Le protectionnisme existe depuis toujours. Il a permis la colonisation de la planète et accompagné toutes les guerres entre puissances impérialistes. C’est au milieu des années 1970 que se forge la version moderne du concept de « patriotisme économique ».

Les bastions industriels où la CGT et le PCF sont puissamment organisés et où les salarié·es ont accumulé des acquis substantiels sont méthodiquement détruits, et les productions transférées dans des pays à moindre coûts? ; les importations explosent. Le chômage structurel se met en place. Au même moment, Giscard autorise le regroupement familial, vieille revendication de gauche. Les travailleurs immigrés quittent progressivement les foyers pour célibataires et font venir leurs familles. Comme tous les ouvriers, ils se retrouvent massivement dans les cités HLM des banlieues.

Le PCF est ainsi simultanément affaibli dans ses deux camps de base. La riposte sera violente : Georges Marchais demande l’arrêt provisoire de toute immigration « le temps que les immigrés présents soient dignement intégrés en France » ; et le PCF lance une longue et puissante campagne sur un thème simple : « Produisons français ». Malgré la force sociale et politique du PCF d’alors, ces deux campagnes seront vaines et noyées plus tard dans l’asservissement des ministres communistes du gouvernement Mitterrand. Les longues grèves pour défendre l’emploi seront hélas pour l’essentiel impuissantes à préserver les sites de production.

Et c’est le Front national, alors ultralibéral, qui va récupérer ces slogans un peu plus tard, amorçant ainsi ce qui deviendra son tournant « social ». L’affiche « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés de trop » va porter à son terme la logique dangereuse initiée par le PCF ; et à la campagne du PCF sur le « produisons français » il suffira au FN d’ajouter « avec des travailleurs français » pour installer son discours infâme sur la préférence nationale.

  • Produisons français, du PCF au FN

La construction européenne et la mise en place de l’euro vont réactualiser le débat dans le monde politique. À droite, des gaullistes « orthodoxes » vont se dresser contre l’abandon de l’indépendance nationale symbolisée par la planification étatique au profit de la seule logique du marché. À gauche, des chevènementistes au Parti de la démondialisation (Pardem) en passant par Montebourg ou Onfray, on entretient la nostalgie des « Trente Glorieuses » et on accuse l’Europe, ce qui permet d’étranges et détestables combinaisons politiciennes entre ces deux familles idéologiques.

On repère aisément dans les discours du PCF, de la France insoumise, d’Attac comment le souverainisme se substitue facilement à un authentique anticapitalisme plus difficile à faire partager.

Patriotisme, protectionnisme, souverainisme désignent une même chose : imposer des règles nationales pour empêcher la concurrence « étrangère ». « Étrangers » qui nécessairement répondent de la même manière (si leur puissance militaire et leur indépendance politique leur permet). Le patriotisme prétend que patrons et travailleurs d’un même pays ont des intérêts communs face aux patrons et travailleurs d’autres pays.

Bref elle dilue la conscience de classe au profit d’une conscience nationaliste et s’oppose frontalement au vieux programme ouvrier : « Les prolétaires n’ont pas de patrie » ! Et puis soyons clairs : deux millions de Français et Françaises travaillent sur le territoire national pour des capitalistes étrangers et ne voient guère la différence au sein d’une même branche d’activité !

 

Reste la question des nationalisations. Malgré les nationalisations importantes à la Libération puis en 1981 avec Mitterrand, la France est restée une puissance capitaliste. En fait les capitalistes ont besoin, suivant les branches, les tailles d’entreprises et leur poids sur le marché (local national ou mondial) tantôt de protectionnisme, tantôt de libéralisme.

Ces divergences d’intérêt au sein de la bourgeoisie expliquent d’ailleurs la diversité des forces politiques qui représentent chacune de ses fractions. Nous nous opposons spontanément aux privatisations qui offrent toujours plus de marchés nouveaux aux capitaux privés. Néanmoins la nationalisation n’est pas une solution anticapitaliste, surtout en cas d’indemnisation des actionnaires par l’État.

  • Macron « patriote » ?

Si, au cours d’une lutte isolée pour sauver l’emploi, le mot d’ordre de nationalisation peut surgir, il convient d’en critiquer sans ambiguïté les limites. Notre réponse communiste libertaire est claire? : expropriation des actionnaires, socialisation autogestionnaire, productions localisées au plus près des besoins et territoires, avec le fédéralisme (de communes et d’industries) pour les productions nécessitant les investissements les plus lourds.

Emmanuel Macron jure que la crise ouverte par la pandémie de Covid-19 lui a ouvert les yeux. Il déverse des centaines de milliards dans les caisses patronales en endettant comme jamais le pays, à rebours total de toutes les boussoles ultralibérales. Et il légifère pour accroître le contrôle de l’État sur d’éventuels investisseurs étrangers.

« Patriotisme enfin » ? Que nenni. Les groupes qui vont le plus profiter des aides ont la majorité de leurs productions (et de leurs salarié·es) hors de France ! À ce titre, Les Amis de la Terre viennent de révéler que les banques françaises ont investi 24 milliards dans le gaz de schiste étatsunien ! Voilà la vérité sur le virage écologique et patriotique de Macron !

Quant aux relocalisations évoquées parfois, il faut lire les économistes bourgeois qui réfléchissent en effet à « rapprocher » les délocalisations sur le bassin Méditerranéen ou en Europe de l’Est : en bref, dans des pays à bas coûts toujours mais dont les bourgeoisies locales ne prétendent pas à l’hégémonie mondiale, contrairement à la Chine où les coûts de production ont d’ailleurs augmenté tellement qu’elle même délocalise à tour de bras en Afrique.

Tant que le mode de production sera basé sur une économie mondialisée de concurrence entre actionnaires rivaux, toute velléité d’échapper à la logique du marché sera vaine et illusoire. Sauf à engager l’Europe dans la guerre que se livrent États-Unis et Chine avec une vraie guerre comme issue ultime.