*Tiens, je suis là, et un moment après je suis encore là. On a l’impression que rien n’a changé. Sauf que l’urbain a vécu un moment. Si nous sommes d’accord sur le verbe « vivre », alors nous serons d’accord sur le fait que la vie est mouvement.*

Des oiseaux se sont envolés du jardin public. Des enfants ont improvisé une partie de football. Une dame, sur son balcon, a tendu son linge, et je ne sais pas vers qui elle a souri. Si c’était moi qu’elle visait, alors sans bouger de ma place, mon moment était déjà bien rempli.

En aménageant la ville, on aménage les vies. La roue du temps tourne, et qui se rappelle que, là où s’élève aujourd’hui un quartier, il y avait hier un champ ? Heidegger l’a conceptualisé : « habiter », ce geste qui relie l’humain à son espace. Hölderlin l’a chanté : « Poétiquement, l’homme habite sur cette terre. » Habiter n’est pas seulement occuper un espace ; c’est le transformer, le charger de mémoire et de mouvement.

Deleuze nous a appris à regarder les films comme des images en mouvement. La ville, elle aussi, est un film : une succession de Polaroïd. L’aménagement n’est autre que l’agencement : relier ce qui existe déjà ou créer les futurs Polaroïd. Mais ces images ne doivent jamais rompre la pellicule : le futur ne doit ni insulter le présent, ni oublier le passé.

La mode du « moderne », en effaçant nos identités, a fait de nous des bâtards. Nous ne sommes pas des pépites de l’État, mais des fragments arrachés. Chaque nouveau projet urbain se présente comme une caresse, mais porte en lui une brutalité : celle qui nie le passé et confisque le présent. Nos villes sont remodelées sans nous, et nous sommes sommés d’aimer cette transformation forcée, sous prétexte qu’elle serait l’avenir.

L’urbanisme cinétique est une nouvelle version du logiciel qui a jadis façonné notre patrimoine urbain médiéval. Mais à la différence de son aïeul, il n’impose rien : il trace, il accompagne, il s’écrit en fonction de nos besoins. Il se rapproche d’un algorithme vivant, généré par lui-même, qui évolue au fil des expériences, des usages et des pratiques quotidiennes. Ce n’est plus un plan figé venu d’en haut : c’est une écriture collective, mouvante, issue de la vie urbaine elle-même.

**Conclusion**

Habiter, ce n’est pas obéir à des plans dressés par des bureaux d’étude ou des ministères. Habiter, c’est inventer chaque jour nos lieux de vie, en faire des séquences vivantes, des Polaroïd qui s’ajoutent au film commun de la ville.

L’urbanisme cinétique nous rend cette capacité. Il ne commande pas, il accompagne. Il ne fige pas, il laisse advenir. Il n’efface pas les identités, il les relie. Face à l’urbanisme d’État qui nous traite comme des cobayes, il nous revient d’habiter poétiquement et politiquement nos espaces. Car la ville n’est pas une marchandise ni une machine à profit. Elle est ce que nous en faisons, ensemble, dans nos gestes, nos résistances et nos créations.