Ce forum social européen fut sans doute en bonne partie un assagissement ennuyeux de toute contestation sociale réelle, tant ce genre d’évènements cadrés permet la récupération et le contrôle des luttes (anticapitalistes, féministes, écologistes; pour la la liberté de circulation, antimilitariste…) par quelques leaders, élites intellectuelles, partis politiques et organisations citoyennistes qui se donnent en spectacle dans une longue suite de conférences lénifiantes censé-e-s assurer la pérennité de leur pouvoir et de leur gloire médiatique. Tout cela dans une ambiance passive de consommation, de fouilles, de flics et de vigiles.

Alors même que l’Etat s’acharne contre les chômeur-euses, intermittent-e-s, rmistes, précaires, banlieusard-e-s, sans-papier-e-s et autres rebuts sociaux en sursis d’incarcération dans l’une de ses nombreuses nouvelles prisons, la grand-messe citoyenniste d’ATTAC et consorts, patronnée et financée par l’Etat « républicain », la Mairie « socialiste » de Paris et les cinémas « capitalistes » Gaumont, s’apparentait à un refus de toute action directe et perturbation de l’ordre en place.

Mais celle-ci fut également, sans doute, pour tout un tas de militant-e-s et curieux-ses de « la base », l’occasion de se rencontrer, de se sentir moins isolé-e-s localement, de réfléchir et d’en apprendre plus sur leurs thématiques de luttes préférées. Elle permit aussi peut-être à certain-e-s de rencontrer quelques groupes plus radicaux qui avaient fait le choix de s’insérer dans l’ »officiel » à l’instar de certains autonomes et antifascistes berlinois, de féministes ou de mouvements gays et lesbiennes. Le débat reste ouvert sur le fait d’y participer ou pas, de risquer de le cautionner ou pas, de s’enfermer dans nos ghettos radicaux ou pas, de se moquer totalement du FSE ou de juger primodial d’y intervenir même si c’est pour le saboter…

Heureusement, il y eu quelques autres initiatives, évidemment pas ou peu relayé-e-s par les médias mainstream, qui vinrent perturber un tant soit peu cette belle opération citoyenne et mettre quelques touches de subversion dans Paris.

Cette subversion passait notamment par la mise en place de quelques espaces alternatifs. Le Forum Social Libertaire organisé par l’OCL, No Pasaran, la CNT, la FA et autres orgas ou individus anars, proposait sur trois jours divers débats et une foire aux livres dans une ambiance assez classique, pas très portée sur la pratique, mais avec des sujets bien stimulants (organisation d’un nouveau campement No Border, débats sur les zones autonomes, luttes antipatriacales, citoyennisme ou guerre sociale et plein d’autres). Ce FSL permettait aussi de tirer le constat positif du suivi d’une dynamique commune entre orgas libertaires suite au VAAG

Le GLAD (Globalisation des Luttes et Actions de Désobéissance) coordonnait quant à lui les initiatives du réseau intergalactique (arggh et divers autres collectifs anticapitalistes, féministes, « alter-mondialisation » plus ou moins formels), des réseaux gay et lesbiennes (lgbt, panthères roses…) et No Vox (collectifs de sans papier-e-s, droits devant!, précaires, sans-toits…). Ceux/celles-ci avaient fait le choix, dans un « souci d’ ouverture » d’avoir un pied dans le FSE où ils/elles animaient quelques forums et un pied en dehors. Ils/elles avaient donc installé juste à coté des forums officiels, un espace de tentes et de chapiteaux où se déroulaient débats, fêtes, ateliers pratiques (samba, action-directe non-violente…), expériences d’autogestion (avec notamment les cuisines collectives dont les anarchistes hollandais de rampenplan), et préparations d’actions directes. Même si le flou politique qui pouvait s’en dégager était parfois gênant, la dynamique anti-autoritaire, créative et enthousiaste qui s’en dégageait était revigorante.
Espérons qu’elle ne tombe pas dans un activisme jeune et branché, qui partant de la saine envie de subvertir les trotskystes, attakistes et autres sociaux-démocrates avec qui elle fricote, se fasse finalement engloutir et utiliser comme façade cool et radicale pour la jeunesse.

Il y avait aussi à la Maison des Metallos de Paris, le Medialab, lieux de rencontres et d’échanges pour techno-activistes Indymedia et bidouilleurs d’ordinateurs, de télés pirates ou de radios libres, mais aussi structure de découverte et d’apprentissage du cryptage, de GNU/Linux, des sites webs participatifs…

Ces divers espaces (GLAD/FSL/METALLO) permettaient des rencontres à divers militant-e-s venu-e-s de toute l’Europe et ne se retrouvant pas dans les politiques du FSE, ainsi qu’à des curieux-ses gavé-e-s ou souhaitant aller voir ailleurs.

Outre ces initiatives, la semaine fut ponctuée de quelques actions directes dont voici une liste non-exhaustive (à préciser que je ne cherche pas spécialement ici à analyser en détail la pertinence politique et le degré de réussite de ces diverses actions mais à donner un aperçu de ce qui a pu être fait pendant ces quelques jours. Certains compte-rendus peuvent comporter des erreurs et je m’étend plus là où j’ai plus d’infos).
Il y a donc eu :

– une manif féministe le mardi soir et une marche du réseau Lesbian Gay Bi et Trans le jeudi soir.

– plusieurs tentatives non concluantes (dans un climat quand même particulièrement répressif) d’ouvertures de squats du coté du Forum Social Libertaire; dont l’une, juste en face du lieu de forum, à coup de masse, et conclue par l’arrestation de 4 personnes, qui seront libérée ensuite sous le poid de la pression populaire le samedi.

– une manifestation jeudi devant l’Unedic lors des négociations finales sur le statut des intermittent-e-s. Ceux/celles-ci, très remontées, tentèrent de s’introduire par derrière à l’intérieur des bâtiments ce qui valu quelques petites échauffourées avec la police et courses-poursuites.

– un rassemblement jeudi 13 nov. devant le FSE pour empêcher une conférence du PS à l’intérieur du forum, puis une prévisible bagarre avec les vigiles du PS et la police. Un autre rassemblement était annoncé le lendemain sur la thématique de la participation de syndicats de policiers au FSE, mais je ne sais ce qui s’y est passé.

– un bloquage du McDo des Champs-Elysées en soutien aux grévistes de McDonald’s et autres précaires en lutte (au moins un McDo parisien est fermé et occupé depuis plus d’un an).

– l’occupation vendredi 14 novembre de l’embassade de Grèce en soutien aux prisonniers en grève de la faim de Thessalonique (suite au sommet de l’Union Européenne de juin dernier), par une quarantaine de personnes. Ils et elles parviendront à rester toute la matinée et à obtenir l’envoi de leur revendications au gouvernement grec puis se voir renvoyé un fax de réponse leur assurant du bon état de santé des prisonniers en question. Les 40 occupant-e-s avaient prévenu qu’ils et elles pouvaient être 500 en quelques minutes et que si leurs revendications n’étaient pas satisfaites, d’autres actions plus offensives seraient menées. Cette action s’inscrivait dans une série d’initiatives de soutien en divers pays d’europe, initiatives qui finissent peut-être apparemment par porter un peu leurs fruits.

– le sabotage réussi par coupure/anéantissement du boîtier électrique, d’une conférence du FSE où devait s’exprimer des Disobidienti italiens, accusés en gros de collaborations avec les pouvoirs en place, de politiques médiatiques et d’autoritarisme (info à confirmer).

– l’ouverture en manif d’un squat politique dans un grand hangar par deux cent personnes du réseau No Vox qui souhaitait en faire un lieu d’activités, d’actions et d’assemblées (reste à savoir si il a été expulsé ou pas depuis).

– une action d’occupation (50 personnes à l’intérieur et 300 dehors) de l’agence Air france des Champs-Elysées dans le cadre d’actions contre l’Europe forteresse le samedi matin.

– un ravage/détournement jouissif et extrêmement étendu des publicités du métro parisien par tous les moyens nécessaires: arrachages, bombages, collages, marqueurs. Le terrain avait été semble-t-il été préparé par les actions très efficaces du réseau d’action directe « non à la pub » dans les semaines précédentes, et la semaine du FSE a permis d’accroître considérablement la dynamique. C’est beau, créatif, participatif et tout les quidams regardent et s’interrogent. En plus cela coûte bonbons aux agences de pubs et aux entreprises. Vive la guerilla anti-pub!

– un sabotage de l’intervention de Walter Baier, président du Parti Communiste Autrichien, au Forum Social Européen contre la fermeture d’EKH, seul squat et centre social autonome de Vienne. L’intervention de Walter Baier s’insérait dans un forum sur « les médias et la guerre », animé le samedi par le journal du Parti Communiste Français: L’Humanité. Environ 400 personnes était présentes dans la salle. Au bout d’une heure d’interventions officielles de journalistes et politicien-ne-s prônant généralement, face à la propagande du pouvoir et des grands médias, la mise en place de médias alternatifs et la constitution de mouvements anti-guerre issus de la base, ce devait être à Walter Baier d’intervenir. Mais coupant court à la prise de parole, une personne s’éleva dans la salle pour dénoncer l’hypocrisie infâme de laisser Walter Baier s’exprimer à ce sujet, alors qu’il s’apprêtait dans le même temps à livrer à la spéculation immobilière, et donc à l’expulsion, l’EKH, centre social autonome vieux de 14 ans et abritant plusieurs projets de médias alternatifs, un centre d’acceuil pour réfugiés, une base d’organisation en faveur d’actions militantes pour la liberté de circulation, contre les politiques racistes, la guerre et autres thématiques de luttes, des projets de théâtre militant, de multiples activités culturelles et théâtrales. En effet, Walter Baier et le KPO avaient décidé un peu plus d’une semaine aupravant, et malgré des engagements récents, de revendre les bâtiments acceuillant l’EKH, ce qui signifierait sans aucun doute et au vu du contexte répressif autrichien, la fin du projet. L’intervention conclut sur une critique plus générale de la récupération politique de la contestation sociale, par des politicien-ne-s véreux-ses, alors que ceux/celles-ci s’emploient constamment à tuer tout ce qui échappe à leurs structures hiérarchiques, réformistes et institutionelles.
Les personnes furent invité-e-s, à l’exemple de l’intervenant-e-s à déchirer leurs pass d’accréditation au FSE. Après cette première intervention en français qui laissa Baier et l’assemblée muets, une femme marcha jusqu’à l’estrade pour se poster derrière Baier et réexpliquer entièrement la situation en anglais, puis une troisième personne se chargea de faire la même chose en allemand au micro. Ces interventions furent ponctuées d’applaudissements réconfortants des personnes présentes dans la salle, pour la plupart avides d’apprendre plus de détails par le biais du tract en trois langues distribué à l’assemblée.
Suite à quoi, un Walter Baier mortifié, tenta de justifier la décision de vente du KPO, en expliquant que les méchants autonomes gauchistes ne leur avaient pas demandé avant de s’introduire dans le siège du parti (qui apparemment était vide depuis longtemps et maintenant occupé depuis 14 ans) et que le KPO n’était pas très riche. Afin de se montrer conciliant avec le « public », Walter Baier déclara que le KPO allait maintenant essayer de trouver une solution qui convienne à tou-te-s.
Mais le passé récent a montré qu’on ne pouvait lui faire aucune confiance et que d’autres actions de pressions seront nécessaires pour sauver l’EKH.
Peu après son intervention, une autre personne interpella le Parti Communiste français, animateur du débat, sur l’expulsion de la Charade, un squat, logement et lieu d’activités politiques et culturelles de Saint-Martin d’Hères (banlieue de Grenoble). Ce lieu qui proposait une bibliothèque, un magasin gratuit, des soirées-débats et cinéma, des activités féministes et actions politiques… avait été expulsé en juin dernier par la mairie PCF de St-Martin d’Hères, propriétaire des locaux, alors qu’elle n’avait pas de projets sur les bâtiments.
Comme quoi, les mêmes vieux réflexes staliniens et manipulations politiques
se retrouvent dans les divers partis communistes à travers l’Europe…

– la tentative tout au long de la grande manif du FSE de virer le PS du cortège.
Sachant que le cortège du PS, c’était principalement un service d’ordre, qu’il était coincé tout au fond du cortège officiel face au cortège anar qui se cantonnait derrière son propre service d’ordre et avait décidé de ne pas s’attaquer au Parti Socialiste lors de cette manif. Ce qui n’a pas empêché quelques dizaines d’autonomes et anars énervés de balancer constamment divers objets contondants sur les gros bras du SO du PS, de s’énerver avec les gros bras de SO de la CNT qui les foutaient plus ou moins dehors du cortège anar, de se faire charger et un peu blesser par les matraques du PS qui ont finit par dégager en fin de manif…
Des évènements qui pourraient paraître relativement anecdotiques, mais qui dans le contexte local, ne manquèrent pas de raviver à l’infini des débats enragés sur les « totos puérils et irresponsables », la CNT « réformiste et cadrée par de gros beauf virils », le « jet de canettes en verre violent ou pas », la pertinence révolutionnaire de l’objectif d’expulsion du PS des grandes manifestations du FSE et sur l’utilité pour des libertaires de l’outil manif en général. Une petite touche d’ambiance conviviale entre groupes comme on sait toujours vous en concocter à Paris.

– pour finir la semaine en feu d’artifice, un excellent texte contre toutes les politiques sécuritaires, signé d’individus de l’Envolée et du Comité Anti Expulsion, relayait un appel, « trouvé sur internet », à une manifestation devant la prison de la santé sur la joyeuse thématique de « brûlons tout-e-s les prisons ». Environ 300 personnes se retrouvèrent donc à 20H, dans la nuit sur une place Denfert rochereau surfliquée et réussirent à se rendre sur un boulevard déserté, jusque devant la prison, protégée par des barrrières et rangs de CRS et gardes mobiles. Tous les prisonniers dont la cellule donnaient sur le boulevard étaient à leur barreaux et gueulaient tant et plus divers slogans contre Sarkozy, les prisons, la police et encourageaient les manifestant-e-s. Un superbe feu d’artifice fut donné de l’extérieur et d’autres slogans lancés, tandis que des prisonniers brûlaient de petits bouts de papier. Après une vingtaine de minutes de ce moment éminemment émouvant et rageur, la manifestation voulut se déplacer mais un rang de policiers vint la bloquer à sa droite, tandis qu’à sa gauche arrivaient de nombreux autres policiers au pas de charge avec des canons à eau. Encerclés de trois coté par quelques centaines de policiers et dos à un mur sur un boulevard aveugle, le rapport de force était largement inégal et le traquenard bien ficelé. De quoi rappeler que la solidarité concrète avec les prisonniers et les prisons en général sont des sujets sensibles pour l’Etat. On pu assister ensuite à un exercice très spectaculaire d’arrestation de masse (encore peu courant en France mais cela laisse envisager le pire pour l’avenir) ou après avoir poireauté un heure sous la pluie face à des feintes de charges de CRS, la totalité des 275 manifestant-e-s furent arrêté-e-s un-e par un-e, fouillé-e-s dans la rue et entassé-e-s dans des bus et fourgons de police, puis amené-e-s à grand renfort de sirènes et de boulevards bloqués jusqu’à une caserne assez grande pour les acceuillir et les contrôler toutes et tous. Une fastidieuse opération de fichage (mais une ambiance conviviale du coté des manifestant-e-s) qui dura plus de 6 heures et dépassa largement le temps légal d’un contrôle d’identité.
Cela demande sûrement de se questionner sur les moyens de ne pas tomber dans de tels pièges, mais quelque part, sans se complaire à faire les martyres, et au regard du FSE, c’était une belle action quand même!

Ben ce sera le mot de la fin.

ul / 17/11/04