Interstices-fajawat est un collectif internationaliste anti-autoritaire qui produit des analyses politiques sur le Proche-Orient. Disons-le, il s’agit d’un type d’analyses qu’on a rarement l’occasion de lire en France. Radicales et sans-concession, très documentées tout en restant abordables ; elles abordent les tensions politiques du Levant de l’intérieur, et rejette les postures occidentales simplistes. En Décembre 2024, alors que la régime de Bachar est démis, ce collectif a publié une adresse aux “Camarades gauchistes occidentaux”. Ils y critiquent le soutien à l’Iran et au Hezbollah offert par l’extrême-gauche occidentale. Ils nous disent : éduquez-vous, vous ne savez pas de quoi vous parlez ! Ils nous disent : ne nous libérez pas, vous avez fait assez de dégats comme ça !

Camarades gauchistes occidentaux, vous avez perdu vos camarades du Levant

« Nous le savions, la question syrienne était le meilleur test.

Mais déjà sur les questions palestiniennes et ukrainiennes, nous avions eu l’occasion de déceler l’orientalisme qui imprègnent les sphères de gauche occidentales.

Le génocide de nos frères et sœurs Palestinien-nes nous avait donné une illusion d’unité, et nous avait laissé croire un instant que l’Occident de gauche avait enfin cerné les enjeux de la question coloniale. Excepté pour la gauche radicale allemande, engluée dans sa culpabilité chrétienne et incapable de concevoir la présence juive ashkénaze en Palestine comme l’incarnation du projet colonial et suprémaciste blanc. Oui, camarades gauchistes Allemands, le sionisme s’est inspiré dès ses premières heures des théories suprémacistes allemandes, et notamment de la théorie du Lebensraum. Herzl disait dans ses mémoires vouloir civiliser les Juifs orientaux, qu’il voyait comme des Arabes. Et les kibboutzim n’échappent pas à cet héritage, se croient-ils « socialistes ».

Mais passons. Nous pensions être unis, mais déjà les discussions à bâtons rompus sur la « résistance palestinienne » qu’incarnait le Hamas nous ramenaient à celles sur la « résistance libanaise » qu’incarnait le Hezbollah. Les forces progressistes devaient accepter de voir des forces autoritaires et ultra-conservatrices transformées en alliées, parce que le colon l’imposait à l’aide d’un apartheid, assorti d’un génocide. Comme toujours, comme en Ukraine, la guerre impérialiste nous forçait à faire des compromis insupportables avec des forces obscurantistes et corrompues qui n’attendent que d’être au pouvoir pour transformer nos sociétés déjà colonisées en cauchemar fondamentaliste. Nos oppresseurs devenaient, comme à chaque fois, l’axe de résistance au démon capitaliste américain. Grâce à l’aide américaine, grâce à son impérialisme et à ses guerres, nous devions renoncer à lutter pour notre émancipation : focus total sur la guerre. Et la guerre n’est jamais de gauche.

Aparté : rappelons-nous les écrits visionnaires de Franz Fanon.

Mais le Hamas n’est pas le Hezbollah. Le Hamas, que nous ne soutenons pas dans son exercice du pouvoir, mais dont nous avons à certains égard soutenu la lutte armée contre le colon, incarne une lutte de libération nationale portée par des Palestiniens, pour des Palestiniens, contre l’ennemi des Palestiniens. Le Hezbollah est le produit d’une guerre civile et interreligieuse (1976-1990), assortie d’une double invasion étrangère israélienne et syrienne et d’une intervention étrangère iranienne, qui voyait dans le Liban, et notamment dans sa communauté chi’ite, un enjeu stratégique de premier plan. Le Hezbollah a été conçu comme le mercenaire de l’Iran et de la Syrie, qui a commencé par éliminer les résistances de gauche progressistes et laïques palestiniennes au Liban, ainsi que leurs alliés libanais :

Souvenez-vous du massacre des réfugiés palestiniens de Tal al-Zaatar, avec la complicité de l’armée syrienne.

Souvenez-vous de la colère de Yasser Arafat contre Hafez al-Assad et des ruptures d’alliances entre l’OLP et la Syrie.

Souvenez-vous de l’assassinat du leader druze Kamal Djumblatt, ami et allié de Yasser Arafat, par les sbires du parti social-nationaliste syrien en 1976.

Souvenez-vous de la privation des libertés politiques des Palestiniens du Liban et de Syrie à partir de 1980 et jusqu’à nos jours, imposées par le Hezbollah et le régime de Assad.

Et si vous ne vous souvenez pas, par pitié, éduquez-vous ! »

La suite de l’article se trouve sur le site d’Interstices-fajawat