Tandis que les manifestants commencent à construire des barricades et mettre le feu, le pont de la frontière franco-allemande déborde de CRS blindés. Les gens se côtoient, échangent des tractes, regardent des dizaines de bateaux de police sur le Rhin, et font l’aller-retour entre le terrain du meeting à 400 mètres de là. L’atmosphère est crispée. Les flics
entourent l’île qui est le port de Strasbourg, mais pour le moment sur l’île
même les manifestants ont carte blanche. La destruction est dans l’air.

Le jeudi précédent a déjà vu les 1500 du black block déclenchant des ravages
dans la partie sud de la ville, brisant des fenêtres au siège de la police
et une base militaire, en « taggant » tout au long de la rue. La répression
policière suivait par une invasion du village des 10.000 manifestants et 140
arrestations. Plus tard le jeudi, une tentative d’invasion du camp a été
repoussée après que la police ai lancé des bombes de gaz lacrymogène dans les
quartiers résidentiels environnants et les manifestants ont allumé le feu
sur des barricades et ont répondu avec des cocktails Molotov. Le vendredi a
été une journée « légère » durant l’anti-congrès de l’OTAN avec de grands
orateurs comme Tariq Ali et Noam Chomsky, bien qu’à la suite des conférences
il y ait encore une fois des échauffourées à la périphérie du camp.

Cependant, samedi était le premier jour officiel du sommet de l’OTAN à
Strasbourg qui a accueilli tous les dirigeants des pays de l’OTAN avec
l’annonce de leur « nouveau concept stratégique pour le 21ème siècle », dans
lequel l’OTAN a l’intention de remplacer l’ONU en tant que dirigeant de la
politique internationale. Ce « concept » prolongera sans doute la trajectoire
post-1989 d’encercler la Russie à la poursuite des bases militaires dans les
Balkans et en Europe de l’Est, et de son bouclier de défense anti-missiles
en République tchèque et en Pologne, malgré que l’opinion populaire soit
massivement contre le projet.

Toutefois, le motif le plus évident de Barack Obama et de sa délégation
américaine est la « stratégie globale » en Afghanistan. Son intention est de
poursuivre l’occupation mise en place par l’administration Bush et son
intensification continue « entre 2004 et 2007 le nombre de bombardements
aériens a augmenté, passant de 86 à 2926 » par l’ajout de 21.000 soldats aux
38000 déjà sur le terrain. Étant donné que le pays est déjà divisé en
secteurs occupés, comme l’Allemagne ou l’Autriche d’après guerre, par des
Italiens, des Américains, des Français, des Allemands, aussi bien que le
secteur contrôlé par les Néerlandais / Canadiens / Anglais, l’intervention
poursuit une guerre qui n’a guère cessé depuis 30 ans avec 8000 morts en
2007, où 260.000 Afghans ont fui le pays, et où ¼ de la population manque de
nourriture et d’eau. En outre, seulement 15 milliards de dollars sur 25
milliards de dollars de l’aide de l’OTAN promise a atteint le pays, avec 40%
de l’aide accordée aux entreprises européennes et américaines par contrat
dont l’objectif est de maintenir l’occupation et, par conséquent, l’aide ne
parviendra pas à la population affectée.

La situation est désespérée. 46.000 Afghans sont déjà morts d’un décès qui
aurait pu être évité pendant les 40 premiers jours de la présidence
d’Obama. Et si Obama prétend qu’il désire une perspective plus globale en
appelant à l’aide d’autres dirigeants du monde, il exige aussi plus de
« responsabilité » de leur part pour les guerres de l’Amérique dans le monde
musulman. Un mois avant le sommet de l’OTAN, le président français Nicolas
Sarkozy avait annoncé la réintégration de la France dans le commandement
militaire de l’OTAN après 40 ans d’absence. Cela avait de l’intérêt: ne
serait-ce à dire que la France « et d’autres pays européens » va envoyer
plus de troupes pour combattre dans la guerre illégale en Afghanistan? Et
cela pourrait-il compromettre l’avenir de la France et sa capacité de
contester les guerres illégales américaines comme ils l’ont fait en Irak?

Néanmoins, le moment s’est avéré comme un cri de ralliement pour le
mouvement anti-guerre et les quelques 30.000 manifestants qui se sont réunis
à Strasbourg pour dire non à l’OTAN. En dépit de la provocation initiale de
la police de sécurité empêchant les manifestants d’atteindre le point de
rencontre pour la manif, les grands groupes ont commencé à se regrouper
dans le quartier résidentiel du port de Strasbourg, à environ 13 h
samedi. Les contingents se sont pointés vers la frontière allemande où la
police a constitué un obstacle redoutable pour les 7000 manifestants
allemands de l’autre côté « on leur a menti en disant qu’ils pourraient se
joindre à la manif» et, par conséquent, de mettre le feu au bureau de la
douane. Les hélicoptères au-dessus foutaient le camp, leur vision obscurcie
par la fumée. Des bureaux sortaient de l’immeuble à alimenter les barricades en
flammes. Graffitis gribouillés sur les murs proclamant «la guerre sociale»,
«pour les Afghans», et «contre l’OTAN, contre le capitalisme.» Marchant
vers le terrain du meeting, les manifestants commencent à démonter des
panneaux publicitaires, des caméras de sécurité et des distributeurs de
billets. La manif n’a toujours pas pu se démarrer tant que la police
bouclée la zone, en empêchant plus de manifestants d’y entrer et ceux déjà
présents de partir, alors la destruction commence à incorporer de nouveaux
éléments. Une banque, une pharmacie, à l’instar du bureau de la douane,
sont en flammes alors que d’énormes vagues de fumée s’envolent dans le
ciel. Stations de bus sont défoncées avec des barres en fer, des pavés sont
jetés sur la barricade naissante, et les églises environnantes ont des
portes taggées avec des citations des Lumières. La prochaine cible est un
hôtel 4 étoiles qui est pillé et brûlé. Peu de temps après, l’arrivée de la
police avec des bombes de gaz lacrymogène obligent les derniers manifestants
de partir vers le terrain du meeting. Un nuage de gaz lacrymogène
commencent à envelopper la zone entière, et atteint les 30.000 manifestants
réunis à seulement 100 mètres de là. Des milliers de personnes toussent et
s’aspergent du sérum dans les yeux pour soulager la sensation de brûlure.
La majorité écrasante condamne les actions policières contre la foule.

La manif commence finalement vers 15 h lorsque la grande masse fait son
chemin le long du port jusqu’au pont à l’entrée de la ville. Des milliers
de policiers anti-émeutes bloquent le passage, forçant la foule de tourner à
droite et se pointer vers le quartier dévasté. En arrivant à la voie
ferrée qui représente l’entrée dans le quartier, le passage est à nouveau
bloqué. La police commence à enfermer les gens des deux côtés, bombardant
la foule avec des tirs de flashballs, du gaz lacrymogène, des grenades
assourdissantes et un canon à eau. Les bureaux autour sont encore une fois
brisés, un bureau de poste saccagé. Les cailloux de la voie ferrée pleuvent
sur la police qui réagit avec plus de gaz lacrymogène. La violence des
flics atteint son sommet quand ils reprennent le contrôle de la voie ferrée
et acculent un groupe de pacifistes contre un mur, les aspergeant de gaz
lacrymogène. Ils finissent par diriger le troupeau de manifestants, sans
défense et fatigués, hors de la zone portuaire en arrêtant toute personne
habillée en noir. En fin de compte, environ 300 sont arrêtés « bien que
seulement 12 restent en garde à vue avec près de 50 blessés» dont un
quart de la police.

Bien sûr le consensus dans les médias a été le choc et la condamnation le
lendemain. La seule perspective intéressante était celle des résidents dans
le quartier populaire ravagé qui ont dirigé leur choc et colère contre les
autorités qui «ont permis leur communauté d’être sacrifiée» Alors qu’ils
étaient confus et humiliés par la destruction de leur quartier, ils ont
compris que la ville qui accueille un sommet de l’OTAN dans le contexte
actuel ne sortira pas indemne. Au contraire, une ville qui accueille le 60
e anniversaire de l’OTAN et la célébration de ses crimes de guerre doit
nécessairement payer cher. Pourtant, ils étaient les seuls obligés
d’assumer la charge.

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