Lors de la fin 2020 et début 2021 et les agressions de l’Etat accusant de terrorisme des personnes militantes, évènements qui ont ponctués cette période, la brochure « Qu’est ce que le Terrorisme ? » – parue en novembre 2000 et mise en ligne onze ans plus tard sur le site Infokiosques.net – a connu une réimpression large dans nos cercles de politisation.
La brochure a été prise comme matière première à des discussions, publiques ou informelles, et malheureusement prise pour argent comptant par ces militant.e.s qui, ayant un besoin légitime de trouver matière à penser une période stressante afin d’y trouver des armes pour répondre aux agressions, n’avaient guère d’autre choix de lecture rapide, et surtout, accessible aux habitudes d’information normées du « milieu » militant. Or cette brochure présente de nombreux problèmes, et notre manière de la lire et d’utiliser son propos dans notre période politique en présente tout autant.

Une brochure au postulat réactionnaire

 « La première définition qui est donnée à ce terme par la plus grande partie des dictionnaires est à caractère historique : « le gouvernement de la Terreur en France ». On connaît donc avec précision l’origine du vocable. Le terrorisme correspond à la période de la Révolution Française qui va d’avril 1793 à juillet 1794, lorsque le Comité de salut public mené par Robespierre et Saint-Just a ordonné un grand nombre d’exécutions capitales. La Terreur était donc représentée par cette guillotine dont la lame a tranché la tête à des milliers de personnes qui, présume-t-on, constituaient une menace pour la sécurité du nouvel Etat en formation. »

Outre le caractère cocasse pour une frange anarchiste de reprendre sans critique une définition académique d’un terme, rappelons le caractère intrinsèquement réactionnaire de l’Académie Française, dont le but est de « normaliser et perfectionner » la langue française. Objectifs garantis par un éventail de personnages peu sympathiques tels que feu Jean d’Ormesson et bientôt feu Alain Finkielkraut.

Donc, pour une « grande partie des dictionnaires » des années 2000, le terrorisme viendrait, historiquement, du gouvernement de Terreur de la Révolution Française. Ceci est un postulat politique qui est rattaché à une droite réactionnaire, et dont les premières traces prennent leur racines au lendemain du passage sur la guillotine de Robespierre et ses amis politiques, les Montagnards. Cette parole portée sur la culpabilité de Robespierre d’avoir institué un gouvernement de Terreur au travers du Comité de Salut Public (sorte de prémices de gouvernement exécutif) a été formulée par des personnages bien plus à droite et bien moins que connus que Robespierre, comme Merlin de Douai et Cambacérès, qui ont pourtant oeuvré a l’élaboration de lois liberticides comme la « loi des suspect », contre l’avis de Robespierre. Parole et révision de l’histoire qui se poursuit pendant les deux siècles qui suivent, au travers d’intellectuels, tous de droite, dont le plus emblématique fut l’historien François Furet, dont l’obsession de ses ouvrages au sujet de la Révolution Française a été de démontrer que la la Terreur a été la génèse des totalitarismes du XXe siècle.

Cette parole est fausse, et il n’est pas difficile de voir les arnaques intellectuelles qu’elle véhicule.

La personnification du Pouvoir

Il est moins question ici de défendre Robespierre que d’élargir les responsabilités politiques. Les analyses anti-autoritaires de l’histoire sont toujours basées sur des visions systémiques du pouvoir. Nous savons que peu importe la question des personnes, et que les actes du pouvoir sont guidés par sa volonté de se maintenir, et les formes que cela prend sont toujours à peu de chose près les mêmes, tant que le contexte politique l’y pousse.

Aujourd’hui, l’étiquette du pouvoir est surtout contre révolutionnaire, et ses différentes tendances, sociales-libérales, droite-réactionnaires ou autre importent peu, car sa manifestation – telle qu’instituée dans les lois et mise en place par les administrations, tendent toujours vers une société de surveillance, de répression et de soumission aux règles capitalistes, patriarcales, néocoloniales. Ces tendances sont dues à une contestation de ce pouvoir, plus ou moins efficaces, dont des exemples flagrants qui feront histoire sont la révolte des Gilets Jaunes, et ses tentatives insurrectionnelles, les mouvements contre le racisme remis au devant de la scène par des actualités de violences Etatiques et leur réponse par des manifestations émeutières et massives ou encore les mouvements féministes qui en faisant des réunions non mixtes mettent en PLS la moitié d’un gouvernement d’ultra droite.
Ces exemples sont complètement partiels et carricaturaux, mais c’est pour donner l’ambiance quoi.

Lors de la révolution, les règles étaient différentes, l’Etat Bourgeois était en cours de construction, et surtout, pro-révolutionnaire face à une monarchie, perdant en 4 années la totalité de son pouvoir millénaire. Instable, la volonté de ce pouvoir nouveau était de prendre le contrôle de la violence révolutionnaire qui prenait place dans la rue, faite par des mouvements non contrôlable et mouvement dont le nouveau personnel politique était issu.
Les républicains, modérés ou d’extrème gauche qui oeuvraient pour cette récupération n’étaient pas forcément d’accord sur les moyens d’y parvenir, en fonction de leur base sociale plus ou moins active dans ces mouvements de violence. Mais la peur d’un « peuple » incontrôlable qui pourrait leur demander de rendre les mêmes comptes qu’aux nobles et curetons constituait leur principale hantise.
Ces élus de la Convention ou des différents Comités exécutifs s’affrontaient violemment sur ces questions (c’est pour ces raisons que des groupes politiques entiers de la Convention se sont retrouvés assignés à résidence empêchés d’exercer leur pouvoir législatif, ou bien envoyés sur la guillotine, empêchés tout court). Mais la question de la reprise en main de la violence populaire par les institutions Républicaines – au travers de formation de polices révolutionnaires (lol), de loi sur les suspects et de justice d’exception – a été celle qui a polarisé les actes politiques de la période.
Le point de tension et la contradiction politique de l’époque prenait corps autour de la violence nécessaire d’être exercée sur le camp monarchiste afin de préserver les acquis et de poursuivre la Révolution. Que ce soient les sans-culotte (émeutier.es de l’époque) dans la société en se faisant justice par eux et elles mêmes ou bien les élus et dirigeants, tentant d’endiguer cette dynamique en imposant des moyens encadrés et institutionnels d’opérer ces changements de sociétés.

Danton, lors d’une séance de la Convention, va illustrer cette contradiction politique avec une phrase restée célèbre : « Soyons terribles pour dispenser au peuple de l’être »

Ce qu’il faut retenir de la désignation de cette période de la Révolution est que le pouvoir donne des gages à la partie radicale de la Révolution en matant les révoltes jugées contre-révolutionnaires, en ayant l’ambition de créer un monopole Etatique de la violence. Que cette période aie été qualifiée de Terreur par la suite relève de la manipulation politique de personnages ayant besoin de se débarrasser de leur responsabilité personnelle vis à vis d’évènements de répressions sur d’autres acteurs du moments, qui, ayant été raccourcis ne pouvaient plus se défendre physiquement ou verbalement.

Interroger notre rapport à l’Histoire

Quand cette brochure a été écrite, dans les années 2000, les travaux dont la partie ci dessus s’inspire pour élaborer sa critique n’étaient pas encore publiés. Ils sont en réalité assez récents, et dans le passé les théories réactionnaires sur la révolution trouvaient un écho assez large dans les sphères du pouvoir, médiatiques et finalement, populaires au travers de l’institution scolaire où on nous apprend au collège à détester Robespierre et admirer Napoléon.
Aussi, il est tout à fait compréhensible que l’auteur.ice, une personne ayant publié son texte en Italie, où des éléments des Brigades Rouges étaient encore actives, aie un besoin de produire une réflexion sur le Terrorisme, et pour ce faire, puise dans le matériel historique à disposition.
C’est tout aussi compréhensible car cette période que représente la Révolution Française, est une période injustement délaissée par les franges révolutionnaires actuelles qui évoluent sur le territoire Français, lui préférant la Commune.
Ces appréhensions et inconnaissances ne sont pas pertinentes. La Commune prend racine dans la Révolution Française, tous.tes ses acteurs.ices y font référence sans arrêt, se proclamant « républicain.e » même pour les anarchistes, et s’interpellant « citoyen.ne ! » signifiant à l’époque une marque d’égalité car sous la monarchie de Napoléon 3, les gens étaient des « sujets », tout comme pendant des évènements survenus moins d’un siècle que ceux d’avant mars 1871.

Nous gagnerions à mieux connaître cette histoire et à en faire des récits anti-autoritaires pour nous approprier cette période et ainsi éviter de tomber dans des idées reçues réactionnaires qui, comme on l’a vu ces derniers temps, nous ont fourni une grille d’analyse faussée et contre productive pour penser les évènements qui ponctuent notre existence. Non, la Terreur n’est pas un événement politique tel que décrit par les classes bourgeoises, non elle ne peut pas servir à définir un terrorisme d’Etat. Les bases du terrorisme sont un champ d’étude à produire, à étudier, et pour sûr les liens avec l’Etat sont étroits, mais ne participons pas à la bataille culturelle réactionnaire qui nous ampute d’une partie sinificative de l’histoire des luttes dans laquelle nous essayons de prendre part aujourd’hui.

L’histoire de la Révolution est aussi celle des anarchistes, et c’est de là que partent les mouvements révolutionnaires en dynamique qui parviennent à défaire des systèmes politiques vieux de mille ans par l’insurrection populaire et armée. Le débat d’idée constant qui forment par la suite les différents courants de pensées et de pratique politique qui traversent les siècles suivants, période dont nous sommes aujourd’hui héritièr.es malgré nous.

P.-S.

Voici les sources qui ont permis l’écriture de cet article :

https://venividisensivvs.wordpress.com/2017/12/06/la-terreur-juillet-1793-juin-1794/

https://infokiosques.net/lire.php?id_article=890

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Furet#Sur_la_R%C3%A9volution_fran%C3%A7aise