Arrestation préventive d’un militant la veille du 10 septembre… Ou quand la police use de mensonges grossiers pour intimider le mouvement social
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Le Comité Affaires sensibles livre ici son analyse sur l’interpellation abusive et préventive de S. le 9 septembre, soit la veille du premier jour d’une mobilisation d’ampleur.
UNE ARRESTATION PREVENTIVE…
Alors qu’il rentre chez lui le mardi 9 septembre au soir, S. est violemment poussé dans le dos dans le couloir de son immeuble par un homme (non identifié par un quelconque brassard contrairement à ce qu’affirme la police), qui l’immobilise par une clé de bras. « Allez on t’arrête, tu bouges pas ». A sa suite, quatre hommes cagoulés font irruption dans le couloir. Nous sommes à la veille du 10 septembre, journée nationale d’action de blocages et de grève prévue depuis plusieurs semaines. Le ministre de l’intérieur comme les préfectures ont déjà annoncé leur intention de réprimer violemment cette contestation. Le mouvement « bloquons tout » a émergé en dehors des organisations politiques et syndicales traditionnelles mais a trouvé du relai parmi nombre d’entre elles. Sa forme rappelle la spontanéité et la colère des gilets jaunes et à ce titre, effraie le pouvoir politique : les renseignements sont à pied d’œuvre et communiquent en amont sur les mobilisations attendues. S. est militant de longue date, son syndicat (la CGT spectacle) a appelé à cette journée d’action il y a déjà plusieurs semaines, il a participé à de nombreuses assemblées générales préalables au mouvement. Il comprend vite qu’il est interpellé dans ce cadre.
Après une trentaine de minutes d’attente assis dans les escaliers, menotté, toujours entourés de cinq hommes cagoulés et le passage de plusieurs de ses voisins-es, trois OPJ (officiers de police judiciaire) arrivent enfin pour lui signifier sa garde-à-vue (GAV) pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un délit passible de 10 ans de prison ferme ». Ils l’entraînent alors dans son appartement pour procéder à une perquisition. S’ensuivra près d’une heure de fouille, accompagnée de commentaires humiliants, de jugements sur ses lectures, son mode de vie (un peu trop « à l’ancienne » notamment car il utilise encore du papier et des stylos). Sa bibliothèque est minutieusement scrutée, certains de ses livres, autocollants et affiches photographiés, ses écrits décortiqués, ses saxophones fouillés avec soupçons (peut-être une arme par destination ?), etc. Déçus de cette fouille qui n’apporte aucun élément incriminant, les hommes en cagoule et les OPJ emportent finalement avec eux son ordinateur, un disque dur externe, une carte SD (contenant les rushes d’une interview de grévistes du Syndicats des travailleur·euses du Jeux Videos), et plusieurs broutilles de type masque FFP2, marqueurs, autocollants, gants de travail (S. est musicien mais aussi technicien du spectacle). Selon eux, l’attirail du « parfait black bloc ». Comme bien souvent, le mythe du dangereux militant d’ultra-gauche est ici utilisé comme justification. Ils perquisitionneront ensuite son véhicule, fouille qui s’avérera tout aussi décevante.
Arrivé au poste, S. demande à faire prévenir sa compagne comme le droit le permet mais le parquet accordera au policier le droit de sursoir à l’avis famille (elle ne sera prévenue qu’à 9h le lendemain).
…BASÉE SUR UN MENSONGE POLICIER
S’ensuit une garde-à-vue de 48h, où les policiers dévoilent petit à petit ce qu’ils ont dans leur chapeau, c’est-à-dire pas grand chose. Dans ce laps de temps, les policiers n’ont de cesse de répéter à S. que c’est la détention provisoire qui l’attend à la sortie de sa GAV. Le motif réel de son interpellation -les détails de la fameuse « association de malfaiteur »- ne lui sera donné qu’à 16h15 le 10 septembre, soit plus de 21h après son interpellation. Il découvre avec stupeur ce qu’on lui reproche. Les policiers des renseignements territoriaux et le chef local de la PJ, Franck Douchy (qui lance véritablement cette « affaire » et n’en est pas à ses premières frasques contre des militant.es lyonnais.es, au delà même de ses propres affaires [1] ), mentent sur l’élément principal censé incriminer S. : une bouteille remplie d’hydrocarbure qu’il aurait déposé dans un bosquet à proximité du rdv principal de point de blocage du lendemain à Lyon. D’après l’OPJ qui l’interroge, plusieurs policiers des renseignements territoriaux (RT) affirment l’avoir formellement identifié en train de déposer la bouteille. S. n’en revient pas, il n’a jamais vu et encore moins déposé cette bouteille. Il comprend que c’est à partir de ce mensonge que se déclenche l’affaire qui a conduit à son arrestation et le prive de participer aux manifestations du 10 septembre. La bouteille est envoyée en urgence en analyse ADN et papillaires. Évidemment celle-ci revient négative puisque S. n’a jamais vu et donc encore moins touché cette bouteille dont il ignorait l’existence même. Les analyses révéleront également qu’en fait d’hydrocarbure la bouteille était remplie de …. gel hydroalcoolique. Ni ADN, ni vidéos, ni photos… l’accusation devient légère. Après 30h d’enfermement, la version policière change complètement : S. n’a plus déposé cette bouteille, il a simplement été aperçu dans le quartier. Un autre individu (décrit par les mêmes policiers qui la veille incriminaient S.) serait à l’origine de ce dépôt sans qu’aucune preuve ne soit apportée non plus. Lors de sa première audition, l’OPJ avait demandé à S. si les policiers mentaient. Au deuxième jour, il admet lui-même ce mensonge. Le château de cartes s’effondre. L’arrestation et la perquisition lancées contre S. ne reposaient que sur ce mensonge policier.
SAUVER LA PROCÉDURE, le délit bien pratique de refus de donner son code.
Mais comme bien souvent dans ce genre d’affaires, le simple fait d’aller en GAV génère la commission de délit pour qui veut protéger sa vie privée : S. est poursuivi pour le désormais classique « refus de remettre aux autorités judiciaires la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie ». En l’occurrence ici, le refus de donner le mot de passe de son ordinateur. Ce refus permet de déférer au tribunal le camarade pour un procès en février 2026, sur ce seul chef d’inculpation, l’association de malfaiteurs ayant été abandonnée. Le parquet a bien sollicité un contrôle judiciaire très strict avec interdiction de manifester, obligation de pointer une fois par semaine au commissariat et interdiction de port d’arme. La JLD (juge des libertés et de la détention) ne suivra le parquet que sur cette dernière interdiction. Contrôle judiciaire dont il fait d’ailleurs appel. Au delà de l’affaire en elle même, ce qu’elle révèle des techniques et des manipulations policières à l’encontre des militant-es est un cas d’école. L’inquiétude -réelle ou feinte pour effrayer toutes celles et ceux qui souhaiteraient en finir avec le capitalisme- que l’activité militante de S. semble susciter dénote d’un imaginaire policier en roue libre. Notons ici que S. est en effet un militant connu (des services de police mais surtout de bon nombre de personnes qui luttent pour un monde meilleur à Lyon) précisément parce qu’il va régulièrement à la rencontre de différents secteurs en lutte et prend la parole dans des espaces d’organisation politique. Il participe aux mouvements sociaux et à de nombreuses luttes sans s’en cacher. Et heureusement, ce n’est pas encore un crime.
Cet engagement de longue date est manipulé et transformé par les informations apportées par les renseignement territoriaux qui justifient cette interpellation dans le dossier. On y lit et comprend que S. était en fait pris en filature depuis le mardi matin au minimum, et étroitement surveillé. Les principaux justificatifs de cette filature résident dans le militantisme de S. et dans ses prises de paroles en assemblées générales. Dans une pratique d’auto-référencement inquiétante, les policiers justifient la dangerosité de S. par le fait qu’il ait été fiché S par leurs services, sans jamais fournir d’exemples concrets, sauf à dire qu’il « est devenu au fil du temps un élément incontournable des différents mouvements protestataires [à Lyon] » bien qu’il « n’ait jamais été mis en cause pour sa participation à des troubles à l’ordre public ». Il est également noté qu’ il « intervient régulièrement sur les ondes de radio canut » et qu’ « il s’exprime avec une aisance certaine en public. » Précisons ici que S. est un militant syndicaliste de longue date, et qu’il n’y est quasiment jamais fait référence dans le dossier policier.
Les renseignements perpétuent à l’inverse un mensonge autour de son appartenance à un groupe antifasciste local dans lequel il n’a jamais milité. Il s’est en revanche toujours opposé à l’idéologie d’extrême-droite et à sa montée en puissance de ces dernières années. Il est également très investi dans les luttes pour le logement, les droits des personnes sans-papiers, plus généralement pour la justice sociale, la liberté et contre le saccage capitaliste. Dans le dossier policier, il est noté qu’il est donc « extrêmement polyvalent ». On ne sait pas bien ce que cela veut dire mais on comprend bien que c’est incriminant pour les services de renseignements.
UN INTERROGATOIRE POLITIQUE (nos statistiques sont formelles)
Il apparaît de toutes façons lors des auditions que les policiers n’étaient pas vraiment intéressés par les faits mais bien plus par l’engagement de S. Ainsi, 24,6% des questions sont liées à la procédure et la perquisition : demande du mot de passe d’ordinateur, vérification et questions sur les saisies (« à quoi vous sert le blanco ? » -sic-), etc. 29,4% sur sa personnalité : entourage, activités professionnelles, culturelles, sportives etc 27,8% sur son engagement politique : « De quel courant politique et philosophique vous sentez-vous le plus proche ? ; Quels sont les auteurs et les œuvres dont vous vous sentez le plus proche ? Avez-vous participé à des luttes sociales ? ;Que pensez-vous de l’action du gouvernement en matière d’écologie ? ; Que pensez-vous de l’action du gouvernement en matière sociale ? ; Que pouvez-vous nous dire du mouvement antifasciste ? ; Etes vous anarchiste ? Etes vous communiste ? Au sein de ce mouvements, comment voyez vous votre place, votre positionnement ? ; Etes vous quelqu’un que l’on écoute au sein de ces mouvements ? ; Dans les faits, n’êtes vous pas un organisateur ? » Etc.) Et enfin seul 18,2% des questions portent sur les faits. CQFD
Enfin, les enquêteurs jugent pertinent d’ajouter au dossier le PV de contexte du mouvement social du 10 septembre, retraçant minute par minute le maintien de l’ordre de la journée de mobilisation (On sera heureux d’apprendre que le maintien de l’ordre était notamment confié au commissaire Chassaing, mis en cause après la chute de Steve dans la Loire et son décès lors de la fête de la musique de Nantes en 2019). Il est noté pour justifier l’ajout du PV contexte que S. « pouvait être perçu comme l’instigateur de cela ». Quelle ironie quand on sait qu’il a précisément été empêché d’exercer son droit de grève et de manifester dans un contexte où des milliers de personnes se mobilisaient collectivement depuis plusieurs semaines, partout en France ! Difficile d’imaginer que S. ait été l’instigateur de ces blocages et manifestations, pourtant c’est bien ce que prétendent les enquêteurs dans leur procès-verbal.
Nous voilà donc ici dans le cadre d’une police politique qui cible volontairement un militant connu de longue date, prête à de basses manœuvres mensongères dont le seul but final est d’intimider et criminaliser l’action militante. L’importance du fichage dans ce genre d’affaire n’est plus à démontrer.
S. a refusé de répondre à l’ensemble des questions posés lors de ses auditions. Il se savait pourtant innocent des faits reprochés mais il connaît déjà malheureusement trop les techniques policières visant à utiliser la moindre information (y compris les dénégations) contre celles et ceux qui les formulent. Toutes les questions sont posées pour établir la culpabilité, jamais pour démontrer l’innocence. Son silence et son refus de fournir aux enquêteurs des informations personnelles et de travail (notamment le contenu de son ordinateur principalement utilisé dans le cadre de son activité professionnelle) ont été un moyen à la fois de préserver son innocence mais aussi sa vie privée.
Sa détermination a ne pas courber l’échine face à la pression a été largement motivée par le soutien qu’il a perçu depuis l’intérieur. Près de 200 personnes se sont réunies devant le commissariat dans lequel il était gardé à vue et 5 députés ont pu le visiter. Cette solidarité, c’est ça la réalité de nos luttes, pas les mensonges policiers qui visent à discréditer et criminaliser nos activités militantes.
LEÇON A TIRER
Qu’est-ce que les flics espéraient dans cette histoire ? Que la perquisition permette d’incriminer notre camarade, que la pression mise en garde à vue débouche sur l’extorsion d’aveux ?… Ou plus simplement, le but était dans le moyen : que la nouvelle de la perquisition et de la garde à vue d’un militant très investi décourage tout le monde.
Dans tous les cas, ne pas se laisser intimider reste la meilleure option. En garde à vue, cela signifie : refuser de parler et de se débattre dans les filets de leurs mensonges. S. a tenu tout le long de sa GAV la ligne du « je n’ai rien à déclarer ». Attitude face à la police qui a une nouvelle fois fait ses preuves.
Collectivement, ne pas se laisser intimider, c’est organiser la solidarité à l’extérieur quand un.e camarade est interpellé, ne pas tomber dans la paranoïa collective et continuer à lutter.
LE COMITE AFFAIRES SENSIBLES Information politique sur des affaires de répression policière, judiciaire et carcérale, pour soutenir les personnes qui y sont confrontées
P.-S.
Vous pouvez soutenir S. grâce à la cagnotte mise en ligne par son syndicat pour payer ses frais d’avocat https://www.we-solidaire.com/fr/collecte/soutenons-sebastien-militant-victime-de-repression
Notes
[1] Franck Douchy est connu pour ne pas trop s’embarrasser du cadre légal. En gros, la procédure pénale, c’est pas trop son truc. Plusieurs affaires le concernant quand il était patron de la PJ de Versailles sont toujours en cours. https://www.leparisien.fr/faits-divers/le-patron-de-la-pj-de-versailles-mute-les-dessous-d-u
Il a depuis été muté à Lyon. On le retrouve récemment à la manœuvre dans des pratiques policières très problématiques (destructions de preuves, témoignages contradictoires, etc.) qui aboutissent au procès de 8 militant.es d’extinction rébellion ce 18 juin dernier suite à une action symbolique sur le site d’Arkéma. Procès qui se soldera par une relaxe générale. https://www.mediacites.fr/enquete/lyon/2024/06/11/action-militante-contre-arkema-revelations-sur-le-rol
Pas très étonnant donc, de le retrouver aux affaires dans ce dossier construit autour d’un gros mensonge policier.
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source : https://rebellyon.info/ARRESTATION-PREVENTIVE-D-UN-MILITANT-LA-31913


Le 9 septembre 2025, soit la veille du lancement d’un mouvement social populaire d’ampleur, l’un de nos animateurs a été interpellé et perquisitionné à son domicile. D’abord placé en garde-à-vue pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un délit passible de 10 ans de prison ferme, et après 48h de garde-à-vue sous pression mais sans fondements, il passe en procès en février 2026 pour… avoir refusé de donner son mot de passe d’ordinateur durant ces 48h. L’association de malfaiteur a été immédiatement abandonnée à la fin de la garde-à-vue.
Dans un contexte de criminalisation toujours plus importantes de militant-es investi-es dans les luttes sociales, ce sont également les journalistes qui sont de plus en plus pris-es pour cible. Durant l’été, les services de Bruno Retailleau ont dévoilé un nouveau « schéma national des violences urbaines », dont l’objectif ne fait aucun doute : empêcher les journalistes d’approcher en cas de confrontation avec les forces de l’ordre, comme par exemple lors de révoltes après un crime policier, ou en cas de manifestations tendues. Selon le Syndicat National des Journalistes de la CGT, « cela ouvre la porte à un usage dérogatoire à peu près dans toutes les manifestations. » Régulièrement déjà, des journalistes sont pris.es pour cibles par les forces l’ordre dans les manifestations. Reporters sans frontières (RSF) a par exemple recensé sept cas de journalistes entravés physiquement par les forces de l’ordre dans l’exercice de leur fonction lors des manifestations du 10 septembre, par coups de matraques, étranglements, ou intimidations. Ce fut encore le cas tout récemment lors de la manifestation du 18 septembre à Lyon lorsqu’un journaliste de France 2 a été violemment blessé après un tir de grenade de désencerclement.
L’interpellation d’un de nos animateurs la veille de la journée de mobilisation du 10 septembre interroge l’ensemble de la radio. Lors de la perquisition de son domicile, les policiers encagoulés de le PJ ont épluché ses cahiers de notes d’animation d’émission de notre radio (entre autres choses). Une carte SD contenant les rushes d’une interview de travailleur·euses du jeux vidéos en grève en février dernier a été saisie puis détruite par les enquêteurs, ce qui correspond à une destruction illégale de sources journalistiques. Les bénévoles des radios sont protégé.es de la même manière que les journalistes professionnelles. Dans le dossier concernant son affaire, il est également spécifié qu’il est un animateur régulier sur Radio Canut. Être animateur radio sur une émission militante d’une radio historique lyonnaise serait il devenu un crime ? Par ailleurs, son ordinateur a également été saisi lors de la perquisition et ne lui a pour l’instant toujours pas été rendu. Or, cet ordinateur est son outil de travail dans et en dehors de la radio.
L’ensemble de la radio dénonce cette interpellation et garde-à-vue abusive et apporte son soutien total à notre animateur.
Faire de la radio n’est pas un crime. Militer n’est pas un crime.
Et rendez lui son ordi.
Radio Canut
https://radiocanut.org/la-radio/article/un-animateur-de-radio-canut-arrete-chez-lui-et-perquisitionne