En juin 2019, La Quadrature déposait un recours au Conseil d’État contre « l’entrepôt », dont l’existence venait d’être révélée dans la presse. Comme nous l’expliquions alors, « les activités de surveillance relèvent de régimes plus ou moins permissifs », avec des garanties plus ou moins importantes accordées aux droits fondamentaux selon les régimes.

Autant de garanties écartées d’un revers de main dès lors que les données sont versées dans ce pot commun dans lequel peuvent potentiellement venir piocher des dizaines de milliers d’agents, relevant de services aux compétences et aux missions très diverses (TRACFIN, douanes, direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, bureau central du renseignement pénitentiaire, ANSSI, service central du renseignement territorial, etc.). En pratique, l’entrepôt permet à un service donné d’accéder à des données qu’il n’aurait légalement pas le droit de collecter et d’exploiter dans le cadre des procédures prévues par la loi.

Ces échanges de données se fondent sur une disposition inscrite en 2015 dans la loi renseignement : l’article L. 863-2 de code de la sécurité intérieure. Or, celui-ci ne fournit aucun encadrement spécifique : le législateur s’était alors défaussé en renvoyant à un décret d’application, mais celui-ci n’est jamais paru. Une source du Monde évoquait pour s’en expliquer un « défaut de base constitutionnelle ». Or, c’est bien à la loi d’encadrer ces pratiques, raison pour laquelle l’article L. 863-2 est tout simplement inconstitutionnel.

Depuis l’introduction de notre recours devant le Conseil d’État, des rapports parlementaires sont venus corroborer les révélation du Monde. Dans le rapport d’activité 2019 publié l’été dernier, la Délégation parlementaire au renseignement note ainsi :

(…) il ressort des travaux conduits par la délégation que l’absence de cadre réglementaire n’a pas empêché les services de procéder à des partages réguliers non seulement de renseignements exploités, c’est-à-dire d’extractions et de transcriptions, mais également de renseignements collectés, c’est-à-dire de données brutes recueillies dans le cadre d’une technique de renseignement.

La délégation a ainsi été informée de l’existence d’une procédure dite d’extension, qui permet la communication de transcriptions effectuées au sein du GIC [le Groupement interministériel de contrôle] à un service autre que celui qui a fait la demande initiale de technique de renseignement (…). La délégation regrette de n’avoir pu obtenir, en revanche, d’informations plus précises sur les conditions juridiques et opérationnelles dans lesquelles il est procédé à des partages de données brutes.

Dans ce rapport, la Délégation parlementaire au renseignement estimait également « urgent qu’un encadrement précis de ces échanges soit réalisé », notant à juste titre que « le renvoi simple à un décret pourrait se révéler insuffisant et placer le législateur en situation d’incompétence négative ».

Nous espérons que le Conseil d’État acceptera de transmettre notre QPC au Conseil constitutionnel afin de que celui-ci mette fin à cette violation manifeste de la Constitution, malheureusement caractéristique du renseignement français. Un autre exemple flagrant d’illégalité est le partage de données entre les services français et leurs homologues étrangers, qui porte sur des volumes colossaux et n’est nullement encadré par la loi. Pire, celle-ci interdit explicitement à la CNCTR, la commission de contrôle des activités de surveillance des services, de contrôler ces activités.

L’illégalité persistante du renseignement français et l’impunité dont bénéficient ses responsables sont d’autant plus problématiques que l’espionnage politique constitue désormais une priorité assumée des services de renseignement la surveillance des groupes militants ayant vu sa part plus que doubler entre 2017 et 2019 (passant de 6 à 14% du total des mesures de surveillance autorisées).

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