lu sur l ‘ endehors :

Tout le monde a pu observer que ce changement a concerné le « personnel » : les vieilles barbes soixante-huitardes ont fait place à de jeunes gens fashionables. Il a concerné aussi les « idées ». La « dictature du prolétariat » en a fait les frais.

Il faut dire que cette idée de base du marxisme a fait ses preuves ! De 1917 à nos jours, en Europe, comme en Asie, voire en Afrique et même en Amérique (n’oublions pas Cuba), elle a courbé sous son joug des centaines de millions d’individus. Elle a massacré à son aise, créé des désastres écologiques irréparables, augmenté les inégalités, réprimé la pensée et, finalement, suivant les pays, soit débouché sur des dictatures capitalisto-mafieuses soit ne fait que se survivre, à grands coups de répression. Remarquons quel’Occident « démocratique » n’a pas fait mieux : d’abord il a produit des dictatures tout aussi sanglantes (Allemagne, Italie, Portugal, Espagne, Amérique du Sud, sans oublier l’Etat français du maréchal Pétain…), ensuite, il ne s’est pas gêné pour cautionner ou organiser lui-même des massacres (Vietnam,…) des génocides (Rwanda…), piller et affamer des populations, détruire sans scrupule les équilibres écologiques.

La différence entre ces deux systèmes mortifères, c’est certainement que des millions d’hommes et de femmes ont pu sincèrement croire qu’après d’inévitables sacrifices, la « dictature du prolétariat », allait leur ouvrir la route du bonheur. La déception a été à hauteur des espérances soulevées : totale. Tant et si bien que presque tout le monde a compris que si la « dictature du prolétariat » est indubitablement une dictature, c’est tout aussi indubitablement à l’encontre du prolétariat qu’elle s’exerce (1). Or, la « dictature du prolétariat » était un des piliers théoriques de la LCR.

Au moment où cette organisation estime, sous le nom de NPA, qu’elle est en mesure de passer un cap, le discrédit total qui frappe ce pilier théorique était un obstacle majeur. C’est pourquoi, fort discrètement, la « dictature du prolétariat » a été évacuée. Mais tout n’est pas si simple. Le marxisme -que sa variante soit trotskyste, stalinienne ou maoïsteest en effet un système clos, tautologique : tout s’y tient. Chaque partie s’explique par l’ensemble, et l’ensemble a besoin du moindre détail pour expliquer une de ses parties.

Retirer une seule pièce d’une telle orthodoxie, c’est faire voler en éclat tout le système. Abandonner la « dictature du prolétariat », c’est rendre tout le système foireux. Les trotskystes de la LCR le savent mieux que nous. Leur drame politique tient dans cette contradiction : s’ils conservent la dictature du prolétariat, ils perdent les élections ; s’ils l’abandonnent, ils perdent leur communisme.

Pour ceux qui au NPA, tirent les ficelles, ce dernier abandon n’a pas plus d’importance que l’abandon du socialisme par le parti qui en porte le nom. Ça fait longtemps qu’ils ne croient plus dans ce qu’ils racontent. Restent les « petits jeunes », les militants de base qui, eux, y croient encore à cette révolution, et qui sont indispensables pour coller les affiches, distribuer les tracts et pousser l’électeur potentiel vers le « bon » bulletin de vote. D’où, entre maintien et abandon de la « dictature », la troisième voie, bien jésuitique, prise par la direction du mouvement : si, au grand public, on explique que la dictature est abandonnée, aux militants de base on raconte que cet abandon n’est que tactique, qu’on laisse tomber l’expression « dictature du prolétariat », mais que c’est pour du beurre : on conserve le concept, car il fait partie du « noyau dur » de la théorie.

Evidemment, cette manipulation ne trompe que ceux qui veulent bien être trompés. Mais, tout comme, à l’époque, la direction du PCF estimait que sa base la suivrait dans ses contorsions idéologiques, la direction trotskyste estime qu’il seront assez nombreux à se satisfaire de ce gros mensonge. Et, pour elle, c’est là l’essentiel.

M.M.

_1.- Ce que les anarchistes avaient parfaitement analysé, pronostiqué et dénoncé dès la fin du XIXème siècle.

Dans le journal « Rouge » du 20 novembre 2003, un militant de la LCR explique pourquoi son parti a abandonné la notion de « dictature du prolétariat » : « La dictature du prolétariat est aujourd’hui chargée d’une telle signification historique, …, qu’il est impossible de présenter nos conceptions du pouvoir des travailleurs ou de la démocratie socialiste comme le régime de la dictature du prolétariat ».

Dans la suite, le journal anticapitaliste “Rouge” rappelle la définition de ce concept : “Dans l’histoire de la pensée marxiste, la notion de « dictature du prolétariat » a été employée dans une double acception. La première renvoie au constat que, dans une société où subsistent des classes sociales, tout Etat peut être caractérisé comme une dictature de classe, c’est-à-dire comme la domination d’une classe sociale sur une autre. Elle évoque inéluctablement concentration du pouvoir dans les mains de l’une des deux classes fondamentales de la société et pointe l’alternative : dictature de la bourgeoisie ou dictature du prolétariat.

La deuxième acception de la dictature du prolétariat, plus circonstancielle, qualifie un régime politique lié à une situation d’exception. Lors de la crise révolutionnaire qui vise au renversement des classes dominantes et à l’établissement d’un nouveau pouvoir, se met en place une dictature révolutionnaire, un régime qui concentre tous les pouvoirs et qui, face à l’ennemi, utilise des mesures d’exception (y compris des mesures restreignant les libertés démocratiques), le temps de stabiliser les nouvelles institutions révolutionnaires ».

Ensuite, l’auteur remonte à Marx et Engels avant de conclure : “Ces grandes lignes restent, aujourd’hui encore, le noyau dur d’un programme de démocratie révolutionnaire ». Un “noyau dur” officiellement abandonné.