sans doute de manière assez simple et incomplète, histoire de (re)lancer le débat et en aucun cas pour porter un quelconque jugement moral ou tenter je ne sais quel règlement de compte…
1- De la revendication du moindre pet…
On voit fleurir notamment sur Internet de nombreux communiqués de revendications (et parfois des photos) autour de différentes actions (bris de vitrine, graffitis, banderoles, sabotages divers…), parfois regroupés au sein d’une série de brèves et souvent en lien avec tel ou tel campagne de solidarité. Sans doute, les personnes qui expriment leur solidarité et leur rage en s’attaquant à tel ou tel vitrine ou pan de mur (et j’en suis) mesurent le caractère limité et insatisfaisant de ce type de geste dans le rapport de force qui nous oppose à ce système, ce monde de merde ou cette société de classe (comme vous voudrez). Néanmoins, je pense que tout ce qui sort de la normalité, de l’immobilité, et s’attaque même très partiellement à ce monde mérite d’être fait, et pas seulement dans un souci de satisfaction individuelle… Par contre, ce que je comprends beaucoup moins c’est cet acharnement à s’empresser d’aller le communiqué « au monde entier » sur tel ou tel site Internet. Si la revendication est accompagnée d’un véritable écrit qui détaille un peu le pourquoi du comment, j’y vois certes un intérêt, bien que limité tant que cela reste communiqué dans un cercle restreint y compris sur la toile.
Certes, il peut être plaisant de voir que les « copains » font la même chose dans leur bled et que les points rouges sur la carte se multiplient… mais, franchement, est-ce vraiment ce que l’on recherche ?
Partout dans ce monde, des personnes sont en révolte contre l’ordre établi, contre la domination. Au travail, dans les rues et même à la campagne, les actes d’insoumissions, de sabotages, sont bien plus nombreux que ce que l’on peut en lire dans les médias de tous types. Quel intérêt avons-nous à en enregistrer, à en collectionner, une toute petite partie ?
A plusieurs reprises, en parcourant certains textes, ceux parus à propos des actions de solidarités avec Vincennes notamment, j’ai ressenti une sorte d’écoeurement de lire que de potentiels complices en viennent à oublier qu’il y a sans aucun doute bien d’autres actes de solidarité que ceux certifiés Indymédia qui se sont exprimé. Non, tous ceux qui agissent ne vont pas forcément le communiquer sur Internet et bien souvent, les médias bourgeois ne le relaient pas… Personnellement, je ne vois vraiment pas l’intérêt d’aller poster un message au moindre de mes gestes. Je pense même que cela représente un risque certain vu que nous sommes tous de plus en plus fliqués : caméras dans les cybercafés, photos prises par des appareils qui en gardent la trace, importance pour les flics de pouvoir identifier des réseaux… et j’en passe !
2- Béni soit la Liberté
Nombreux textes mettent en exergue le concept de liberté, souvent sans prendre la peine de le définir. De la « liberté » je ne connais de toutes façons que ce que les philosophes (bourgeois) des Lumières ont définit comme tel, je ne connais que le slogan républicain et l’étendard capitaliste. Voilà pourquoi je m’interroge quand je le lis, utilisé à toutes les sauces, dans des textes qui par ailleurs me parlent et expriment en partie ce que je pense. Le mot est utilisé bien souvent comme une clef de voûte servant à tout justifier. Il est une sorte d’idéal à atteindre et puisque nous ne le pouvons dans ce monde, c’est pour cela qu’il nous faudrait combattre…
Il s’agirait apparemment d’un état individuel. Je ne pense pas que l’individu seul puisse atteindre quelque chose qui m’intéresse. La recherche d’une satisfaction individuelle, moi j’associe ça soit à la spiritualité (j’aime pas trop les mystiques, surtout quand il font du prosélytisme et même si ils ne sont pas non-violents), soit à la masturbation (bien que la pratiquant largement, je ne préfère pas me limiter à ça et je ne prône pas qu’elle), soit à de l’égoïsme (ce que je qualifierai de valeur bourgeoise par excellence, dans le sens que ceux qui possèdent et exploitent les autres le font pour leur intérêt propre, pour se satisfaire en tant qu’individu et par négligence des autres…). Si la liberté est une recherche de satisfaction individuelle, même si celle-ci n’est pas définie comme se limitant à celle de l’autre mais comme s’étendant avec celle des autres, n’est-elle pas au final de l’ordre du « chacun pour soi » ?
Ce mot ne représente rien de souhaitable que je connaisse, rien que je puisse qualifier comme tel et qui me convienne. La « Liberté » dont il est souvent question est définie comme n’étant pas de ce monde, elle n’existe donc pas à ce jour. A partit de là le mot lui-même n’a donc aucune signification concrète. Ceux qui l’emploient sont pourtant bien souvent les mêmes qui dénoncent les croyances, l’utopie, l’idéalisme, le paradis… La liberté telle qu’elle est employée dans les textes « révolutionnaires » est une croyance, au même titre que d’autres. Si je ne combats pas les croyances (seulement les dogmes, les religions en tant qu’institutions), je ne les combats pas tant qu’elles restent justement confinés dans la sphère individuelle et que la personne qui croit en tel ou tel chose ne joue pas au curé…
Bon allez, je m’arrête là pour le moment, j’espére avoir été à peu près clair et pas trop évasif… J’aurai bien d’autres critiques à formuler, notamment sur le lyrisme comme mode d’expression (l’esthétique de certains textes, la satisfaction pour la beauté de la révolte – surtout, je l’avoue, quand c’est celle des orques : je suis sans doute spéciste ! – me sont assez étrangère…), ce sera peut-être pour une prochaine…
En espérant que ces quelques lignes suscitent des discussions, si possible pas que sur Internet !
Un enragé parmi tant d’autres.
Salut,
je ne serais pas contre discuter de tout ça dans la vraie vie plutôt que sur Internet, mais comme je ne sais pas qui est l’auteur de cette intéressante contribution, je me contenterai pour cette fois d’une réponse sur Indy-Grenoble.
A vrai dire, si quelques remarques m’ont paru pertinentes, d’autres m’ont semblé un peu à côté de la plaque, ou du moins, pas vraiment au coeur du problème soulevé.
Commençons par le point n°1, “De la revendication du moindre pet”:
J’imagine que pour renforcer le côté “ce n’est pas un règlement de comptes”, tu as préféré ne pas illustrer ton article d’exemples concrets, mais le problème c’est qu’au final, sans exemples précis, on risque de tout mélanger, de se dire “il n’y a aucun intérêt à faire connaître des actions directes via internet”, alors que ce n’est pas le message que tu as voulu faire passer je crois.
Souvent, quand des actions directes sont annoncées sur un site Indymedia, elles le sont anonymement mais en lien avec une campagne de solidarité ou un autre événement. Donc en général l’article annonçant l’action directe relaie également du contenu “théorique” avec en toile de fond un ou des textes permettant de bien comprendre la portée de l’action, et au-delà, de se questionner sur les partis pris tenus dans ces textes. Bref, l’intérêt est loin d’être inexistant.
Et quand ces textes-là sont absents, c’est-à-dire quand l’article se limite à un simple communiqué annonçant l’action directe, le fait d’annoncer cette action permet plusieurs choses: déjà qu’un nombre plus ou moins important de gens aient conscience que des actions ont (eu) lieu, qu’il est possible d’agir (sous-entendu qu’eux aussi peuvent agir, que nous aussi, lecteurs et lectrices du site, nous pouvons agir), que les actions sur tel sujet à tel moment ont une résonance plus forte que d’habitude parce que plusieurs groupes agissent plus ou moins au même moment, et annoncer le {moindre pet} permet ensuite dans un article plus conséquent de répertorier différentes actions qui ont eu lieu sur le même sujet. Même si cela n’est pas exhaustif et que peut-être il y a eu plein d’autres actions, il est à mon avis toujours intéressant de faire savoir que des gens luttent sur des sujets qui leur tiennent à coeur, et notamment via des modes d’action généralement peu reconnus (car au-delà de la légalité et de l’acceptation des habituels tracts, manifs, pétitions, conférences et autres… je ne dis pas ça pour mépriser ces derniers modes d’action, je pense au contraire que beaucoup de modes d’action peuvent être complémentaires les uns des autres).
Par ailleurs, il y a bien sûr des questionnements de toutes parts, et tant mieux. Ton article n’est ni moraliste ni jugeant, et tant mieux également. Je profite toutefois de l’occasion pour signaler que certaines personnes ayant tendance à se considérer comme de hautes autorités sur la façon dont les luttes doivent se mener ont pu écrire (et dire) ces dernières années que les actions directes non expliquées publiquement (entre autres défauts supposés) étaient néfastes au mouvement. Il ne faudrait pas que la tendance s’inverse à l’extrême en disant qu’il est néfaste d’annoncer et d’expliquer toute action directe…
Pour ma part, je trouve intéressant qu’il y ait des médias, comme Indymedia par exemple, où l’on peut informer et s’informer sur ce genre d’actions plus ou moins illégales, car du fait de l’illégalité de ces actions il est généralement difficile pour leurs auteur-e-s de les faire connaître.
Comprenez-moi bien, je ne dis pas que “toutes les actions illégales sont intéressantes”, je ne dis pas non plus que “c’est super classe d’envoyer un message sur Indymedia à chaque fois qu’on écrit un truc sur un mur”.
Mais la possibilité de le faire est précieuse.
Tu écris “Partout dans ce monde, des personnes sont en révolte contre l’ordre établi, contre la domination. Au travail, dans les rues et même à la campagne, les actes d’insoumissions, de sabotages, sont bien plus nombreux que ce que l’on peut en lire dans les médias de tous types. Quel intérêt avons-nous à en enregistrer, à en collectionner, une toute petite partie ?”
Pour moi, l’intérêt n’est pas de (faire) croire que les actions citées sur Indymedia (ou autres sites) sont les seules, les uniques, les vraies. Au contraire, il serait intéressant que bien d’autres actions de “révolte contre l’ordre établi” soient relayées via Indymedia. D’autres sites le font, en partie et dans la mesure de ce dont ils réussissent à être au courant (cela n’a encore une fois rien d’exhaustif mais ces sites ont à mon avis le mérite d’exister et d’essayer de relayer divers moments d’expression de la guerre sociale). Par exemple:
– Les brèves du désordre de Cette Semaine: http://cettesemaine.free.fr/spip
– Même pas peur: http://mmpapeur.blogspot.com/
– Paghere Tutto: http://pagheretetutto.blogspot.com/
– Suie & Cendres, brèves de la guerre sociale en Belgique: http://suieetcendres.blogspot.com/
– Eskarbille, sur les Etats-unis et le Canada: http://eskarbille.resist.ca/
– Anthologie du Présent, sur les émeutes à travers le monde: http://berthoalain.wordpress.com/
– La Pie bavarde: http://lapiebavarde.wordpress.com/
– Des Nouvelles du Front: http://dndf.org/
Tu écris aussi “Personnellement, je ne vois vraiment pas l’intérêt d’aller poster un message au moindre de mes gestes” et je suis bien d’accord avec toi là-dessus.
En fait, s’il ne faut pas se contenter de ces communiqués d’actions parce qu’ils ne représentent pas toutes les actions qui peuvent avoir lieu {contre l’ordre établi}, c’est bien sûr parce que des tas de gens agissent sans même connaître l’existence d’Indymedia, mais c’est aussi parce que parmi celles et ceux qui parfois écrivent sur Indymedia, écrire un communiqué pour faire connaître une action n’est pas un réflexe systématique. Ecrire un communiqué n’est pas toujours pertinent, et pas seulement parce que c’est risqué au niveau de la répression (à vrai dire il serait dommage de s’interdire de relayer ces actions sous prétexte que l’on a peur de se faire pécho par la police, de la même manière qu’on essaye de dépasser nos peurs pour agir, il peut être intéressant de dépasser nos peurs pour écrire sur Indymedia ou ailleurs… bien sûr, dépasser nos peurs signifie avant tout acquérir des savoirs, prendre des précautions, etc.).
Et maintenant, le point n°2, “Bénie soit la Liberté”:
Je suis entièrement d’accord que la “liberté” est un concept facile, fourre-tout et ambigu. Oui, il n’y a qu’à voir le slogan principal de la République française pour s’apercevoir qu’il s’agit facilement d’un énorme foutage de gueule.
D’où l’importance, comme tu le dis, d’au minimum définir le terme si l’on tient à l’employer.
Je ne sais pas si la “liberté” revendiquée dans différents communiqués est une “croyance”. Elle pourrait être une conviction, ou un objectif, au-delà d’un idéalisme supposé. Tout dépend de ce qu’on entend par liberté.
Mais je ne vais pas écrire d’autres lignes pour expliquer ce que j’entendrai par ce terme. Je n’emploie guère ce terme et j’ai déjà trop écrit pour un simple commentaire sur Indymedia, non ?
Allez, à bientôt dans la rue !