à tous les enragés
LETTRE AUX OUVRIERS EN COLERE, à tous les enragés !

Nous n�avons plus besoin d�insister sur la radicalité de la situation, elle est partout visible. Elle crève les yeux. Beaucoup de possibilités se sont réalisées, et on sait que ce n�est pas fini. Il y a quelques temps, on entendait encore parler des grèves comme des « prises d�otages ». Maintenant, dans les médias, dans la bouche merdeuse du premier politicien venu, partout, partout, on trouve des raisons aux séquestrations de patrons. Maintenant, « on comprend ». C�est fou comment, devant le fait accompli, on se met à « comprendre ». Des gens saccagent une sous-préfecture, ce ne sont plus des « casseurs » comme à Strasbourg, ce sont des « ouvriers en colère ». Quelques fausses oppositions à abattre, quelques contre-vérités à démonter, et nous voilà prêts, nous voilà mûrs pour un chambardement qui n�attend plus que nous pour s�enclencher. Personne, aucune organisation, rien ne l�enclenchera à notre place. Et une fois enclenché, dans la situation présente, on sait que ça ira loin.

Pourquoi, tout en cassant, les « Conti » ne sont pas des « casseurs » ? C�est quoi la logique ? Parce qu�on reconnaît que chez eux c�est la colère qui s�exprime, et non la « délinquance », la « bêtise », ou je ne sais quoi. Eh bien, il faut juste s�avouer que c�est la même chose à Strasbourg, pendant le contre-sommet. Là aussi, y�a de la colère. Il faut juste s�avouer que la casse en manif n�a JAMAIS été le fait de « délinquants », ou d�adeptes de l� « acte gratuit ». Il faut en finir avec ce mythe pour ménagère apeurée. Dans la casse, dans le sabotage ciblé : à chaque fois, la rage s�exprime. Simplement, à Strasbourg, ou dans des moments comme ça, c�est une rage qui n�a pas besoin, pour surgir, d�être déçue par un patron, par une décision de justice, ou par quoi que ce soit, c�est une rage qui prend les devants en quelque sorte, qui ne peut pas être déçue, parce que, de toute façon, elle ne croit en rien de tout ce qu�on lui propose. Attention, on ne croit pas en rien pour autant. On n�est pas condamnés à croire en rien, à être « nihilistes ». On est plutôt condamnés à sortir du « nihilisme ». Oui, casser, c�est politique. Y�a de la rage, et y�a même de l�idée, si on regarde bien. Casser, c�est politique. On entend dire « ça sert à rien ». Ouais, exactement, ça sert à rien, ça ne veut pas être une « réponse », une « solution » aux fameuses « questions de société ». On ne veut pas apporter de réponses, on veut changer la question. On se pose déjà d�autres questions. On veut pas être utiles, on trouve même que se rendre utile aujourd�hui, c�est collaborer à des trucs peu glorieux, et qu�à force de vouloir rendre la vie utile, le capitalisme l�a partout foutue en l�air. Être utile, c�est être rentable, et être rentable, tout le monde voit ce que ça signifie. Mais revenons à la casse départ, revenons à la rage joyeuse. En fait, casser, c�est commencer par dire : « Depuis quand on a besoin d�arguments pour s�attaquer au capitalisme et à l�Etat ? » On n�a pas besoin d�arguments, on n�a pas besoin de prétexte, on n�est pas plus malins que les autres, mais on sait ce que ce Monde a dans le bide, on le sent, il n�y a rien à sauver, on a toujours connu la crise, il faut faire autrement, dès maintenant. On n�a pas à attendre que des politiciens x ou y nous disent « c�est bien, c�est vrai, en fait vous avez un peu raison, non, vous avez même carrément raison d�avoir la rage ». On n�a pas à attendre d�être représentés un jour par un politicard un peu moins crapuleux que les autres. On n�a rien à revendiquer, on a mieux à faire, parce que revendiquer ça veut dire quémander, et ça revient à attendre et attendre d�être un jour, enfin, bien représentés, d�en trouver un ou une « qui parle bien » pour nous, c�est-à-dire : encore à notre place, d�attendre je ne sais quel Parti en se disant « eux, y vont se bouger », nonon, Sarko y se bouge, y�a pas à dire, c�est pas ça le problème. C�est à nous de nous libérer, de libérer nos territoires. C�est nous, « le Parti ». La rage n�a pas besoin d�arguments, surtout face à des professionnels de la parlotte. Mais elle n�est pas non plus gratuite. Mettons qu�on pourrait dire : on ne sait pas ce qu�on veut, mais on sait comment l�obtenir. Par exemple, on sait qu�en commençant, maintenant, une grève générale sauvage, sans direction syndicale, sans mot d�ordre, « RIEN » sur les banderoles, pas de revendications, on demande « RIEN » ça les affole, une grève sans préavis et sans fin, en commençant un truc comme ça, eh bien on ne sait pas où ça nous mènera exactement, mais on sait que ça vaut le coup d�essayer, c�est même une sorte de devoir d�essayer, de saisir l�occasion (le monde va droit dans le mur, c�est un bon argument ?) On sait pas où ça nous mènera, mais on sait là où on refuse d�aller. Si on tente dès maintenant de faire autrement, ce n�est pas pour se coltiner des chefs, petits ou grands, premier point. Deuxième point, ce n�est pas pour continuer à produire, même sans chefs. Produire, c�est rendre utile, donc rentable, c�est donc détruire. Non, on ne va pas produire. On va s�organiser, localement, pour voir comment on veut vivre, ce qu�il nous faut, ce dont on se passe. Pour voir ce qu�on change et comment. Ce qu�on garde, ce qu�on explose, et quand. Pour redessiner les contours de nos bleds, de nos rues, de nos maisons, de nos gestes. Pour faire face à la répression. Comment on s�arrange collectivement. Pour voir ce sur quoi on peut être autonomes, et ce qui nécessite une organisation plus vaste. De toute façon, tout appelle à la solidarité. Aucun foyer de révolte ne s�en sort seul, jamais. Naturellement, les territoires qui se libèrent trouvent un moyen de se coordonner pour voir comment on s�entraide, sans fric, sans contrepartie à la noix, comment on s�organise tout court, entre les différentes « communes ». C�est pas plus compliqué : on commence localement, parce que c�est ici que ça se passe, avec les gens qui sont là, qui sont prêts à vivre l�aventure, ce sont leurs désirs, c�est leur façon, et puis voilà. Non pas pour dire : « on fait ce qu�on veut entre nous, laissez-nous tranquille, faites ce que vous voulez ». Non : on veut pas « partir à la campagne » qui n�existe plus, on veut pas s�isoler sans déranger personne, sans changer rien à rien, on veut commencer à faire différemment, et on sait que c�est tout un monde qu�il faut habiter à nouveau, des habitudes à perdre, des habitudes à prendre, des priorités à se dire collectivement et à assumer collectivement, et que c�est un problème mondial, c�est-à-dire que ce qui se passe localement n�est rien sans ce qui nous lie, nous solidarise avec les autres territoires libérés, les autres sensibilités, les autres façons de faire. Il y a toute une politique à inventer entre la petite échelle et la grande. Pour éviter que le lien entre le petit et le grand, revienne à un rapport inférieur/supérieur, bas/haut. Pour une destruction durable de l�État. Il y a toute une politique qu�on ne peut anticiper sans la trahir par avance, et qui se trouve le moment venu. Les « casseurs » de Strasbourg, (et les « racailles » de partout), approuvent les « lions » de Conti et d�ailleurs. On ne voit pas pourquoi ça ne serait pas réciproque. Casse « à froid » systématique, ou casse « à chaud » sous l�effet de la colère, il faut voir les choses en face, oublier les préjugés, la rage est présente à chaque fois, et chaque fois légitime. Ce sont les rages qu�il faut faire converger, et c�est possible, et c�est ce que le pouvoir craint le plus, c�est son pire cauchemar. Il faut arrêter d�insister sur les différences évidentes, il faut bien se dire que les incompréhensions de part et d�autre relèvent au fond d�un bête conflit de génération. De telles différences sont tout à fait dépassables, on a tout intérêt à les dépasser en se mettant d�accord sur ce point : oui, la rage est légitime. On a raison. Rien ne nous retient. Et contrairement aux soixante-huitards en leur temps, nous comptons sur nos pères et nos mères dans la révolte. GUERRE A L�ÉTAT ! GUERRE AU CAPITAL !