Les Amis de Renart étaient à Caen le 23 mars 2024 pour manifester contre le démarrage de l’EPR de Flamanville prévu cette année, et les constructions de nouveaux réacteurs les années qui viennent. Nous étions 30 000 en 2006 à Cherbourg contre cet EPR, un petit millier ce week-end. Entre temps, l’industrie nucléaire a profité d’un feu roulant médiatique et politique d’arguments pseudo-écologistes en sa faveur. Les deux réacteurs prévus à Gravelines ne sont pas autrement justifiés que par la décarbonation à la fois de l’industrie automobile et son alliée sidérurgiste. Voici le tract diffusé pour l’occasion : Transition, l’atome au secours du monde. L’illustration de Modeste Richard en référence à La Gueule ouverte rappelle assez simplement que : On les emmerde, ça continue.

 

Réseau de Transport d’Électricité (RTE) a produit en 2023 une étude intitulée Développement du réseau électrique pour la décarbonation et l’attractivité du Dunkerquois dans laquelle on lit ceci :

Nous avons rédigé un rapport Futurs Énergétiques 2050 où nous étudions les impacts de la neutralité carbone sur la consommation d’électricité. L’étude montre que quels que soient les scénarios retenus, les besoins en électricité vont augmenter de + 35 %. […] Réunissant une partie importante de l’industrie française et représentant 21 % des émissions industrielles françaises, le territoire de Dunkerque souhaite devenir un modèle de l’industrie décarbonée française. Ainsi plusieurs demandes de raccordement de grands consommateurs électro-intensifs ont déjà été formulées. RTE envisage une consommation à hauteur de 3 500 MW à l’horizon 2030 et 4 500 MW à l’horizon 2040. Ces projets se concentrent à l’Est du Grand Port Maritime de Dunkerque, à proximité de Grande-Synthe.

Un petit millier de personnes se sont réunies devant les locaux de l’Autorité de sûreté nucléaire le 23 mars 2024 alors que l’EPR de Flamanville s’apprête à turbiner. Parmi les arguments opposés à sa mise en service : les scandales des retards de construction (15 ans pour l’exemplaire français), les dérives financières (un budget multiplié par quatre), et les problèmes de sûreté. D’autres indiquèrent que l’atome est une solution irréaliste à l’enjeu du climat – trop lent au regard de l’urgence, trop coûteux au regard des finances d’EDF, trop compliqué au regard de la perte de compétences. Les Amis de Renart ont préféré rappeler qu’il ne faut jamais désespérer des technocrates et de l’État, surtout en matière de nucléaire. L’enjeu, industriel et géopolitique, est tel que les moyens seront toujours mis en face des objectifs. Voici donc le papier diffusé.

TransitionL’atome au secours du monde

« Transition », telle est la formule magique de notre époque. Les publicitaires de la justice sociale vont jusqu’à parler de transition juste. Venue des cercles nucléaristes américains [1], ricochant sur les Conférences Climat, la propagande de la « transition » s’est partout imposée. Elle a vaincu sans combattre, pénétré les têtes sans effort, au grand bonheur des écologistes agréés, toujours prêts à s’aveugler pourvu qu’il leur soit offert de « prendre soin » de notre climat à l’agonie.

Ce que recèle ce vocable technocratique de « transition » ne fait pas mystère, et d’ailleurs n’est pas caché : plus que toute autre « solution », en particulier en France, c’est le nucléaire, jadis supposé garantir notre « indépendance énergétique » face à la menace d’un pic pétrolier sans cesse ajourné ; ce nucléaire promptement remis à la page, sur les ruines encore fumantes de Fukushima Daïchi ; ce nucléaire providentiel désormais labellisé bio, malgré sa contribution singulière à l’effet de serre (qu’on pense aux émissions quotidiennes de SF6, gaz à effet de serre 23 000 fois plus puissant que le CO2). Et ce n’est pas tout : il faut encore relever l’escroquerie d’une « transition » qui prétend abolir la production d’électricité à partir d’énergies fossiles – ce que les États les plus dotés en la matière ne consentiront jamais à faire. Faut-il rappeler que les consommations d’élec­tricité ne représentent à l’heure actuelle que le quart des consommations d’énergie, et qu’il est plus que douteux que les semi-remorques et navires marchands, entre autres, fonctionnent un jour massivement à l’électricité ? A moins que les apôtres de la « transition » ne fassent preuve d’une radicalité inattendue en supprimant le secteur des transports.

Pas moins de quinze ans après la date initiale de sa mise en service – les plus inconscients du jusqu’au-boutisme français en matière nucléaire croyaient peut-être s’en être débarrassés -, le premier EPR français, paré de toutes les vertus (plus puissant, plus moderne, plus économique, plus sûr), entame sa carrière à Flamanville. Il en est annoncé bien d’autres, notamment à Gravelines, où se trouve déjà la plus puissante centrale nucléaire d’Europe occidentale. Bien sûr, s’il est envisagé d’y construire deux réacteurs EPR de plus, ce n’est pas pour le simple plaisir de sur-polluer une région qui l’est déjà. C’est notre transition « décarbonée », et ses besoins en électricité artificiellement créés, qui les commandent.

Dans les Hauts-de-France, pas moins de quatre gigafactories sortent de terre. Les pollueurs d’hier, anciens fraudeurs du Dieselgate, sont désormais acclamés comme l’avant-garde verte. Sans même compter les nuisances encore lointaines de l’extraction minière, leurs ravages sont directement visibles ici : la seule usine Envision en construction à Douai (500 000 batteries par an pour autant de véhi­cules « décarbonés ») consommera l’énergie d’une ville comme Marseille. A quoi il faut leur ajouter l’usine de cathodes d’Orano (ex-Areva), celle d’acier électrique d’Arcelor-Mital, et pourquoi pas une usine de raffinage du lithium. C’est au point que le gestionnaire du réseau électrique RTE s’alarme. Aux 5400 Mw que produisent aujourd’hui les six réacteurs de Gravelines, EDF doit en trouver 4500 supplémentaires pour satisfaire la boulimie électrique de cette néo-industrie. Rien qu’à Dunkerque, nous aurons donc deux réacteurs supplémentaires, une usine éolienne offshore, une usine d’hydrogène, en plus des 1800 mâts qui font déjà des Hauts-de-France la première région éolienne de l’hexagone.

La transition est le cache-sexe de la fuite en avant nucléo-industrielle. Faut-il y voir pour autant une insurmontable fatalité ? En Allemagne, à Grünheide, un mouvement d’opposition s’est récemment élevé contre l’agrandissement d’une giga-usine Tesla. Après l’occupation d’une forêt de 100 hectares destinée à la production de 500 000 électromobiles, après l’incendie d’un pylône électrique faisant plus d’une centaine de millions d’euros de pertes, un défilé « Tesla, nein Dänke » a rassemblé un petit millier de personnes le 10 mars dernier, quand les Pro-Tesla emmenés par le syndicat IG Metal, le SPD et les Verts en rassemblaient péniblement 200, dont beaucoup étaient salariés de l’usine. Cette opposition prouve qu’une critique en paroles et en actes de la « transition » est possible et même populaire. Alors ne laissons pas le dernier mot aux promoteurs de la catastrophe électro-nucléaire, débutée il y a près de 80 ans, et renouvelée aujourd’hui.

Les Amis de Renart Roubaix-Caen le 23 mars 2024

 

Notes

[1] Entre autres origines, le terme « transition énergétique » fut inventé en 1967 par le chercheur Harrison Brown, ancien directeur de la chimie du laboratoire d’Oak Ridge dans le cadre du Projet Manhattan, conférencier inaugural en 1955 du programme Atom for peace. Cf. Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie, J.-B. Fressoz, Seuil, 2024, pp. 233-236.

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