Le mercredi 30 mai, à 6h30 du matin, 3 personnes ont été interpellées à leurs domiciles par un fort contingent de policiers de divers services, fusils mitrailleurs et armes de poing à la main. Directement placées en garde-à-vue, elles ont pu y apprendre le motif de leur arrestation : elles sont accusées d’avoir, lors de la manifestation pour la défense du service public du 22 mai, participé à un groupe ayant contesté aux membres du syndicat Alliance le droit de se positionner au cœur du cortège – et de leur avoir volé un drapeau. Après 28h de garde-à-vue, elles ont été placées sous contrôle judiciaire (pointage en gendarmerie toutes les 2 semaines, interdiction d’entrer en communication entre elles et obligation de se soumettre à un suivi socio-judiciaire) et convoquées pour un procès le 5 juillet avec les chefs d’inculpation suivants : outrage en réunion, entrave à la liberté de manifester en réunion (sic), et vol de bien privé (le fameux drapeau).

Face au ridicule du motif de l’interpellation, il convient de se demander si l’impressionnant déploiement policier lors de ces interpellations était bien justifié par la gravité des faits reprochés, ou s’il ne s’agirait pas plutôt d’une démonstration de force d’un corps policier toujours prêt à défendre avec virulence ses ’syndicalistes’. Pour bien comprendre ce qui se joue ici, il faut revenir à la manifestation du 22 mai, et sur le rôle du syndicat Alliance dans la répression des mouvements sociaux.

Une série de provocations assumées

Différents communiqués rappellent comment la présence et l’attitude d’Alliance à la manifestation du 22 mai a pu être vécue comme une évidente provocation. Nous retiendrons trois éléments principaux.

> Un discours politique opportuniste et corporatiste :

Le mot d’ordre de la manifestation concernait la défense du service public. Quand bien même la police constituerait un service public, il nous semble évident que ce n’est pas de la police en tant que service public qu’Alliance se fait le défenseur mais de la police en tant que corps. Les politiques d’austérité, de réorganisation néo-libérales, de gel des salaires, ou encore de privatisation progressive qui touchent les différents secteurs du service public n’ont jamais atteint de la même manière les forces de l’ordre, l’un des rares corps aux demandes duquel l’État cède : loi renseignement, inscription des pratiques de l’état d’urgence dans le droit commun, élargissement du cadre de la ’légitime défense’, armement de certaines polices municipales, augmentation des dotations, embauches massives, etc.

La présence de ce syndicat à cet endroit précis s’est rendue d’autant plus scandaleuse qu’à aucun moment Alliance n’a tenu à exprimer la moindre solidarité envers les autres secteurs en lutte. Toute leur communication se bornait à réclamer la protection de leur statut propre, ainsi que des augmentations de moyens, sans jamais s’aventurer vers la question de la défense des services publics en général, ou de certaines luttes en particulier. À aucun moment, ils n’ont remis en question l’envoi de forces de l’ordre pour casser piquets de grèves et occupations, ou l’attaque systématique des cortèges de manifestant.e.s.

> Un positionnement illégitime :

Sans discussions préalables avec l’intersyndicale – à laquelle ils n’ont jamais fait l’effort de se rendre, et sans égards pour des syndicalistes en lutte, Alliance est passé devant l’UNSA et Solidaires pour venir se placer derrière FO. Non contents de cela, ils ont de plus bouché avec leur camion l’accès au guichet mobile des factrices et facteurs en grève, qui terminaient une lutte exemplaire de 4 mois et comptaient se rendre visibles une dernière fois pour partager leur expérience et récolter du soutien.

Voir ainsi un syndicat corporatiste agir à l’encontre de celles et ceux qui luttent au quotidien, sans le moindre égard envers leurs revendications ou leurs moyens d’expression a été vécu par de nombreuses personnes comme une intolérable provocation.

> Une attitude violente :

Lorsque de nombreuses personnes ont réagi à ces provocations en leur intimant fermement de rejoindre la queue du cortège, les membres d’Alliance ont répondu par le mépris, puis par la violence. Plutôt que de prendre avec humilité les critiques qui leur étaient adressées et de rejoindre la place qui leur était assignée dans la manifestation, ils ont refusé d’obtempérer et ont à plusieurs reprises répondu par les coups (de poing, de pied ou du manche en bois de leur banderole) aux reproches qui leur étaient faits. Rien d’étonnant, donc, à ce que la foule ait entrepris de les repousser à la fin de la manifestation, sans pour autant la moindre violence, et armée de sa seule détermination.

Alliance, ennemi déclaré du mouvement social

L’attitude d’Alliance au cours de la manifestation est cohérente avec le rôle que ce syndicat joue dans, ou plutôt contre, le mouvement social. Leur positionnement politique, ancré très à droite, en a fait depuis longtemps un ennemi déclaré des mouvements sociaux et des classes défavorisées. Au niveau national, leurs interventions se résument à deux revendications principales. La première est l’augmentation perpétuelle des moyens pour les forces de l’ordre : plus d’embauches, plus de matériel, plus de primes, moins de contrôle sur l’exercice de leur fonction… La seconde est la défense systématique des policiers, en jouant sur la corde de la ’haine anti-flics’. Ainsi, lorsque des policiers se portent partie civile, Alliance réclame nécessairement une sévérité exemplaire à l’encontre des prévenu.es et un alourdissement des peines. A l’inverse, à chaque fois que des policiers sont inquiétés pour des faits de violence ou d’homicides, en particulier envers les personnes non-blanches, Alliance organise rassemblements et comités de soutien, réclame la relaxe au nom de la légitime défense et attaque les plaignant.es et leurs familles pour diffamation.

À Rennes, ils se sont illustrés à plusieurs reprises, notamment en défendant leurs collègues de la BAC ayant abattu Babacar Gueye en décembre 2015, en appelant à venir soutenir leurs collègues auditionnés par l’IGPN suite à l’éborgnement d’un manifestant en mai 2016, ou encore récemment en faisant pression lorsqu’un syndicaliste était jugé en mars 2018 pour diffamation, pour avoir attribué à la CDI la responsabilité de cet éborgnement.

Le syndicat Alliance s’est toujours positionné contre les mouvements sociaux, en organisant et en favorisant la collusion entre les policiers et l’extrême-droite. Ainsi, au plein cœur du mouvement contre la Loi Travail, ils organisent à Paris un très provocateur rassemblement ’contre la haine anti-flics’, au premier rang duquel sont invités Gilbert Collard et Marion Maréchal-Le Pen. Ils ont aussi notamment soutenu de manière tacite les manifestations ’spontanées’ de policiers d’octobre et novembre 2016, où des policiers cagoulés, porteurs de leur arme de service et pilotés par l’extrême-droite défilaient et bloquaient des axes routiers.

Enfin, ils se trouvent souvent aux avants-postes de la répression du mouvement social, au besoin en organisant une pression directe sur les services de l’État ou sur des acteurs du mouvement social. Ainsi, ils réclament – et obtiennent – régulièrement l’interdiction de manifestations ainsi que l’augmentation de ’l’encadrement’ de ces dernières. Ils favorisent les violences policières en offrant une protection systématique à ceux qui s’y livrent, dans le cadre des manifestations ou du contrôle social des quartiers populaires, et pèsent en faveur de l’alourdissement des sanctions judiciaires à l’encontre de celles et ceux qui tentent de s’y opposer. Enfin, ils vont jusqu’à menacer directement différentes actrices et acteurs du mouvement social, que ce soit en réclamant la ’dissolution des groupes d’ultra-gauche’, en attaquant les collectifs de soutien aux victimes de violences policières (par exemple, le collectif Urgence Notre Police Assassine a vu sa page facebook fermée sous la pression) ou, encore très récemment, en organisant un rassemblement devant le siège parisien de la France Insoumise en représailles au fait que cette dernière ait soutenu un collectif d’Aulnay-sous-Bois, la Révolution est en marche, lorsque celui-ci dénonçait la responsabilité d’Alliance dans les violences policières.

Riposte et solidarité

Le Collectif Contre la Criminalisation du Mouvement Social s’est monté à Rennes en mai 2016 pour défendre le mouvement social des attaques policières et judiciaires dont il était la cible permanente. Deux ans après sa fondation, nous constatons que rien n’a changé. Alors que sous la présidence d’Emmanuel Macron, les réformes anti-sociales se multiplient et qu’on nous impose l’adaptation à un ordre néo-libéral à marche forcée, les tentatives de résistance se heurtent de manière systématique à une répression brutale. Depuis 2 ans, il n’est plus possible de manifester dans le centre-ville, et quand il est encore possible de manifester dans le cadre étroit accordé par la préfecture, c’est sous la pression constamment augmentée des forces de l’ordre, qui viennent provoquer les cortèges de plus en plus près. À titre d’exemple, le 1er mai dernier, le cortège étudiant s’est fait à plusieurs reprises attaquer sans sommation, occasionnant de nombreuses blessures, tandis que le cortège syndical était empêché d’avancer, et l’on ne compte plus les occupations et blocages des étudiant.es, factrices et facteurs ou routier.es qui ont été délogé.es par la force. Au lycée Jean Macé, c’est une AG de lycéen.nes à l’intérieur de l’établissement qui a été attaquée par la police. Alors même que le mouvement social doit se battre en permanence pour garantir sa liberté d’action et de manifestation face aux multiples obstacles que la préfecture dresse devant lui, nous trouverions drôle, si ce n’était pas désolant, que ce soient 3 manifestantes qui soient accusées d’entrave à liberté de manifester. La liberté de manifester n’a jamais été défendue par Alliance que lorsqu’il s’agissait de la sienne propre, et ce syndicat se retrouve en première ligne pour demander la suppression de celle du mouvement social. Alliance a toujours été un ennemi déclaré du mouvement social, et nous considérerons toujours comme choquant le fait qu’ils s’arrogent une place centrale au sein des manifestations pour défendre leurs revendications corporatistes.

Il s’agit maintenant pour tout membre conséquent du mouvement social de prendre acte de la situation et d’organiser la riposte. Si nous voulons pouvoir continuer à faire front contre les multiples attaques qui nous sont portées par le gouvernement, nous devrons défendre farouchement nos espaces d’action et d’organisation. Cela passe par l’élaboration d’une intelligence et de stratégies communes, et en premier lieu par une solidarité de tou.tes avec tou.tes.

Dans ce cas précis, cela consiste à nous solidariser politiquement, matériellement et financièrement avec les 3 inculpées, et à appeler le plus largement possible au rassemblement de soutien au moment de leur procès, le 5 juillet 2018 à 15h devant la Cité Judiciaire.

Pour signer ce texte, une adresse : cccms@riseup.net

Cagnotte de soutien aux inculpées : https://www.cotizup.com/pour-elles

Les signataires : (mise à jour le 2 juillet 2018)

Collectif de lutte Contre la Criminalisation du Mouvement Social

Alternative Libertaire Rennes

ATTAC Rennes

Assemblée Générale Interprofessionnelle – AGI

Assemblée des Blessés des Familles et des Collectifs contre les violences policières

Coordination des Précaires de l’éducation

Collectif Justice et Vérité pour Babacar

Comité vérité et justice pour Lamine Dieng

Collectif des facteurs en grève du 35

Collectif Vies Volées

CNT 35

Désarmons-les !

Dispac’h

Europe Écologie Les Verts – EELV Bretagne

Gauche Indépendantiste – Breizhistance

Groupe la sociale de la Fédération Anarchiste de Rennes

Jeunes Écolos de Rennes

Maison de la Grève

NPA Rennes

PG 35, Jean Paul Tyal et Yannick Legargasson – élus municipaux au PG

SLB

Solidaires 35

Solidaires EtudiantEs Rennes

Sud Rail 35

Sud Santé Sociaux 35