Chomsky et le « complot médiatique »
Des simplifications actuelles de la critique sociale

Philippe Corcuff
(Maître de conférences de science politique, membre du Conseil Scientifique d’ATTAC)

Une certaine critique des médias a le vent en poupe dans la galaxie altermondialiste. Certains y voient un signe de bonne santé de la radicalité politique. J’y vois poindre aussi des indices de régression « pré-marxiste » de la critique sociale. Les études consacrées par Noam Chomsky aux médias constituent le pôle le plus sérieux de ce type de littérature. Par contre, les usages français de Chomsky apparaissent souvent en décalage avec leur inspirateur : soit qu’ils présentent des analyses plus manichéennes associées à un style pamphlétaire(1), soit qu’ils rompent plus nettement avec la logique même de l’argumentation rationnelle qui est celle de Chomsky(2). Je me centrerai donc sur le texte chomskyen plutôt que sur les « chomskysmes » français, que je me contenterai de citer ponctuellement.

Ce ne sont ni les travaux renommés dans la communauté scientifique internationale du linguiste, ni le courage politique d’un militant anti-impérialiste au cœur de l’Empire américain, ni encore son intéressante insertion dans la mouvance libertaire(3), qui seront en jeu ici, mais son analyse politique des médias(4). Sur ce plan, je n’attribue pas à Chomsky, contrairement à Arnaud Rindel, « une place fondamentale dans la pensée critique moderne »(5), mais j’en fais plutôt un révélateur d’un certain recul théorique des discours critiques les plus diffusés aujourd’hui. Je m’arrêterai principalement sur l’ouvrage souvent considéré comme le plus construit par les partisans de Chomsky eux-mêmes, écrit en collaboration avec l’économiste Edward S. Herman : La fabrique de l’opinion publique américaine – La politique économique des médias américains (Manufacturing Consent – The Political Economy of the Mass-Media, 1e éd. : 1988)(6).

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