Autopsie d’un fiasco
Catégorie : Global
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Le courant altermondialiste et antilibéral se porte mal, très mal. Après la crise d’ATTAC plus ou moins maladroitement, et pas tout à fait, dépassée, c’est l’échec de la tentative de la nomination d’un « candidat unitaire » de l’antilibéralisme pour les Présidentielles.
L’unité apparente n’était en fait qu’une unité de façade, fondée sur des mobilisations et des résultats électoraux conjoncturels et hétéroclites. La pratique des organisations politiques était prévisible et rien ni personne ne pouvait éviter la catastrophe.
Le fiasco ne vient pourtant pas de ce qui s’est passé, mais plutôt, nous allons le voir, de « ce qui ne s’est pas passé ».
UN MOUVEMENT HETEROCLITE
De quoi est composé le mouvement altermondialiste et/ou antilibéral ?
D’un ensemble hétéroclite de personnes, d’associations diverses et d’organisations politiques en recherche de reconnaissance, pour une, le PC, de renouvellement de sa virginité politique… et d’électeurs/trices.
Tout ce monde a un dénominateur commun : « ça va mal, il faut que ça change ».
Le problème c’est qu’une fois que cela a été dit, chacun-e croit que tout a été dit… ou presque.
Le problème c’est qu’une fois que l’on a constaté l’accord sur ce constat ; la mobilisation et le changement doivent « couler de source »… ce qui apparemment est évident puisque « tout le monde est d’accord là-dessus ».
Si l’on tient compte, par-dessus le marché (si j’ose dire) de quelques « succès » retentissants (victoire du NON au référendum sur le Traité Constitutionnel Européen, et « victoire » sur le Contrat Première Embauche), compensant une longue frustration due à de multiples défaites… il n’en faut pas moins à tout ce monde pour croire en l’invincibilité du mouvement et à la possibilité et l’imminence du changement ( ?).
Le succès du NON a été un puissant facteur de délire collectif. Déjouant les pronostics et les stratégies politiques des grands partis,
Le seul ciment véritablement utilisable était la « volonté collective de changer »
Mais tout le monde ne mettait pas la même chose dans cette expression et dans la mesure où l’on voulait s’en tenir au plus petit dénominateur commun, on n’a pas approfondi la question.
Le ciment était de mauvaise qualité et n’allait pas tarder à se désagréger et ce d’autant plus que les matériaux étaient hétéroclites, les projets de construction différents, les architectes concurrents et surtout que la maison n’avait aucune fondation prévue.
UN SYMBOLE A DEFAUT DE PRATIQUE
Durant toutes ces mois, ces semaines la course au symbole a été pathétique… et dérisoire. La sacro sainte « unité » devait trouver sa matérialisation dans un symbole, dans un homme ou femme qui sans être explicitement providentiel (ça n’a jamais été dit mais on y était presque ! ), devait apparaître comme le référent naturel (ça n’a jamais été dit mais c’était bien ça), en tout les cas médiatique (ça ç’a été dit explicitement).
La question qui aurait du être posée et qui ne l’a jamais été était : « Que représente ce personnage ? ». Quelle peut bien être la réponse ? Personne ne sait… ou plutôt si, on sait : l’unité, un espoir. Mais très concrètement sur quoi se fondent cette « unité » et cet « espoir ». En l’absence de référent concret quel peut-être le contenu de telles notions ?
Ce qui ont suivi les « évènements » diront : la « Charte Antilibérale »
Dans ces conditions on ne peut que s’étonner que se soient les ambitions personnelles, l’expression des égos, les intérêts bureaucratiques des organisations qui aient pris le dessus dans le « débat » ? Mais comment aurait-il pu en être autrement ?
Et aujourd’hui, sur le tas de ruines, au lieu d’essayer de comprendre ce qui s’est réellement passé, on se jette les débris à la figure en s’accusant de tous les maux. Et il y en a même qui s’apprêtent à reconstruire, avec les mêmes matériaux et surtout les mêmes plans, sur le même terrain mouvant. Il y a du Sisyphe chez ces gens là !
Ce « mouvement », si tant est que ça en soit un, trompé par son propre discours, sa propre rhétorique a cru à la dimension historique des concepts qu’il manipulait. Il s’est lui-même saoulé d’espoir et d’espérance en construisant des images qui ne trouvaient leurs racines que dans ses propres propos… L’auto excitation des réunions publiques et des discussions dans les collectifs ont fait le reste.
Ne rêvons pas, il n’y a rien, il n’y aurait rien, et il n’y aura rien d’historique dans le cas de la nomination d’une candidature unique, aujourd’hui ou demain, du « mouvement anti libéral ». C’est en effet prendre ses désirs pour la réalité. A y regarder de près, une candidature unique n’a aucun sens, sinon sur le plan purement formel et affectif. Or, le formalisme et même l’affectif n’a de sens dans l’Histoire que s’il est socialement fondé, et encore faut-il que les circonstances historiques soient favorables,… ce qui n’est pas toujours le cas.
UNE STRATEGIE DEPASSEE
Doit-on être scandalisé par les pratiques d’appareils au sein du mouvement ? Oui certainement. Mais doit-on en être surpris ? Certainement pas. Ce qui s’est passé était parfaitement prévisible. Pourquoi ? Pour deux raisons intimement liées :
– on sait ce que sont des logiques d’appareils et que pouvait-on attendre d’autre de leur part ?
– le manque de pratique sociale, de fondation du discours et de la stratégie sur autre chose que du concret surdétermine les magouilles bureaucratiques. En effet, en l’absence de référence concrète, il ne reste plus que la stratégie des appareils… face à la seule bonne volonté des autres.
Les vieilles rengaines sur l’ « unité » des organisations politiques, si elles ont pu faire illusion, et elles l’ont fait, ont bien vite été dépassées par les intérêts de boutiques et les prétentions individuelles de celles et ceux qui se croient, se croyaient, investi-e-s d’une mission historique… et ce malgré la présence, il faut le reconnaître d’une masse d’individus tout à fait honnêtes et sérieux dans leurs intentions de changement.
Ce ne sont pourtant pas les pratiques bureaucratiques et scandaleuses des organisations politiques qui sont fondamentalement responsables de ce qui s’est passé, c’est le manque de référent concret qui ne pouvait produire qu’une stratégie purement électorale et bureaucratique.
En effet, que représentait concrètement ce « large mouvement » dont on nous parlait ? En fait rien, sinon, une volonté, un espoir dont on pensait qu’elle pouvait faire un « miracle électoral ». Il n’avait qu’une existence idéologique, sans aucun fondement social. En dépit des dénégations véhémentes des leaders (encartés ou non) du « mouvement » la stratégie était purement électorale et médiatique, autrement dit, elle reproduisait le même concept stratégique, les moyens financiers et médiatiques en moins, que celui des organisations traditionnelles.
Que représentaient concrètement les fameux « collectifs » ? Rien, sinon des individus éparpillés ou des militants représentants leurs organisations… « Oui mais, me dira-t-on il s’y est mené des débats intéressants ». Je n’en doute pas, mais sur quoi ? Se fondant sur quoi ? Quel débat sur les pratiques y avait-t-il ? Fondant l’avenir sur quoi de concret, sur quelles expériences, sur quels groupes en situation sociale alternative ? Il peut y avoir des débats forts intéressants mais purement formels… la preuve !
La Charte si laborieusement élaborée demeure aujourd’hui un document vide, socialement et politiquement vide, une pièce dans le « musée des illusions ».
On nous dit que ce mouvement était solide et puissant alors qu’il a fallu de simples désaccords bureaucratiques pour qu’il s’écroule !… Tout cela n’est ni très cohérent, ni très sérieux.
POURQUOI UN TEL GACHIS ?
Parce que nous vivons encore sur des illusions, celles qui consistent à faire nôtre le modèle de fonctionnement politique imposé par le système et qui consiste à ne voir le changement que par le truchement des élections, donc des hommes/femmes « providentiels » et des programmes « attrape électeurs/trices » ( ?).
Cette culture politique qui est censée être la nôtre, et qui est celle du système que nous combattons, est tellement ancrée en nous que l’on n’a aucun recul pour en saisir toute sa perversité, et c’est ce qui en fait sa force… et notre faiblesse.
Imaginons un seul instant que ce « mouvement » ait été celui d’une mobilisation sociale, le représentant de groupes, de collectivités en situation de pratiques alternatives, celui de réseaux de production et de distribution alternatifs, comme il en existe déjà, celui de mouvement des salariés en lutte pour la reprises d’entreprises en liquidations,… Alors là oui, ce mouvement aurait eu un sens. Les débats n’auraient pas été purement formels, mais fondés, représentatifs de pratiques. Les organisations politiques auraient été à la traîne de gens déterminés, engagés personnellement et collectivement à qui elles n’auraient pas pu raconter n’importe quoi et à qui elles n’auraient pas pu faire des promesses plus ou moins démagogiques. Le/la représentant-e de ce mouvement, s’il avait été désigné aurait représenté une pratique alternative concrète… Le débat n’aurait pas tourné autour de la présidentielle, ce qui n’a aucun sens, mais autour du changement concret et de ses conditions. L’élection n’aurait pas été un but, mais une tribune que l’on aurait pu détourner.
Au lieu de tout cela, rien, un lamentable fiasco, un gaspillage inouïe d’énergie, de bonne volonté et une frustration sans borne.
Au-delà de ce fiasco il va nous falloir nous ressaisir, c’est-à-dire tirer le bilan, le vrai bilan, celui de la remise en question de la stratégie globale du changement. Ce travail va être difficile et douloureux. Il demande un courage personnelle et collectif pour nous arracher à nos vieilles illusions, nos vieilles pratiques, rayer d’un trait de plume ce qui a été le berceau de notre formation politique, syndicale et associative.
Le monde a changé, le système a su s’adapter, pas nous,… il est temps de s’y mettre.
Patrick MIGNARD
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