Dévoilements : les dessous d’une obsession française

Catégorie :

Thèmes :


Lieux :

Mars 2004 : loi sur les signes ostensibles, interdisant le port du foulard à l’école publique. Septembre 2010 : loi anti-burqa. Avril 2011 : offensive de Luc Chatel contre les mères voilées accompagnatrices de sorties scolaires. Janvier 2012 : loi « anti-nounous » (interdisant le voile dans les crèches et les garderies), adoptée en première lecture par un sénat socialiste. Juillet 2016 : campagne nationale contre les femmes en « burkini » – et plus largement les femmes musulmanes « trop » couvertes sur les plages françaises. Mai 2018 : violente campagne de presse contre Maryam Pougetoux, vice-présidente de l’UNEF, en raison du foulard qu’elle porte. Février 2019 : campagne contre un « hijab de running », poussant les magasins Decathlon à retirer l’article de la vente. Juillet 2019 : nouvelle chasse aux femmes en « burkini », dans les piscines cette fois-ci. Octobre 2019 : relance de la guerre des sorties scolaires, à l’initiative du Rassemblement national, des Républicains et d’une quasi-centaine de débats sur les chaînes d’info, consacrés au « problème du voile ». Septembre 2020 : nouvelle campagne contre Maryam Pougetoux, à laquelle se joint non seulement Ségolène Royal, dans une violente diatribe, mais aussi Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, qui se désolidarise de sa camarade syndicaliste en laissant entendre qu’elle a porté atteinte à la laïcité en se rendant à une audition parlementaire avec son foulard. Septembre 2023 : chasse aux abayas, là encore avec le silence voire les paroles complices d’une grosse partie des porte-paroles de la gauche, CGT incluse. Mars 2025 : le fasciste Odoul, les ultra-droitiers Retailleau et Darmanin, et finalement le premier ministre François Bayrou mettent à l’agenda l’interdiction du voile dans tous les clubs de sport, tandis que Jordan Bardella vend la petite mèche : l’interdiction totale du voile dans la rue est « un objectif à terme ». Il faut se rendre à l’évidence : les cheveux et le corps des femmes musulmanes sont devenus, depuis plus de vingt ans, ce qu’il est convenu d’appeler un enjeu politique majeur, et leur dévoilement fait désormais partie des priorités les plus impérieuses. C’est de ces « chasses aux voilées », et de leur abjecte violence, qu’il est question dans le livre de Pierre Tevanian, Dévoilements – dont voici l’introduction, initialement parue en 2012.
« Ces hommes, disait-il, parlant des Algériens, sont coupables de couvrir tant de beautés étranges. Quand un peuple recèle de telles réussites, de telles perfections de la nature, il se doit de les montrer, de les exposer. À l’extrême, ajoutait-il, on devrait pouvoir les obliger à le faire. » (Frantz Fanon) [1]
Le 13 mai 1958 à Alger, place du Gouvernement, des femmes musulmanes sont exhibées sur un podium pour y brûler leur voile en signe d’émancipation. Organisée par le Mouvement de solidarité féminine, une association caritative fondée par Mme Raoul Salan, l’épouse du commandant des forces armées françaises d’Algérie, cette mise en scène s’inscrit dans une cérémonie plus large de célébration de la tutelle française, alors vacillante. Dans un article publié par Résistance algérienne, Frantz Fanon décrit l’opération et raconte qu’en réaction, de nombreuses Algériennes, dévoilées depuis longtemps, reprennent alors le voile,
« affirmant ainsi qu’il n’est pas vrai que la femme se libère sur l’invitation de la France et du général de Gaulle » [2].
Dans de longues pages qu’on ne peut résumer ici mais qu’il faut relire et qui présentent d’étonnantes analogies avec le traitement contemporain du « beur » et de la « beurette », Fanon rappelle le remarquable investissement affectif, sexuel et stratégique dont font l’objet, depuis la conquête et l’installation du système colonial, la femme indigène, son corps et son voile :
« L’administration coloniale peut alors définir une doctrine politique précise : “Si nous voulons frapper la société algérienne dans sa contexture, dans ses facultés de résistance, il nous faut d’abord conquérir les femmes ; il faut que nous allions les chercher derrière le voile où elles se dissimulent et dans les maisons où l’homme les cache.” C’est la situation de la femme qui sera alors prise comme thème d’action. L’administration dominante veut défendre solennellement la femme humiliée, mise à l’écart, cloîtrée… On décrit les possibilités immenses de la femme, malheureusement transformée par l’homme algérien en objet inerte, démonétisé, voire déshumanisé. Le comportement de l’Algérien est dénoncé très fermement et assimilé à des survivances moyenâgeuses et barbares. Avec une science infinie, la mise en place d’un réquisitoire-type contre l’Algérien sadique et vampire dans son attitude avec les femmes, est entreprise et menée à bien. L’occupant amasse autour de la vie familiale de l’Algérien tout un ensemble de jugements, d’appréciations, de considérants, multiplie les anecdotes et les exemples édifiants, tentant ainsi d’enfermer l’Algérien dans un cercle de culpabilité (…). Après l’indignation, les conseils pratiques. Les femmes algériennes sont invitées à jouer “un rôle fondamental, capital” dans la transformation de leur sort. On les presse de dire non à une sujétion séculaire. On leur décrit le rôle immense qu’elles ont à jouer. L’administration coloniale investit des sommes importantes dans ce combat. Après avoir posé que la femme constitue le pivot de la société algérienne, tous les efforts sont faits pour en avoir le contrôle. » [3]
L’histoire semble bégayer : depuis maintenant près de deux décennies, pour des raisons obscures mais peut-être pas si éloignées de celles de Madame Salan, les cheveux des femmes musulmanes sont devenus ce qu’il est convenu d’appeler un enjeu politique majeur. Cette histoire débute en octobre 1989 : l’exclusion de deux collégiennes voilées à Creil déclenche une importante campagne médiatique, sous la bannière d’un manifeste intitulé « Profs, ne capitulons pas ! » et qualifiant l’acceptation des élèves voilées de « Munich de l’école républicaine » [4]. Le Conseil d’État est saisi par le ministre de l’Éducation Lionel Jospin et rend un avis autorisant le port du foulard tant qu’il n’est pas accompagné de « prosélytisme » ou de « troubles à l’ordre public ».
Les hostilités sont déclenchées une seconde fois en septembre 1994 par le ministre François Bayrou, qui publie une circulaire incitant les proviseurs à considérer que le port d’un « foulard islamique » est en lui-même un acte de prosélytisme. L’offensive provoque un nouvel emballement médiatique et aboutit à une importante vague d’exclusions, finalement invalidées par les tribunaux administratifs.
C’est en mars 2003 qu’est lancé l’assaut final, dans des conditions politiques et médiatiques que j’ai déjà racontées en détail dans un précédent livre [5]. Pétitions, tribunes de presse et débats télévisés se multiplient sans relâche jusqu’au printemps 2004, tandis que deux commissions de réflexion sont mises en place par le président Jacques Chirac : la commission Debré et la commission Stasi. Dès septembre 2003, avant même qu’ait été votée une quelconque loi d’interdiction, une immense campagne médiatique aboutit à l’exclusion d’Alma et Lila Lévy du lycée Henri-Wallon d’Aubervilliers au seul motif qu’elles portent un « foulard islamique ». Cette exclusion illégale sera légalisée a posteriori le 15 mars 2004 : suivant les recommandations de la commission Stasi, le Parlement français adopte à une très large majorité une loi interdisant « les signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ».
Cette loi prévoit « une évaluation au bout d’un an » : Hanifa Chérifi rend en septembre 2005, en guise d’évaluation, un indigent fascicule de 50 pages qui se borne à constater la disparition des voiles dans les écoles et en conclut que le bilan de la loi est positif. Il fait toutefois état, sans s’en émouvoir outre mesure, de 48 exclusions par conseil de discipline et d’une soixantaine de démissions. Aucune évaluation n’est proposée en revanche en ce qui concerne l’« exclusion invisible » des élèves qui ont renoncé à faire leur rentrée scolaire : ce nombre est pourtant estimé à plusieurs centaines par le Collectif une école pour tou-te-s [6].
Quant au devenir de la centaine d’exclues reconnues par le rapport, la question n’est tout simplement pas posée, pas davantage que celle des souffrances des « dévoilées » [7]. Le bilan officiel rendu par Hanifa Chérifi exprime une tout autre inquiétude : la plupart des dévoilées remettent leur foulard en quittant l’enceinte scolaire. Le constat vaut donc comme un augure : la guerre n’est pas finie ! Et de fait, les applications sauvages de la loi en dehors de son cadre initial se multiplient dans toutes les sphères de la société : sorties scolaires, emploi, logement, guichets…
Sans monopoliser l’agenda étatique et médiatique comme en 2003 et 2004, le voile demeure ensuite omniprésent, notamment durant la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, et une nouvelle « année du voile » est inaugurée le 22 juin 2009 par un discours présidentiel annonçant que « la burqa n’est pas la bienvenue sur le territoire de la République française », suivi par la mise en place d’une « commission de réflexion » codirigée par le communiste André Gérin et le sarkozyste Éric Raoult, et aiguillonnée par la surenchère médiatique d’un certain Jean-François Copé. Et en dépit d’une inconstitutionnalité maintes fois rappelée [8], une loi interdisant aux femmes en niqab toute présence dans « l’espace public » est finalement votée le 14 septembre 2010.
C’est de ce dévoilement forcé et de son incroyable violence qu’il est question dans mon livre, mais aussi d’un autre dévoilement. Car ce que ne soupçonnent pas nos chasseurs de voiles, c’est qu’au moment même où ils s’évertuent avec plus ou moins de bonheur à dévoiler les musulmanes, ils accomplissent de manière beaucoup plus intégrale et obscène leur propre dévoilement.
Cet autodévoilement fait l’objet des quatre premiers chapitres du livre. Les deux premiers portent respectivement sur le féminisme et la laïcité, qui sont depuis vingt ans les deux principaux registres argumentatifs de la croisade, mais aussi ses deux voiles.
Le chapitre suivant revient plus spécifiquement sur l’interdiction du foulard à l’école, et sur le remarquable consentement dont elle a bénéficié au sein de cet autre « pilier de la république » qu’est l’école publique – et plus précisément chez ceux qui en sont les « hussards » : les enseignants, dont je suis.
Un quatrième chapitre se concentre sur le monde intellectuel, académique, scientifique, et plus précisément sur ses avatars médiatiques, en analysant, à partir d’un cas aussi édifiant qu’emblématique, la figure émergente de la voilologie savante – ou pseudosavante.
Un dernier chapitre revient enfin sur les principales concernées : les adolescentes portant le foulard à l’école et les femmes portant un hijab ou un niqab – trop souvent oubliées dans les analyses et les bilans, y compris chez certains antiprohibitionnistes, qui ont tendance à s’intéresser davantage au dévoilement idéologique de la République qu’au dévoilement bien réel vécu par des femmes et des adolescentes livrées à la vindicte publique. Et encore faut-il ajouter que le mal ne se limite pas au dévoilement accompli : si le rendement de la chasse n’a pas atteint le niveau escompté, si beaucoup des concernées résistent à l’injonction au dévoilement, le prix qu’elles payent pour cela est incroyablement élevé – exclusions scolaires, discriminations, injures, stigmatisation quotidienne.
Il ne s’agira donc pas de porter un diagnostic sur le hijab ou le niqab, et pas davantage sur les femmes qui les portent : loin de prendre ces femmes pour objet, ce dernier chapitre les envisage comme sujets parlants, en partant d’une enquête à laquelle j’ai participé et qui fait entendre la voix de 44 femmes portant le hijab [9], et en s’efforçant d’en tirer des leçons sur nous-même et pour nous-même. Il ne s’agira enfin pas non plus, ni dans ce chapitre ni dans les autres, d’assimiler le hijab et le niqab : si les deux vêtements sont parfois associés au fil des pages, sous le vocable commun de « voiles », c’est uniquement pour désigner une logique commune dans la manière de les percevoir, de les ressentir, de les juger et d’y réagir – une logique hélas fréquente, et profondément malveillante et malfaisante.
p.-s.
Dévoilements. Du hijab à la burqa : les dessous d’une obsession française, de Pierre Tevanian, est paru aux Editions Libertalia. 160 pages, 8 euros.
Table des matières
Introduction : d’Alger 1958 à Paris 2012
1. Un féminisme paradoxal
2. Une révolution conservatrice dans la laïcité
3. L’école dévoilée
4. Quand la science s’em-mêle
5. L’histoire vue d’en bas
Conclusion : le bilan de la chasse
Annexe : Bréviaire de la haine
(Morceaux choisis de la voilophobie contemporaine)
notes
[1] Frantz FANON, « L’Algérie se dévoile », L’An V de la révolution algérienne, La Découverte, 2001.
[2] Frantz FANON, « L’Algérie se dévoile », L’An V de la révolution algérienne, La Découverte, 2001.
[3] Frantz FANON, « L’Algérie se dévoile », op. cit., 2001. Sur la transmission de cette politique sexuelle du voile, et sa reformulation dans les discours et politiques publiques sur « la beurette » et « le garçon arabe », voir Nacira GUENIF-SOUILAMAS, Les Féministes et le garçon arabe, L’Aube, 2004.
[4] Publié en une du Nouvel Observateur, l’appel est signé notamment par Régis Debray, Alain Finkielkraut et Élisabeth Badinter. Sur cet épisode comme sur les suivants, voir Thomas DELTOMBE, L’Islam imaginaire. La construction médiatique de l’islamophobie, 1975-2005, La Découverte, 2005.
[5] Voir Pierre TEVANIAN, Le Voile médiatique, Raisons d’agir, 2005.
[6] Collectif Une école pour tou-te-s, « Éléments d’un futur livre noir ».
[7] Voir Ismahane CHOUDER, Malika LATRECHE, Pierre TEVANIAN, Les Filles voilées parlent, La Fabrique, 2008.
[8] Par plusieurs juristes, devant la commission Gérin-Raoult ou en dehors, et par un avis du Conseil d’État rendu le 26 mars 2010.
[9] Ismahane CHOUDER, Malika LATRECHE, Pierre TEVANIAN, Les Filles voilées parlent.
Ce commentaire ne respectait pas la charte.
Ce commentaire ne respectait pas la charte.
Ce commentaire ne respectait pas la charte.
Ce commentaire ne respectait pas la charte.
On peut être critique des lois républicaines, de la laïcité etc sans s’allier et diffuser d’islamisme (qui n’est pas l’islam) !
Ismahane CHOUDER, qui n’est pas toutes les musulmanes, a co-écrit des ouvrages avec l’auteur et aux éditions “la fabrique”- elle est citée deux fois ici dans les références – elle est une islamiste alliée des catholiques intégristes comme des fascistes turques des loups gris et plus généralement de toustes les islamo-fascistes car elle est une islamiste !
«Ismahane Chouder est membre de PSM (Participation et Spiritualité Musulmane), qui relaie sur son site web ou lors de conférence la parole du Cheikh Abdessalam Yassine, fondateur du parti islamiste marocain Al Adl Wal Ihsane. PSM a également appelé à manifester avec la Manif pour Tous contre le mariage pour les couples de même sexe, et a participé aux universités d’été d’Alliance Vita, l’association anti-IVG fondée par Christine Boutin.»
https://bxl.indymedia.org/Lallab-laboratoire-du-feminisme-islamiste?lang=fr
— attention site d’islamo-fascistes / islamistes très homophobes et anti-avortement : https://www.psm-enligne.org/2475-musulmans-et-chretiens-pour-la-defense-de-la-vie
+++ les critiques de Pierre Tevanian, son site, ses alliances, son confusionnisme, ses ouvrages et ses positionnements sont nombreux ++++ mais doit on investir plus de temps pour être silencié, invisibilisé et non respecté par la modération ?
C’était ya 10 ans environ ça, non ? Actuellement elle se se situe où politiquement, Chouder ? Elle est toujours dans le “trip” Manif Pour Tous et Anti-IVG ? Source qu’elle serait alliée des Loups Gris ?
La question se pose, d’autant que le livre commun dénoncé date de 2008, tandis que le rapprochement avec les alliance vita et cie est postérieur à sa sortie.
Ce qui est étonnant c’est qu’on voit moins de condamnations quand il s’agit de radio d’organisation anarchiste qui ont donné leur antenne à des fachos comme riposte laïque. Il faudrait être un peu cohérent dans ses postures antifa.
des étudiant.e.s qui ont été assassiné.e.s par le parti islamiste de cette dame, ça date des années 90 jusqu’à maintenant…
Hassan Aglagal, un militant marocain du NPA, plus lucide que nombre de ses camarades, écrit dans une tribune intitulée Assez de PSM dans nos luttes : « Participation et spiritualité musulmanes (PSM) est l’association qui représente en France le mouvement Al Adl Wal Ihsane (Justice et bienfaisance), mouvement de l’islam politique fondé en 1973 au Maroc par le mystique soufiste Abdelassame Yassine. » Ce groupe est notamment responsable, au Maroc, « de l’assassinat de deux étudiants d’extrême gauche », en 1991 et 1993.
https://www.lutte-ouvriere.org/mensuel/article/2017-01-22-le-piege-de-la-lutte-contre-lislamophobie_75202.html
+
l’article « »Assez de Participation et Spiritualité musulmans dans nos luttes !« ». 3 mars 2015, par Mr Hassan Aglagal
Hassan Aglagal, militant marocain membre du NPA, est scandalisé de voir Participation et Spiritualité musulmane, un mouvement religieux réactionnaire d’origine marocaine, participer régulièrement à des initiatives antiracistes aux côtés de formations de gauche. Suite à notre prise de position contre le fait de tenir meeting commun avec l’UOIF [1], il nous a sollicités pour rendre publique son indignation face à cet état de fait. Nous publions son texte ci-dessous.
Clarifications
Plusieurs militants ont pris récemment position contre le fait de tenir un meeting commun contre l’islamophobie avec des organisations réactionnaires se revendiquant de l’islam. Le nom de l’UOIF a été beaucoup cité [2]. Cela va tout à fait dans le sens de ce que je dénonce depuis plusieurs années auprès de mes camarades s’agissant de la présence régulière parmi les signataires de ce type d’appels de l’association réactionnaire Participation et Spiritualité musulmanes (PSM), encore annoncée au meeting du 6 mars. Je vous propose donc de découvrir ce qu’est vraiment cette organisation, et pourquoi il n’est pas possible de s’allier avec elle dans le cadre d’une lutte antiraciste qu’il est pourtant en effet primordial de mener.
Manif pour Tous et Alliance Vita
Participation et Spiritualité musulmanes (PSM) est l’association qui représente en France le mouvement Al Adl Wal Ihsane (Justice et Bienfaisance), mouvement de l’islam politique fondé en 1973 au Maroc par le mystique soufiste Abdelassame Yassine (1928-2012) qu’elle considère comme « un père intellectuel et spirituel » [3]. PSM est essentiellement à l’œuvre en France pour mettre en lumière, auprès d’un plus large public, l’homme qu’il fut et ses « enseignements ».
Cependant, tout comme l’UOIF, PSM n’est pas une organisation à vocation purement religieuse et n’hésite pas à s’impliquer activement dans les débats de société, défendant des positions tout à fait réactionnaires. Elle a ainsi appelé à manifester le 24 mars et le 26 mai 2013 aux côtés de la droite et l’extrême droite lors de « La Manif Pour Tous » [4] et affiche sans vergogne sa sympathie pour l’Alliance Vita, l’un des principaux lobbys français anti-IVG. PSM a d’ailleurs participé à son université d’été 2013 [5].
[Photo non reproduite ici : Le Collectif des Citoyens Musulmans pour l’Enfance à la Manif pour Tous, image tirée du site de PSM dans un article évoquant sa participation à ce collectif lyonnais.] [6]
Un mouvement influent au Maroc
Al Adl Wal Ihsane assure son implantation (recrutement, collectes d’argent…) en Europe à travers de nombreuses associations comme PSM. Il est également présent au Canada et au États-Unis. Parmi ses sections, on compte par exemple l’Observatoire canadien des droits de l’homme ou L’Organisation nationale pour le dialogue et la participation en Espagne. Ce mouvement n’est pas uniquement la plus grande force politique organisée au Maroc, mais aussi une organisation très implantée dans les pays où il y a une forte présence d’immigrés marocains.
Au Maroc, Al Adl Wal Ihsane s’est fait connaître en s’investissant dans les mobilisations contre les guerres en Irak et pour la Palestine. Pendant le mouvement du 20-Février, Al Adl Wal Ihssane était la plus grosse organisation avant son retrait pour ne pas nuire à l’autre parti islamiste, le Parti de la Justice et du Développement (PJD), entré au gouvernement en novembre 2011. S’il est impossible d’avoir des chiffres exacts concernant les effectifs et le budget de ce mouvement, il semblerait bien qu’il soit soutenu financièrement par une partie de la bourgeoisie commerçante [7]. Il collecte aussi des sommes auprès de ses adhérents et de ses sympathisants à l’étranger.
Du sang sur les mains
Même si le mouvement dit bannir la violence, deux meurtres politiques ont été attribués à Al Adl au Maroc. Les milices des disciples de Yassine ont ainsi été impliquées directement dans l’assassinat de deux étudiants d’extrême gauche et militants de l’UNEM (Union Nationale des Étudiants du Maroc) : en novembre 1991 à Oujda et Mohamed Aït Ljid Benaïssa en mars 1993 à Fès.
[Photo non reproduite ici : En haut : Maâti Boumli. En bas : Mohamed Aït Ljid Benaïssa]
En octobre 1991, Maâti Boumli a été enlevé puis assassiné à l’université d’Oujda. Douze étudiants adlistes ont été arrêtés puis condamnés à 20 ans de prison pour homicide. Malgré cela, le groupe n’a jamais reconnu sa responsabilité, arguant que ses militants ont été « injustement emprisonnés pendant d’aussi longues années ». Le deuxième crime attribué à un militant d’Aldl Wa Ilhsane remonte au 25 février 1993. Benaïssa Aït El Jid a été assassiné près de l’université de Fès [Voir encart ci-dessous]. La confrérie a été une nouvelle fois montrée du doigt mais il a fallu attendre 13 ans pour qu’en octobre 2006, Omar Mouhib, un de ses militants, soit enfin arrêté pour sa participation au meurtre d’Aït El Jid. Le procès s’est soldé par une condamnation en appel de Mouhib à dix ans de prison [8].
Ce sont les mêmes criminels d’autres groupes islamistes, qui partagent la même formation politico-religieuse que Adl wal Insane, qui ont assassiné Omar Benjelloun au Maroc, Mehdi Amil et Hussein Marwa au Liban, Faraj Fouda en Égypte, Tahar Djaout et Abdelkader Alloula en Algérie, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en Tunisie.
Une alliance impossible
Ce mouvement réactionnaire et obscurantiste, comme tous les mouvements de l’islam politique, ne cesse de répéter le slogan creux « l’islam est la solution » comme réponse aux questions concrètes dans le domaine social et politique, et d’exiger un retour pur et simple au passé pour appliquer la « Charia » et les lois du « véritable islam », celui de l’époque du prophète ! Ce courant politique, ayant profité antérieurement de la faiblesse de la gauche et de la montée des mouvements de même filiation idéologico-politique depuis que les Ayatollah se sont emparés du pouvoir en Iran, est devenu la plus grande force organisée au Maroc. De toute évidence, tous les mouvements islamistes réactionnaires comme celui de « Justice et bienfaisance » rejettent la laïcité et la séparation entre religion et politique et s’opposent à l’égalité des droits et à la liberté d’expression. Les membres de PSM n’ont aucun intérêt à dévoiler leur projet politique, et ont la capacité de cacher leurs vraies idées en pratiquant une certaine dissimulation reposant sur la « taqiya ».
C’est hallucinant de voir des organisations comme le NPA, le PCF, Ensemble, Les antifas du Capab fréquenter des associations réactionnaires comme PSM et l’UOIF ! Ces deux associations ne peuvent en aucun cas être des partenaires d’organisations de gauche.
S’il est juste de mener la bataille contre le racisme et contre TOUTES les oppressions, il ne faut la mener qu’avec des partenaires ayant une certaine crédibilité, et non avec des organisations réactionnaires et obscurantiste comme PSM et l’UOIF !
Hassan Aglagal
Contre les étudiants, les islamistes au service de la répression étatique
D’un point de vue historique7, l’extrême gauche avait une certaine hégémonie (vis-à-vis des partis réformistes) au sein de l’UNEM depuis la fin des années 1960. Lors du 15e congrès du syndicat en 1972, le Front Uni des Étudiants Progressistes qui réunissait les trois organisations révolutionnaires des années 1970 (Ila Al Amame – En avant, 23 mars et Servir le Peuple) est arrivé à sa présidence.
Le congrès a appelé à la lutte pour une éducation populaire, arabe, démocratique, laïque et unifiée. Une semaine seulement après ce congrès le président de l’UNEM Abdelaziz Mnebhi et son vice-président ont été arrêtés le 2 Août 1972, ce qui provoqua en 1972-1973 une rentrée scolaire chaude pour leur libération. Une campagne de répression a alors été mise en place, des étudiants de l’UNEM ont été emprisonnés, exclus de leur établissement scolaire. Le 24 Janvier 1973, l’UNEM a été officiellement interdite. Malgré la répression, les luttes ont permet la libération du président et vice-président de l’UNEM et la levée de l’interdiction de l’UNEM en novembre 1978.
Depuis l’échec de son 17e et dernier congrès en 1982, l’UNEM a connu un vide organisationnel. Ce qui n’a pas empêché les militant-e-s de mener des luttes victorieuses dans presque toutes les facs à l’exception de l’École Mohammedia d’Ingénieurs (bastion de l’UNEM et de l’extrême gauche), parce que le régime a imposé un système paramilitaire dans l’École8. Mais les vagues d’arrestations se sont poursuivies.
A partir de la fin des années 1980, la priorité est devenue celle de la lutte pour la levée de l’interdiction de fait de l’UNEM. Les militants restants ont alors tenté une réorganisation par la base. C’est aussi et surtout à cette période que le régime dépressif a trouvé dans les islamistes un moyen d’écraser l’extrême gauche dans les universités, notamment au travers de deux factions des islamistes, Al Adl Wa lhssane et le PJD, utilisées pour contrecarrer la présence et la puissance de l’extrême gauche dans les universités, dans un climat de montée de l’islamisme au Maroc. Cette reprise en main ne s’est pas faite sans violence, la période ayant été marquée par des affrontements sanglants entre étudiants des deux bords. C’est à cette époque que les deux militants d’extrême gauche membres de l’UNEM Mohamed Aït Ljid Benaïssa et Maâti Boumli ont été assassinés par les islamistes.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article34592
Ce commentaire ne respectait pas la charte.