Des articles relatifs à une prétendue affaire «Solomon Morel/John Sack» ont été validés, ces derniers jours, sur Indymedia-Paris et Indymedia-Toulouse. Ces articles relèvent d’une variante désormais classique du négationnisme, consistant à imputer aux Juifs des atrocités contre les Allemands. En l’occurrence, il s’agit d’un Polonais d’origine juive nommé Solomon Morel, que des autorités polonaises accusent aujourd’hui de crime de guerre en raison de ses activités dans un camp des détention de militaires allemands mis en place en Pologne à la fin de la seconde guerre mondiale, et qui après avoir vécu l’essentiel de sa vie en Pologne s’est réfugié en Israël d’où il n’est pas extradable.

L’information, en soi, est assez insignifiante. Ce qui est remarquable est la tentative d’en faire un «coup» médiatique sur le thème des «criminels juifs», en utilisant pour cela des citations d’un journaliste américain d’origine juive nommé John Sack (qui est mort entre-temps). Et ce qui est inquiétant est qu’Indymedia-Paris et Indymedia-Toulouse se sont prêtés à la manœuvre, en validant deux longs articles à ce sujet.

Le nommé Morel n’était peut-être pas un saint homme. Mais il n’était, sans doute, qu’un des nombreux exécutants utilisés par le système stalinien à partir du moment où il a pris le contrôle de la Pologne. Le fait que sa famille ait souffert de la Shoah a pu donner une dimension personnelle à son comportement envers les prisonniers allemands. Mais on ne peut en tirer aucune autre conclusion.

L’argument sous-jacent aux articles diffusés ces derniers temps, selon lequel les Juifs étaient tous des agents soviétiques (et vice versa) est un argument typiquement antisémite qui a beaucoup servi chez les fascistes et autres antisémites polonais. C’est avec cet argument-là que sous l’occupation allemande on a incité les habitants polonais de Jedwabne à massacrer eux-mêmes, sans l’aide des Allemands, leurs voisins juifs. Et c’est avec cet argument, précisément, que les antisémites polonais actuels ont dénoncé l’enquête sur le pogrome de Jedwabne. Rien de nouveau sous le soleil.

Dans le déluge actuel de publications sur Indymedia (traductions de l’anglais, du polonais, etc.) l’important n’est pas une brève info publiée sur la BBC mais la polarisation sur les discours de John Sack, qu’on peut résumer ainsi: les Allemands se sont mal conduit envers les Juifs, mais ensuite les Juifs ont fait bien pire aux Allemands. Or ce discours sent le négationnisme à plein nez.

Pour qui douterait que le héros de cette affaire – John Sack – appartenait à la secte négationniste au moment où il a écrit les textes de lui que l’on essaie aujourd’hui de publier en France, il suffit de se référer au compte rendu d’une rencontre négationniste à laquelle John Sack a participé (pas assisté, comme journaliste – PARTICIPÉ, en tant qu’ORATEUR):

http://www.revisionisthistory.org/conference.html

Peut-être n’êtes-vous pas encore convaincus? Alors, allez sur le site perso de John Sack (www.johnsack.com), qui est resté dans l’état où il était de son vivant. Là, allez à la page où il fait de la pub pour les conférences (payantes, bien sûr, nous sommes aux États-Unis) qu’il faisait sur demande:

http://www.johnsack.com/speeches.htm

Et voici ce que vous lisez:

«In 1996 and again in 1997, John Sack was invited to speak at the United States Holocaust Memorial Museum, in Washington, D.C. His speech, Revenge and Redemption, was about the Jews who ran 1,255 concentration camps for German men, women, children and babies at the end of World War II.

As you may have read on Associated Press or heard on National Public Radio, the speech was twice canceled by the Museum without explanation. Since then, John Sack has given the identical speech at the National Press Club, at American colleges, at Real History, U.S.A. (left), and as far away as Canada, Australia and Poland. « He has done fine research, and he speaks brilliantly, » says the Director of Real History, U.S.A.

To hear him in your community, write to John Sack.»

Si vous avez du mal avec l’anglais, pas de problème. L’essentiel tient en une phrase. John Sack veut faire la promotion de ses propres conférences sur «les Juifs qui dirigeaient des camps où étaient internés des Allemands» (c’est lui-même qui écrit, rappelons-le: c’est sur son site perso, de son vivant). Il cite alors, comme unique témoin de la qualité de ses conférences, « le Directeur de Real History, U.S.A», qui déclare à son propos: «Il a réalisé une belle recherche, et c’est un brillant orateur».

Sympa, non? Maintenant, une devinette. Qui est ce « Directeur de Real History, U.S.A», dont John Sack utilisait la recommandation pour «vendre» ses propres conférences? Le directeur d’un organisme universitaire américain spécialisé dans la recherche historique? Vous n’y êtes pas. Les mots « Real History, U.S.A» sont une marque déposée appartenant… au principal négationniste britannique, David Irving. Voici son site internet:

http://www.fpp.co.uk/cinc/2002/forms

Ayant écopé d’une lourde condamnation devant un tribunal londonien, avec qualificatifs élogieux à l’appui (non seulement il est antisémite, soulignait le juge, il est pratique aussi le racisme anti-noir), David Irving tente depuis quelques temps de se refaire une santé financière aux États-Unis. Il organise des conférences, payantes bien entendu. Et il s’était trouvé un compère en la personne de John Sack. La preuve? Cliquez sur http://focal.org/online, et vous tomberez sur le compte rendu enthousiaste de la réunion négationniste de Cincinnati, en 1999, dont John Sack était la vedette. On note, au passage, que les photos figurant sur ce site de David Irving sont exactement celles qui figurent sur le site perso de John Sack.

La cause est donc entendue, sauf pour les ignorants et gens de mauvaise foi. John Sack était bien devenu, à la fin de sa vie, un compagnon régulier et assidu des négationnistes. Peu importe pour quelles raisons (règlements de comptes personnels, gâtisme, appât du gain). Le type est mort, paix à son âme. Mais cela ôte tout semblant de crédibilité à ce qu’il a pu écrire sur la Shoah et ses suites.

Ce qui est étrange, c’est qu’on s’acharne sur Indymedia à publier tant de choses de ce John Sack. Qui tient tant à remuer cette fange-là, aujourd’hui?

Je n’ai pas de certitudes, juste un indice. Il y a un mois que les négationnistes français ont été interdits d’Internet par le tribunal. Le silence leur pèse. Mais attention: outre que le négationnisme est un délit en France (et dans la plupart des pays voisins), c’est aussi un poison qui attaque tous les milieux où il s’exerce. Indymedia a déjà connu une grave crise à ce propos. Attention, donc, aux provocateurs qui remettent la sauce – et aux naïfs qui s’y laissent prendre.