BAS LES VOILES(1)

Lila et Alma, les deux sœurs exclues du lycée d’Aubervilliers pour avoir refusé d’ôter leur voile islamique, sont apparues très secouées à la télévision. « Foutez-leur la paix » demandait leur père aux journalistes, lui qui, quelques jours auparavant, jouait du tam-tam médiatique.
Tout le monde comprend ce qu’elles ont ressenti. L’exclusion, le rejet de la collectivité, est une violence qui traumatise. Et, même si elles disaient assumer leurs responsabilités avec le soutien de leur père et celui de « personnalités », personne ne peut se réjouir que des lycéennes de 16 et 18 ans aient eu à en faire l’expérience.
Pourtant, Alma et Lila ne sont ni les seules, ni les premières à se sentir exclues de la collectivité à laquelle elles croyaient appartenir. Chaque année, des dizaines de millions de filles bien plus jeunes qu’elles, de 7, 9 ou 13 ans, sont retranchées du monde libre, contraintes à cacher comme une honte leur corps et parfois leur visage, sous peine d’être injuriées, brutalisées et, dans certains pays du Moyen-Orient, lapidées. Accueillies parfois à leur naissance par le désespoir de leurs parents qui voulaient un garçon, privées d’éducation, considérées comme des bêtes de somme, gibier promis en exclusivité à celui à qui leur père voudra bien les livrer, leur voile est un linceul sous lequel on ensevelit leur dignité et leur liberté.
Ce n’est pas une affaire de religion. C’est celle de l’évolution de la société qui doit se faire et qui, faut-il souhaiter, se fera. Les textes religieux « sacrés » reflètent les mœurs de l’époque où ils ont été écrits. Ils décrivent la place qui était celle des femmes il y a 1400, 2000 ou 4000 ans. Elles ont été considérées comme mineures pendant des siècles en Europe chrétienne. Les pères « donnaient » leurs filles en mariage. Jusqu’au début des années 1960 en France, une femme ne pouvait théoriquement travailler qu’avec l’autorisation de son mari. Même s’il reste du chemin à parcourir, les choses ont évolué, et c’est tant mieux. C’est une évolution du même ordre qu’il faut provoquer dans tous les pays où les femmes sont opprimées. Le monde bouge, il faut bouger. Contrairement à ce que croient certains, les traditions sont faites pour évoluer… ou disparaître.
Il est inacceptable qu’en 2003, où que ce soit, des êtres humains soient opprimés pour ce qu’ils sont. Quand il s’agit de groupes de population, c’est du racisme et c’est insupportable. Le fait de considérer que les femmes seraient inférieures n’est pas plus acceptable que le racisme. Or, le voile est le symbole de cette oppression pour des centaines de millions d’entre elles dans le monde mais aussi en France. Si Alma et Lila avaient gagné, ce n’est pas seulement leur droit de se voiler elles-mêmes qu’elles auraient conquis. En voulant faire sauter le verrou de l’interdiction du voile à l’école, elles créaient le risque que d’autres filles, soient, elles, obligées de s’en couvrir par ceux des frères ou des pères qui se donnent déjà le droit de surveiller étroitement la façon dont elles s’habillent.
Mais Lila et Alma s’en foutent : filles d’un avocat athée, elles sont assurées de pouvoir se dévoiler quand bon leur semblera. Qui peut-être assuré que ce sera le cas de toutes celles qu’elles auront contribué à faire voiler ?
Alma et Lila se sont fait l’enjeu d’un combat qui les dépasse. Même si elles le nient, leur choix « libre » est une insulte à toutes celles qui se battent pour conquérir leur liberté, parfois au péril de leur vie. En les excluant, ce ne sont pas deux élèves que le Conseil de discipline a sanctionnées. C’est une certaine vision du monde et des femmes qu’il a refusée.
Mais un autre combat contre l’oppression reste à mener. La solution est entre les mains des jeunes, filles et garçons, particulièrement ceux originaires de pays de tradition musulmane qui, tout en enrichissant la société du meilleur de leurs civilisations d’origine, doivent être à l’avant-garde du combat contre l’arriération pour faire évoluer les mentalités. Non pas pour « s’assimiler » mais pour hisser les voiles et construire, ensemble, Blacks, Blancs, Beurs, hommes, femmes, une société où chacun et chacune ait sa place quelle que soit son origine.

(1) Bas les Voiles est le titre d’un petit livre de Chadortt Djavann, une iranienne qui a porté le voile dix ans dans son pays. A lire et à méditer !

SAGA
Les travailleurs sont des paresseux et comme ils ne font plus que 35 heures, c’est la catastrophe économique. En tout cas, c’est la télé qui le dit.
Pourtant, si on écoute BFM, la radio du business, on entend, malgré elle, un autre son de cloche.
Figurez-vous que les riches encaissent tellement de profits que Porsche ne leur a jamais vendu autant de voitures. Le profit net de Porsche frise cette année le milliard d’euros. C’est une somme en pratique inconcevable. Alors les dirigeants de Porsche sont tellement contents qu’ils ont spontanément distribué 3000 euros (belle somme) de prime à chacun des 10.000 employés. Ce qui fait 30 millions d’euros en tout. Mais un pourcentage de redistribution des profits d’à peine 3% !
Voilà la mesure de la générosité capitaliste : 3% sont restitués à ceux qui ont créé par leur travail la totalité de ces profits.

ENSEMBLE ON PEUT RETROUVER
UN PEU D’ESPOIR
Palaiseau banlieue parisienne plutôt coquette. Depuis quatre ans une vingtaine de familles vivotent dans un bidonville derrière un rideau d’arbres, sur un terrain à l’abandon appartenant à la DDE. La plupart des adultes travaillent… au black Ils survivent espérant pour leurs enfants une vie meilleure.
Dans ces conditions, impossible de se sortir du piège : pas de boulot = pas d’appart, pas d’appart = pas de papier, pas de papier = pas de boulot. Dans cet ordre ou dans un autre…
Alors tous les trois mois, ils font un aller retour en Roumanie pour avoir un nouveau visa touristique qui (peut-être) vaut autorisation de séjour en France pour les trois prochains mois.
Le temps passe, la majorité de la population ignore leur existence, mais par derrière, quelqu’un à la DDE a fait une demande d’expulsion, évidemment entendue et relayée par la préfecture..
Bien sûr il y a eu des choses de réalisées, des enfants sont scolarisés, des militants ont organisé leur défense avec des avocats, trois familles ont été relogées. Et puis, en plein mois d’août, très probablement de manière illégale, leur campement est détruit, (on a auparavant pris soin de les éloigner) mais il reste du matériel dans les armoires…
Tout aurait pu s’arrêter là ou plutôt recommencer, nouveau squat, nouvelle expulsion, la spirale infernale.
Mais là non ! Emus de la situation inadmissible qui était faite à ces familles (elles s’étaient réinstallées, faute de mieux, 100 mètres plus loin dans des conditions encore plus précaires) des habitants des environs ont créé un Collectif de solidarité. Ils ont informé la population, organisé l’aide matérielle d’urgence, bâches, vêtement, lampe électrique, jerrycans etc. Ils ont entrepris avec ces familles, des démarches auprès des « autorités », (avec déjà quelques résultats) ils organiseront prochainement une « fête de la solidarité »…bien sûr, rien n’est définitivement gagné, mais comme ils le disent eux-mêmes dans un de leurs tracts, en agissant collectivement on donne « la preuve éclatante qu’il est possible de résister à l’injustice, de faire échec à l’exclusion des plus défavorisés »

FAUT-IL PIQUER LES ETRANGERS MALADES ?
C’est la question qu’on peut se poser à la lecture des projets du gouvernement visant à pratiquement supprimer la gratuité des soins aux sans papiers atteints de maladies graves (cancer, sida, etc).
Ces hommes et ces femmes n’ont pas le droit de travailler et sont donc presque sans ressources. Et, en tout cas, dans l’impossibilité de payer les soins que leur état nécessite souvent. Jusqu’à présent, ils étaient pris en charge et soignés sans qu’on leur pose de questions. Le devoir d’un médecin est de soigner. Pour le reste, on voit après. Ce qui est bien le moins.
Le gouvernement veut exiger que les malades fournissent avant toute chose la preuve qu’ils peuvent payer. Quant à ceux qui ne le pourront pas, qu’ils crèvent ?
La France est un pays riche (où les riches sont très riches, même si tout le monde ne l’est pas). Soigner gratuitement quelques centaines ou quelques milliers de malades supplémentaires ne représente rien. Il n’y a d’ailleurs même pas à se poser la question !
On ne peut pas laisser passer de telles mesures. Il faut que, partout, dans les quartiers, dans les entreprises, dans les lycées tout le monde se mobilise, écrive, téléphone, faxe, manifeste pour empêcher que de telles saloperies se commettent, en notre nom ou avec notre silence complice.

NON EVENEMENT A CHÂTENAY-MALABRY
J’ai été appelé ce matin par des copains qui essaient depuis des semaines d’empêcher une expulsion à Châtenay. Une femme, veuve et malade, quelques dizaines d’Euros de ressource par semaine, a accumulé d’énormes retards de loyers. La spirale descendante. Elle, sa fille et ses quatre petits-enfants ont été expulsés. C’était la première fois que j’assistais à cela.
Nous étions une demi-douzaine à attendre sur le trottoir, certains depuis six heures du matin. Vers 10 heures, arrive un groupe de messieurs pressés et bien mis : le commissaire de police, un huissier, un représentant de l’Office HLM, un serrurier et quelques autres encore. Puis un camion de déménagement.
Sagement, deux des enfants (8 et 10 ans, les autres sont des bébé) qui ont été dispensés d’école ce jour-là, continuent de trier leurs jouets. On les voit régulièrement descendre au local à poubelles ceux dont ils se séparent. Les déménageurs embarquent, dûment étiquetés, les quelques biens de la famille.
Des voisines se rassemblent, écoeurées : « Où il est, le Maire ? ». « C’est une honte, elle habitait là depuis trente ans », « S’ils ne savent pas où dormir, je les prends chez moi ». Imperturbable, sans violence inutile, la machine à broyer les vies continue son travail.
Il ne s’est rien passé à Châtenay le 14 octobre 2003 : une mère et ses enfants sont à la rue. R.