Fin juillet, la mesure, programmée déjà depuis plusieurs mois, tombe : Goodyear supprime 402 postes sur 1400 dans son usine de fabrication de pneus à Amiens-Nord dès le mois de septembre. La raison officielle invoquée ? La CGT et Sud, principaux syndicats de l’entreprise, ont imposé leur veto pour le passage aux 4×8. En fait, la direction a mis en place un véritable chantage : soit le passage aux 4×8 pour sauver l’entreprise, soit des suppressions de postes. Pourtant à quelques mètres de là, à l’usine de Dunlop, filiale de Goodyear, employant plus de 1000 ouvriers, la CGT a accepté la nouvelle réorganisation du travail. Ni une ni deux, la direction syndicale décide d’exclure cette section locale, événement exceptionnel dans l’histoire de la CGT. Pendant ce temps à Goodyear, CGT et patronat se renvoient la balle, le second accusant le premier d’être responsable des licenciements tandis que le syndicat parle de mauvaise gestion, d’agressivité patronale pour recentrer la production vers des secteurs plus rentables et délocaliser le reste, ce qui veut dire « casser l’outil industriel national ». Mais qu’en est-il réellement pour la classe ouvrière ?

« Les 4  x  8, un rythme infernal et destructeur »

Il est une réalité que tout le monde essaie d’occulter dans cette affaire, c’est l’aggravation de la crise économique qui touche aujourd’hui un des secteurs clefs de l’économie capitaliste, à savoir le secteur de l’automobile. Toutes les grandes entreprises connaissent des situations très difficiles : aux Etats-Unis, Général Motors est en faillite, sans parler des deux autres grandes marques que sont Ford et Chrysler ; en France, Peugeot et Renault connaissent aussi de grandes turbulences (dernière mesure en date : Renault va supprimer 6000 postes dans le monde, dont 1000 sur le territoire national). Le marché automobile est arrivé à saturation, la concurrence est exacerbée, aggravée par l’arrivée de voitures chinoises, voire hindoues qui sont déjà vendues à des prix très bas sur le marché asiatique. Tout ce qui est lié à l’industrie automobile est touché à son tour, ce qui est le cas du pneumatique. S’ouvre alors une guerre ouverte entre les grandes marques, Michelin, Continental, Bridgestone et Goodyear, une guerre impitoyable qui nécessite, pour rester dans la compétition, une réduction des coûts de production. Ce qui veut dire, fermer des sites de production en faisant travailler plus ceux qui n’ont pas été licenciés et, pour réduire encore plus la masse salariale, délocaliser pour aller chercher une main d’œuvre encore moins chère. Ainsi, alors que Goodyear licencie et ferme des sites aux Etats-Unis et au Canada (ce qui a entraîné une lutte dans ces pays avec 15  000 grévistes fin 2006), un projet d’ouverture d’une grande usine en Chine est décidé.

C’est dans ce contexte qu’une nouvelle organisation du travail est envisagée dans les sites de production d’Amiens. Le passage des 5 x 8 aux 4 x 8 est un véritable bouleversement dans la vie de milliers d’ouvriers. Qu’est ce que cela veut dire concrètement ? De 3 équipes en semaine et 2 en week-end qui respectivement faisaient 35 h et 28 h, la direction envisage de passer en 2 équipes en semaine et d’augmenter le temps de travail le week-end, soit 35 h pour les 2 équipes restantes. Cette réorganisation s’accompagne d’un volet salarial avec une augmentation de 160 à 190 euros par mois et une prime au changement de 3500 euros. Le plan prévoit également un investissement de 52 millions d’euros afin de « moderniser l’outil de production » et une suppression de 450 emplois sur 3 ans, sous forme de départs volontaires. Pour Goodyear, l’enjeu est de diminuer la masse salariale et de faire fonctionner les usines 350 jours par an contre 328 actuellement. En clair, cela veut dire que les ouvriers travailleraient 7 jours sur 7 en 4 équipes avec une rotation : 2 jours de suite en équipe du matin, 2 en équipe d’après-midi, 2 en équipe de nuit puis 2 de repos. Ce rythme infernal fait, en plus, sauter 30 week-ends ! On peut imaginer les conséquences sur la vie de famille et sur la santé de milliers de travailleurs. Ce n’est plus « travailler plus pour gagner plus » mais travailler plus pour… mourir plus vite ! Et on peut mesurer le cynisme du patronat qui dans son plan prévoyait de toutes façons de licencier, bien sûr pas dès septembre… mais dans les prochains mois. En fait, il s’agissait de culpabiliser les ouvriers pour qu’ils acceptent de se faire plus exploiter dans l’immédiat en attendant… de se faire licencier plus tard. Une telle attaque ne s’adresse pas seulement aux ouvriers de Goodyear et de Dunlop, mais à toute la classe ouvrière qui va faire les frais d’une crise économique qui va connaître une forte aggravation.

« Syndicats et patronat, unis pour faire passer l’attaque »

Dans la course au cynisme, le patronat a trouvé un rival de taille : les syndicats et en particulier la CGT. Pour éviter une réaction ouvrière contre la violence de ces mesures, les syndicats et le patronat ont joué sur plusieurs tableaux. Dès l’annonce du plan en octobre 2007, au lieu d’appeler à la grève, les syndicats main dans la main avec la direction proposent une consultation démocratique pour que les ouvriers se prononcent en « toute conscience ». Une belle démonstration de l’utilisation de la démocratie bourgeoise contre la lutte ouvrière : l’atomisation des ouvriers par le vote à bulletin secret dans l’isoloir pour éviter les débats en assemblées générales où les prolétaires peuvent décider collectivement et de manière solidaire les actions à mener. Refuser une attaque en utilisant l’arme de la lutte n’a pas la même valeur que de le faire par le biais d’un vote à bulletin secret car cela laisse au patronat et aux syndicats la possibilité de manoeuvrer dans le dos des ouvriers.

Le deuxième acte de ce drame social va se jouer entre la CGT et la direction avec comme objectif de diviser et de dégoûter les ouvriers d’entrer en lutte. Tout d’abord, ce sont des syndicats minoritaires qui vont signer sous la « pression » du chantage patronal, mais ce qui va enfoncer le clou, c’est l’attitude de la CGT de Dunlop qui, en mars 2008, passera au-dessus du vote démocratique pour aller signer le plan. Alors que l’unité entre les 2 sites, séparés juste par une rue, était nécessaire pour repousser les mesures du patronat, la CGT organise la division dans les rangs ouvriers : elle se scinde en deux, les traîtres de Dunlop et les durs et radicaux de Goodyear.

Comment, dans une telle ambiance, où la vulgarité et les insultes rivalisent avec la violence des actions « coups de poing » contre les traîtres de l’autre usine, une lutte unie et solidaire peut-elle exister ? Ceci dit, cette pseudo-guerre fratricide nous montre le comportement maffieux des syndicats, et en particulier de la CGT, plus préoccupés du sort de l’entreprise et qui n’hésitent pas à se mener une petite guerre dont les principales victimes sont les ouvriers. Un simulacre de conflit entre véritables défenseurs du système capitaliste, tentant d’entraîner les travailleurs dans leur sillage. Car ne nous y trompons pas, les soit disants durs et radicaux de Goodyear, soutenus d’ailleurs par l’ensemble des forces de gauche et gauchistes, n’ont pas pour but de défendre les intérêts des travailleurs, mais de sauver « l’outil industriel français » contre l’agressivité patronale qui veut le démanteler au profit de l’étranger, en l’occurrence ici la Chine. Plus nationaliste que la CGT, tu meurs ! Et les voilà en pleine préparation d’une journée d’action nationale le 16 septembre à Amiens pour la défense des intérêts du capital national aux côtés des staliniens du PC, du PS et autres trotskistes, LO et LCR. Leur combat n’est pas contre l’exploitation capitaliste mais pour « la défense de l’industrie en France et celle du droit du travail » comme le déclare le PCF, et Besancenot de renchérir « ce conflit porte en lui toutes les problématiques nationales : remise en cause du temps de travail, préservation des emplois, amélioration des salaires… ».

Les prochains mois risquent d’être difficiles. En France comme partout dans le monde, la bourgeoisie n’a plus le choix, sous la pression de la crise, elle sera amenée à attaquer très violemment les conditions de vie et de travail de l’ensemble de la classe ouvrière. Les travailleurs eux aussi n’ont plus le choix, la lutte s’impose contre l’ignoble exploitation capitaliste et contre ceux qui, sous couvert de les défendre, veulent, en fait, les entraîner à se soumettre aux lois de ce système moribond. Une lutte solidaire, organisée en assemblées générales où les travailleurs décideront collectivement des actions à mener : voilà ce qui hante tous ces défenseurs zélés du capitalisme !

Antoine – Courant Communiste International