Pourquoi l’infiltration et comment choisir ses cibles?

Deux stratégies différentes peuvent motiver un travail d’infiltration. Celle de la Ligue Communiste Révolutionnaire qui pousse à durcir les actions, à les globaliser, à dégager des franges oppositionnelles au sein des corps noyautés et celle du Parti des Travailleurs où seule compte la conquête de l’appareil. Quel que soit l’objectif à atteindre, une opération d’infiltration doit être pensée sur le long terme. Pierre Lambert/Boussel l’a bien compris quand il prépare ses militants à refuser les dividendes rapides et à ne rien attendre dans l’immédiat. Il faut savoir compter en dizaine d’années, lorsque l’on veut, par exemple, prendre le contrôle d’un syndicat.
Voir loin, c’est aussi refuser la médiatisation séduisante. Dans les années 70, des militants lambertistes qui après s’être laissés filmer par un jeune cinéaste pour un reportage sur l’OCI, changent d’avis, menacent le reporteur puis finissent par voler les négatifs dans le laboratoire photo ou ils étaient conservés. Apprendre à refuser l’illusion de la notoriété médiatique, c’est apprendre à agir sur le réel.
Force est de constater que l’on est loin de la stratégie des grandes heures du Front National, celle des petites phrases chocs, des coups d’annonce bidon et des syndicats « télé-virtuels ».

Le choix de la cible doit également être bien pesé. Il ne s’agit pas d’investir des organisations extrémistes ou aux antipodes de nos positions politiques mais plutôt des structures molles sans connotation radicale ou alors aux marges de nos idées. Il vaut mieux se focaliser sur des partis politiques influents qui jouissent d’une image de centriste ou d’écologiste et des syndicats peu politisés. Il n’est pas question d’infiltrer la CGT ou le Parti Socialiste. Nos amis trotskistes ne cherchent pas à infiltrer le RPF, ils concentrent l’essentiel de leurs actions sur la galaxie des mouvements de gauche, qu’ils soient sociaux démocrates, radicaux de gauche ou anarchistes.

Etre organisés et savoir employer la ruse

Une fois la cible fixée commence la phase la plus délicate. Cette étape exige un mouvement politique cohérent avec des militants archi-formés, une direction incontestée et des ordres réfléchis et clairs. L’exemple en la matière reste sans conteste les lambertistes. Chaque nouvelle recrue est prise en main et suit pendant plus d’un an un cycle hebdomadaire de formation dans le cadre des Groupes d’Etudes Révolutionnaires (GER). Si le nouveau militant est un fonctionnaire occupant une place importante dans l’administration, comme Jospin dans les années 70 en poste au ministère des affaires étrangères, il est séparé du groupe et formé dans le plus grand secret afin de ne pas le faire repérer par les Renseignements généraux.

A l’intérieur de l’organisation les militants fonctionnent avec des « Blazes », c’est à dire des pseudos. Personne ne s’appelle par son vrai nom. Une fois les militants sortis des GER, ils sont fins prêts pour effectuer un travail de noyautage méthodique et implacable. Tous les ordres sont compris et exécutés, même ceux qui consistent à avancer sous d’autres bannières politiques. Ils savent que la politique c’est avant tout l’art de la ruse. Pierre Boussel n’a cessé de leur le leur répéter.

Lorsqu’ils investissent un syndicat, ils pratiquent un entrisme double. Certains avancent à ciel ouvert en cachant à peine leur penchant trotskiste, pendant que d’autres, clandestins, s’élèvent dans la hiérarchie du parti. Si cela ne suffit pas à brouiller les pistes, ils créent au sein de l’organisme noyauté des tendances politiques sans rapport avec le trotskisme. Le très lambertiste Alexandre Herbert créera, à l’intérieur de FO, une union des anarcho-syndicalistes (UAS) qui prétend regrouper les anarchistes adhérents du syndicat. En fait, Bourseiller nous apprend que cette structure, « en dépit de la sincérité d’une partie des ses membres, n’a jamais servi qu’à dissimuler les actions des lambertistes » (1).

Lorsque les hommes de Boussel s’infiltrent, ils commencent par se rendre indispensables en prenant en charge les tâches les plus difficiles et ingrates. Il leur est aisé, par la suite de contrôler les rouages des mouvements pour finalement parvenir au sommet. Une fois en place, il s’agit de ne pas griller les éléments infiltrés. Aussi, des cercles clandestins appelés les AMIC permettent-ils aux militants en fraction de garder un contact hebdomadaire avec le mouvement. Chaque AMIC regroupe à peine quelques militants sous la direction d’un délégué du parti. Plus rien d’officiel !

On évolue dans un univers complètement cloisonné. La clandestinité forcée des taupes est telle, que cela provoque parfois des situations comiques.
En 1975 dans le cadre des élections du CROUS, l’OCI présente sous l’étiquette UNEF-ID, Denis Sieffert qui avance ouvertement sous l’étiquette trotskiste. Son grand rival de l’UNEF-renouveau (proche du PCF), Paul Robel, sévèrement agressé par les militants de l’OCI, se révèlera être lui aussi un lambertiste infiltré.
Le cloisonnement à l’intérieur de l’organisation est si étanche que des militants de l’OCI en ont lynché un des leurs sans le savoir.

Car les trotskistes savent également donner dans la castagne. En 1971 lorsque l’UNEF implose, staliniens et lambertistes se retrouvent face à face. Cette fois, les trotskistes doivent résister physiquement aux charges des communistes. Ce qui n’est pas une mince affaire. Sous la poigne de fer de Pierre Marcelle et surtout de notre ami Patrick Gofman (aujourd’hui journaliste à « Minute »), le service d’ordre de l’OCI réussira à tenir et livrera sur un plateau l’UNEF à Pierre Boussel.

Si la prise de l’UNEF par les lambertistes est un beau trophée, celle de FO constitue un exemple en la matière. Leur stratégie pour prendre le contrôle de FO est simple : Soutenir vaille que vaille les dirigeants du syndicat pour conquérir leur confiance et gravir les échelons hiérarchiques. On retrouvera également cette stratégie appliquée à la FEN. Qu’importe que leurs dirigeants soient un peu éloignés des positions politiques du mouvement ! L’objectif est de les rendre dépendant du soutien des trotskistes afin de peser à terme sur la ligne du syndicat.

Pour mener à bien cet objectif tout est bon, même les faux reniements. On verra des lambertistes, infiltrés à FO, signer un communiqué dénonçant l’idéologie communiste. Ils savent attendre pour mieux refermer le piège sur sa proie. Aussi, quand l’autorité d’André Bergeron, alors dirigeant de FO, sera contestée par la montée en puissance des socialistes, le méticuleux travail des lambertistes va lui sauver la mise en structurant une deuxième gauche, hostile à la main-mise des partis sur le syndicat.
Désormais, Bergeron est prisonnier du soutien des trotskistes.

Savoir jouer avec les dissensions internes pour avancer leurs pions reste une pratique dont ils usent fréquemment. Aujourd’hui, on retrouve les lambertistes dans « Continuer la CGT », un courant opposé à la direction syndicale. Il n’est pas impensable qu’un jour les lambertistes prennent également le contrôle de la CGT.

Rayonner au-delà de sa sphère politique

Les taupes en place remplissent également le rôle de rabatteur. En convertissant des éléments, non seulement ils consolident leur enracinement, mais ils étendent également leur cercle d’influence. Lorsqu’à la fin des années 50, le dirigeant socialiste Marceau Pivert se laisse convertir, il amène avec lui ses réseaux personnels qui serviront largement aux lambertistes pour pratiquer l’entrisme dans la social-démocratie.

Les trotskistes sont de véritables stakhanovistes de l’activisme, ils n’arrêtent jamais. Pour ramener de nouveaux militants, ils ne manquent pas d’imagination. Tous les subterfuges sont bons. Ils savent avancer derrières des associations faussement apolitiques qui se focalisent sur un sujet de société ou d’actualité pour l’orienter politiquement. Grâce à elles, ils recrutent aux marges de leur sphère idéologique. Avec le très consensuel combat antifasciste, les trotskistes ont trouvé là leur meilleur réseau de recrutement. Du pain béni pour eux. Ils ont du être nombreux, ces jeunes naïvement antiracistes qui ont fini trotskistes en rejoignant « Ras l’Front ».

Lors de la guerre d’Algérie, les membres de l’OCI avaient également largement rayonné au-delà des cercles communisants en dénonçant ce conflit et en soutenant les indépendantistes algériens du Mouvement National Algérien (MNA) de Messali Hadj.
Manque de chance c’est le FLN qui finira par s’imposer. Tant pis, c’était bien tenté.

Le soutien aux immigrés, l’avortement, les bavures policières, le chômage, les sans-abri… Tous les sujets de société sont exploités et politisés. Car ils ont bien compris que le politique est partout, à tous les niveaux de la vie quotidienne. Lorsque des grèves éclatent, ils savent les récupérer et les manipuler en créant des coordinations trompeusement apolitiques. En fait, ces coordinations entièrement contrôlées par des éléments trotskistes, ôtent du contrôle des syndicats non-trotskistes les mouvements sociaux afin de les radicaliser et d’en orienter les revendications.

Il est clair que nous avons affaire à des professionnels de la politique et de l’activisme. Cependant, il ne s’agit pas d’appliquer au pied de la lettre leur façon de fonctionner, mais plutôt de s’en inspirer afin de juger nos actes à travers le prisme de leur modèle. Car attention ! Le danger de leur logique s’incarne dans un fanatisme obtus et intransigeant.

Si elles sont parfois nécessaires, les mouvements trotskistes connaissent trop régulièrement des purges internes excessives. La contradiction n’est pas permise et est instantanément sanctionnée. Ceci les amène souvent à évoluer trois mètres au-dessus du sol, dans un univers dogmatique complètement déconnecté du réel. La ligne du parti fixée, la machine idéologique s’emballe, commence par déformer les faits et finit par nier la réalité. On se retrouve alors aux portes de la folie…