Suite à une panne de moteur, j’étais perdu dans le désert électoral à mille miles de tout bureau de vote habité. Quand tout à coup, une drôle de petite voix me dit :
– S’il vous plaît… dessine-moi une démocratie !

Imaginez ma surprise.
– Mais, que fais-tu là ?
L’étrange petit bonhomme ne répondit pas à ma question :
– S’il vous plaît… dessine-moi une démocratie !
Je pris une feuille de papier et dessinai rapidement un peuple.
– Ca, c’est le peuple et c’est lui qui décide de son avenir !

Le petit bonhomme hocha de la tête en regardant mon dessin.
– Ils sont si nombreux. Comment font-ils pour s’entendre ?
Je repris ma feuille et rajouta quelques personnages.
– Voilà, ce sont les personnes que le peuple élit pour le représenter !
De nouveau il regarda attentivement mon dessin, puis :
– Il n’y a que des hommes dans la démocratie ?
Sa naïveté me fit rire :
– Non ! Il y a autant d’hommes que de femmes.
– Ah ! alors pourquoi n’as-tu dessiné que des représentants hommes ?
J’étais bien embarrassé, alors je griffonnais rapidement une jupe par-ci, une par-là.
– Et il n’y a pas d’employés, ni d’ouvriers non plus en démocratie ? Sur ton dessin, il n’y a que des représentants issus de la fonction publique.
J’avais mon moteur à réparer et je songeais avec anxiété que mes provisions d’eau et de nourriture ne me permettraient pas de tenir très longtemps. Alors je rajoutais un représentant employé et un ouvrier.
– Tiens, voilà ! c’est comme ça la démocratie.
Le petit bonhomme pencha la tête vers moi.
– Ah ! ce n’est pas ainsi que je l’imaginais.
Il resta un long moment sans rien dire puis me regarda de ses grands yeux clairs et secoua de nouveau la tête :
– Et malgré ces injustices, tout le monde va voter pour les représentants ?
– Non, pas tout le monde. Quand on arrive à faire croire au peuple qu’il y a un danger, il se mobilise. Mais, comme on ne peut pas lui mentir à chaque fois, en général, moins de la moitié des électeurs vote.
Ses yeux s’écarquillèrent puis il reprit :
– Et quand les représentants votent des lois elles sont appliquées ?
Il m’agaçait, je voulais finir rapidement ma réparation :
– Je n’ai pas le temps, il faut que je travaille moi !
– Alors, ce que veut le peuple n’est pas important pour toi ? Tu préfères t’occuper de ton moteur ?
– Écoute-moi petit bonhomme venu de je ne sais où, bien sûr que ça m’intéresse, mais je n’ai pas le temps.
Il regarda au loin, très loin derrière les dunes et murmura de sa drôle de petite voix :
– On a toujours le temps que l’on veut bien prendre. Celui qui se débarrasse de ses affaires ne peut pas se plaindre ensuite si elles sont rangées n’importe comment.
Et il me reposa sa question :
– Et quand les représentants votent des lois elles sont appliquées ?
– Pas toujours, quelquefois les gens descendent dans la rue et les font supprimer.
– Et tout le monde descend dans la rue ?
– Non, il y a surtout des personnes de la fonction publique.
Le petit bonhomme me regarda interloqué :

– Et c’est comme ça en vrai ? Je n’te crois pas ! Alors tu veux dire que la démocratie est un système politique dans lequel les représentants sont issus de la fonction publique, élus par une minorité de fonctionnaires, qui ne votent que pour des fonctionnaires hommes et qui font des lois que d’autres fonctionnaires défont dans la rue ! Mais comment un tel système peut exister ?
Puis, il haussa les épaules et me dit en souriant :
– Les hommes de ta planète sont étranges. Tu sais, moi, sur ma planète, les hommes et les femmes sont représentés à égalité. Les employés et les ouvriers aussi. C’est normal que chacun représente les siens. Et puis, c’est le peuple qui indique aux représentants ce qu’ils doivent réaliser, pas le contraire. Et, pour plus de justice et d’honnêteté, tous sont élus par tirage au sort après sélection. C’est mieux, tu sais !

Ne sachant que répondre je tentais une diversion :
– Mais, dis-moi petit bonhomme, qui es-tu pour me dire tout cela ? Plutôt que la démocratie ne préfèrerais-tu pas que je te dessine, je ne sais pas moi euh… une vache ? Ou un mouton ?
Alors le petit bonhomme me regarda en secouant la tête et de sa drôle de petite voix me demanda :
– S’il vous plaît ! Tu veux que je te dessine la clérocratie ?