La démocratie dépolitisée
Catégorie : Global
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Je fais référence à une étude statistique et qualitative de Peter Mair dans le New Left Review de novembre/décembre 2006 : ‘Ruling the Void?’ (‘reignant sur le vide ? ou le déssèchement de la démocratie occidentale’).
Elle est trop longue pour être traduite ici, mais je la résume, et parfois, je la cite.
Peter Mair donne deux sens au mot ‘démocratie’ :
la ‘populaire’, dont la fonction est de représenter le peuple qui, a son tour, en s’impliquant dans les partis et autres mouvements politiques influence les prises de position de ses représentants (la politique) – le gouvernement par le peuple ;
et la ‘constitutionnelle’ qui insiste sur les contrepoids et équilibres par les institutions – le gouvernement pour le peuple.
Jusqu’à la fin des années ’80, selon Peter Mair, les deux coïncidaient à peu près. Mais depuis quelques temps déjà, et certainement dans les cercles institutionnels / intellectuels, les deux tendent à se séparer : d’un côté le ‘demos’ – le populaire, de l’autre les institutions, les ONG et les juges.
Les experts (qui peuvent raisonner à long terme, loin des ‘contingences électorales’) acquièrent un rôle plus important que les mandatés. Même ces derniers s’affichent comme faisant toujours plus référence au bien commun en général qu’à ceux par qui ils ont été élus ou choisis : ils se détachent de leurs propres partis.
Simultanément, on assiste à un éloignement de la part des populations vis à vis de la politique et des partis qui sont censés les représenter.
Cette dernière tendance est générale dans les pays occidentaux.
Elle se traduit par une moyenne toujours plus faible de participation aux élections – descendant globalement en dessous de ’80 % [77,6] dans les pays d’Europe de l’ouest pour la première fois à partir des années ’90 (avec pour exceptions : la Belgique, le Danemark, la Suède et le Royaume Uni). et cette tendance à la baisse s’est continuée dans le XXI siècle.
Plus frappant encore, si l’on étudie pour chacun des 15 pays les trois plus grandes années de faible participation depuis 50 ans, on trouve que 75,6 % de ces mesures ont eu lieu dans la période 1990-2003 : 34 sur 45.
Cela est vrai, même pour les nouvelles démocraties : Grèce, Espagne, Portugal.
Une mesure de la volatilité des résultats sur la même période donne des résultats similaires : les votants ont de plus en plus tendance à ne pas suivre les mêmes partis lors de élections, ou à se décider au dernier moment : la fidélité aux partis est au minimum.
Sur 45 votes en 50 ans (3 dates par pays : celles, pour chaque pays, où la volatilité était majeure), 25 ont présenté la plus grande volatilité dans la période 1990-2003.
Une autre mesure de la désaffection des partis se retrouve dans les adhésions aux partis. Sur 16 pays occidentaux, tous connaissent une baisse en pourcentage (sauf Grèce et Espagne) ou en chiffres absolus (sauf Portugal, Espagne, Grèce), allant parfois jusqu’à une diminution de 50 % entre les années ’80 et les années ’90…
Ainsi, l’Allemagne passe au début des années ’80 de 4,52 % de membres de partis / votants à 2,93 % à la fin des années ’90 ; l’Autriche, de 28,48 à 17,66 %, l’Italie, de 9,66 à 4,05 % etc.
La France apparaît en haut de la liste : comme le pays ayant connu la plus grande baisse relative (de 5,05 % à 1,57 % !) et comme celui qui connaît désormais la plus faible proportion d’inscrits aux partis (1,57 % donc).
En bref, la baisse considérable de l’influence des partis est avérée dans TOUTES les démocraties installées sur une longue période.
D’une manière générale, donc, les citoyens sont en train de se désengager de la politique nationale.
Comme les peuples se détachent des partis, ceux-ci en sortent affaiblis. Cela tend à renforcer ce que l’auteur appelle la ‘démocratie des audiences’ (‘audience democracy’) ou la vidéo-démocratie mais que l’on pourrait aussi bien nommer la ‘démocratie du spectacle’.
Malgré les postures autoflagellantes prises par les politiciens, les élites politiques préfèrent désormais, dans les faits, agir en correspondance à ce désengagement des citoyens, en se retirant dans le monde cloisonné des institutions de gouvernement.
Chaque côté va ainsi en divergeant. Les dernières décades ont présenté un retrait graduel des directions de partis de la société civile pour s’impliquer plutôt dans le gouvernement et dans l’état. Simultanément, on assiste ainsi à l’érosion régulière de l’identité des partis et à la croissance de l’opacité des frontières entre ces partis. Globalement donc, chaque parti a eu tendance à prendre ses distances des électeurs, tout en se rapprochant des autres protagonistes de la course au pouvoir avec qui ils étaient censés se trouver en concurrence.
Les liens parti-électeurs se sont distendus, alors que les différences parti-parti ont tendu à se réduire. Ces deux processus se sont combinés pour renforcer l’indifférence et la méfiance populaires vis à vis des partis et des institutions politiques en général.
Si l’on établit le rôle et la situation des partis sur une ligne unissant la société et l’état, alors il semble que ceux-ci se sont éloignés d’un point où ils étaient surtout considérés comme acteurs de la société pour devenir plutôt des acteurs de l’état.
Plus encore : les partis de masse étaient intégrés dans des mouvances générales qui incorporaient des essembles tels que les églises, les syndicats, les associations professionnelles ou culturelles etc. Cela leur permettait d’installer leurs racines dans la société, de stabiliser et de distinguer leurs électorats. Mais dans les trente dernières années, ces réseaux se sont dissous : ces ensembles se sont dissipés, tout comme les liens les unissant. Avec le développement de l’individualisme, les identités collectives traditionnelles se sont distendues et les affiliations organisationnelles se sont affaiblies.
En conséquence, les chefs de parti ont cherché à réduire la force de leurs liens avec ces groupes associés, tout en limitant l’accès privilégié qu’ils accordaient à leurs membres. De plus en plus, les partis en viennent donc à se voir comme des organisations auto-suffisantes et spécialisées, prêts à écouter certains acteurs spécifiques, sans leur reconnaître les mêmes attaches formelles que dans le passé.
D’autre part, les partis doivent suivre le plus souvent de nouvelles lois et des règlements qui peuvent même définir leur fonctionnement interne et, fréquemment, en liaison avec des financements publics.
Enfin, les partis se considèrent maintenant comme des forces de gouvernement, ou sinon, en attente de gouvernement ; l’opposition réelle sort désormais du champ des partis, dans les mouvements sociaux, les manifestations populaires, ‘la rue’. Les leaders du parti sont ceux qui comptent ; hors d’eux, le reste du parti n’est que de la piétaille sans importance. Seule demeure la ‘classe gouvernante’.
Les fonctions des partis sont enfin devenues plus procédurielles, ce sont des agents de l’ordre, ‘destinés’ à gouverner plutôt qu’à représenter le peuple.
Le processus se nourrit lui-même : les citoyens se transforment en spectateurs, les élites poursuiven leurs propres intérêts. « Nos gouvernants deviennent une élite qui se reproduit elle-même, en gouvernant – ou plutôt en administrant des masses de gens passifs ou privatisés. Les représentants n’agissent pas comme des agents du peuple, mais plutôt à leur place. Ce sont des professionnels, retranchés dans des bureaux et des appareils de partis. Immergés dans une culture différente, entourés par d’autres spécialistes et isolés de la réalité ordinaire de la vie de leurs électeurs, ils vivent non seulement physiquement, mais mentallement en ‘faisant partie du microcosme' » (Hanna Pitkin – Scandinavian Political Studies, 2007).
Tout cela peut mener à deux résultats (toujours selon Peter Mair) : une mobilisation populiste qui risque de prendre des voies réactionnaires. Cela peut conduire aussi les élites à demander un système de décision du type ‘non-majoritaire’ – hors du vote, par les tribunaux, les corps d’état régulateurs, les banques centrales et les organisations internationales. [tel qu’il existe déjà dans les institutions européennes : NdT]
Dans la cission qui s’opère entre la démocratie ‘populaire’ et la démocratie institutionnelle, c’est cette dernière qui risque de gagner. Le problème est qu’ainsi, les partis risquent de perdre complètement leur crédibilité et toute la légitimité démocratique démocratique qu’ils pouvaient posséder auparavant…
Fin du résumé.
A quand une stratégie libertaire pour arriver à autre résultat encore ? Globalement, dans le grand débat à gauche, les libertaires ont gagné le débat intellectuel : la représentativité à l’ancienne, ça ne marche pas ou ça ne marche plus : vive l’horizontalité. Mais pourquoi si peu de débats, de réflexion sur la stratégie, au-delà des querelles de clochers ?
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