« La révolution russe reflète, à une petite échelle, la lutte séculaire entre le principe libertaire et le principe autoritaire. En effet, qu’est-ce que le progrès sinon l’acceptation plus générale des principes de la liberté contre ceux de la coercition. ? » Emma Goldman

Depuis quelques mois, un certain nombre d’actions violentes ont été menées contre des dirigeants et des militants du PS, au cours de manifs contre la guerre en Irak ou contre le G8 ainsi qu’au rassemblement du Larzac de cet été. Dans « Le Monde libertaire » du 11 septembre un membre du groupe Déjacque (Lyon) de la FA, vante les bienfaits de ces actions menées, selon lui, par des militants de la Fédération anarchiste ou de la CNT (dite CNT-Vignoles), et il se plaint même que la presse n’en parle pas assez ou les attribue à la LCR !!!

Jusqu’ici, dans les manifs « de gauche », ceux qui cognaient provenaient d’un courant politique bien particulier : le Parti communiste français et ses sympathisants dans la CGT. Ces méthodes ont toujours été dénoncées par les organisations d’extrême gauche ou libertaires. Et l’on sait d’où viennent ces méthodes. Elles ont été systématiquement importées dans le mouvement ouvrier mondial par l’appareil de la Troisième Internationale (communiste). Et elles avaient été « rôdées » contre les opposants du Parti bolchevik russe, au cours des premières années de la révolution d’Octobre.

Rappelons, à ceux qui ont apparemment la mémoire courte, que les anarchistes et les trotskystes espagnols, entre autres, ont été victimes de ce type de méthodes dans le mouvement ouvrier. A l’époque, les staliniens espagnols n’hésitaient pas à liquider physiquement leurs adversaires révolutionnaires.

En France, après 1968, ici ou là, des militants maoïstes ou trotskystes (ceux de l’actuel PT) ont été mêlés à des incidents mineurs de ce type, entre fractions de l’extrême gauche, mais ces incidents étaient isolés, et considérés comme des « bavures », pas comme le fruit d’une stratégie délibérée.

Mais voilà que « Le Monde libertaire » publie un article d’une demi-page, article dans lequel son auteur justifie ce type de méthodes au nom d’une lutte véritablement efficace contre le « social-libéralisme », lutte que seuls mèneraient les anarchistes.

On passe donc à un cran supérieur. Ce n’est donc plus un incident isolé, mais une stratégie : cogner sur les militants socialistes sous prétexte qu’ils défendent une idéologie réformiste et ont soutenu un gouvernement qui s’attaquait aux travailleurs et défendait les intérêts du patronat.

On ne peut s’empêcher de penser que les anarchistes (minoritaires, espérons-le, au sein du mouvement anarchiste) qui participent à de telles actions et les théorisent s’attaquent au maillon le plus faible, sur le plan militant, de la gauche institutionnelle. On voit mal en effet comment ils pourraient avoir la capacité de s’en prendre au PCF ou à la CGT.

Mais s’ils sont décidés à en découdre pourquoi s’arrêter au PS ? En dehors de la sociale-démocratie, de nombreux courants politiques dits de gauche soutiennent le « social-libéralisme », c’est-à-dire le capitalisme. Pourquoi ne pas casser la gueule aux Verts, aux radicaux de gauche, à la CFDT, à FO ou à la FSU ? Et on pourrait allonger la liste : après tout puisque les organisations trotskystes sont « autoritaires » et continuent à justifier la répression de Cronstadt, et qu’en plus elles appellent régulièrement à voter pour la gauche « sociale-libérale », pourquoi les laisser s’exprimer dans les manif ou les rassemblements ?

La logique des cogneurs est toujours incontrôlable, quelle que soit leur idéologie.

Non seulement ces méthodes sont inadmissibles mais elles trahissent, exactement comme celles des staliniens, l’incapacité à avancer des arguments politiques solides.

Pourquoi ces anarcho-cogneurs qui prétendent combattre « les dictateurs » et la « bourgeoisie de gauche » ont-ils peur d’affronter les socialistes sur le terrain des idées ? Serait-ce parce que leur programme politique est faiblard et peu convainquant qu’ils ont recours à la violence physique ? Serait-ce parce qu’ils sont minoritaires et jusqu’ici incapables de gagner la confiance et l’appui des opprimés et des exploités qu’ils cognent sur les autres ?

Très franchement, il faut souhaiter que ce type d’individus ou de groupes intolérants et violents restent toujours minoritaires car s’ils acquéraient de l’influence ils agiraient exactement comme les bolcheviks ont agi vis-à-vis des anarchistes russes, ou les staliniens espagnols vis-à-vis des groupes révolutionnaires.

Les anarchistes ont toujours prétendu avoir une supériorité éthique sur les marxistes, partisans selon eux des pires magouilles, de méthodes autoritaires et de l’usage de la répression étatique contre leurs adversaires politiques. Les libertaires ont toujours expliqué que la fin ne justifiait pas les moyens. Les anarcho-cogneurs actuels ont-ils tout oublié ou jamais rien appris ?

Comme le dit justement Emma Goldman, qui n’avait rien d’une pacifiste et n’était pas opposée à l’usage de la violence dans certaines circonstances : « L’expérience de la révolution russe a puissamment renforcé ma conviction que la grande mission de la révolution, de la RÉVOLUTION SOCIALE, est un changement fondamental des valeurs sociales et humaines. Les valeurs humaines sont encore plus importantes parce qu’elles fondent toutes les valeurs sociales. »

Yves Coleman

Source : http://www.mondialisme.org/nipatrienifrontieres/

Rubrique : Billets d’humeur