Ce lundi 25 janvier 2021 dans la soirée, une expulsion, suivie de l’interpellation des deux personnes présentes dans la maison, s’est déroulé boulevard Eugène Orrieux à Nantes. Nous jugeons utiles de partager largement cet événement étant donné ses circonstances, le contexte dans lequel elle a eu lieu et les pistes de réflexion que l’on peut en retirer.

La maison réquisitionnée, vouée à la vente à un promoteur immobilier, devait être démolie pour laisser place à un immeuble d’habitation. Elle est inoccupée depuis au moins trois ans, alors que la vente au promoteur n’a toujours pas été réalisée. La maison est en parfait état avec de l’électricité, le chauffage en position antigel, les fenêtres fermées, aucune infiltration d’humidité. Bref, aucune raison de déclarer l’habitation comme impropre au logement.
Elle ne pouvait pas être définie comme domicile par la propriétaire, les pièces étant vides de tout mobilier.
Cette maison a été investie par une personne sans domicile, en attente d’un logement social depuis trois ans. Au moment de son entrée dans les lieux, la maison était déjà ouverte : aucun élément n’a été détruit pour pénétrer dans la maison.
En difficulté depuis un certain temps pour se loger, le contexte économique dû aux restrictions sanitaires liés au Covid-19 ajoute d’autant plus de difficultés à cette personne, dont le métier fait partie d’un des secteurs presque à l’arrêt depuis mars 2020. L’habitant envisageait de proposer à d’autres personnes sans domicile ou mal logées d’habiter ensemble.

Alors que la maison était occupée depuis deux nuits, la police nationale accompagnée de la BAC et de la propriétaire de la maison se sont présenté au portail séparant le boulevard de la cour d’entrée de la maison. L’habitant est alors venu à leur rencontre, expliquant sa situation au portail, celui-ci permettant à toutes les personnes de se voir et de converser sans avoir besoin de l’ouvrir.
Il a décliné son identité, aussi inscrite sur la boîte à lettres, mais refusé de présenter ses papiers : ceci n’est pas une obligation, même dans le cas d’une constatation par huissier de justice d’une occupation d’habitation.
Alors qu’il n’y avait pas encore particulièrement de menace d’expulsion, l’habitant est rentré chez lui pour verrouiller les portes et se mettre au second étage, afin d’être visible et de pouvoir continuer le dialogue avec la police.
Malgré l’absence de menace d’expulsion, la discussion fut tendue, la police se donnant, une fois de trop, le droit de juger les personnes sur leur situation ou d’ignorer les lois qui conditionnent pourtant leur action (« on s’en fout des lois », texto).

La propriétaire n’avait pas porté plainte contre l’habitant du lieu et a même proposé de s’arranger avec lui. Ce n’était pas l’avis de la police.
La police a indiqué qu’elle avait un « mandat du parquet » pour expulser la maison, sans en préciser davantage sur la nature du mandat. Ça a clairement été du bluff, afin de justifier ce qui allait arriver ensuite, sans décision d’un juge sur l’expulsion de ce domicile, dans un rétablissement autonome de leur supposé ordre. L’arbitraire policier allait pouvoir surgir, à l’abri des regards, à l’abri des lois et de la justice, une fois de plus.
Essayant d’abord de défoncer le portail, sans succès (alors qu’il était simplement fermé à clef, mais pas barricadé), une douzaine de policiers sont alors entré avec leur bélier, passant au-dessus du portail, vers 21h20. 
Ils ont alors défoncé la grande vitre de la porte d’entrée au bélier. Durant leurs différents essais, du soutien s’est exprimé de l’immeuble surplombant la cour de la maison : des voisines et des voisins criaient aux policiers qu’ils n’avaient pas le droit de faire ça et dénonçaient la violence qu’ils employaient pour atteindre les personnes réfugiées dans la maison.
Aucune résistance n’a été opposée à la destruction de la porte du domicile de l’habitant, ni à son interpellation ni celle de son ami de passage dans la maison. Ce dernier ne devait passer qu’une petite heure : ce sera ensemble qu’ils partiront en garde à vue, une douzaine d’heures à Waldeck. Ils sont ressortis le lendemain après midi, sans qu’aucune charge ne soit gardée contre eux.

Un détail peut-être minime mais qui a son importance : le début de la rencontre a eu lieu entre 20h et 20h30, c’est-à-dire durant le couvre-feu. Alors que les abus et les illégalismes de la police en matière d’expulsion peuvent être jugulés par de la visibilité, aucun soutien ne put être appelé de l’extérieur sans les exposer à une contravention.
Il faut aussi inscrire cet événement dans le contexte proche, à savoir l’amendement « anti-squat » à la loi Asap adoptée par le Sénat le 19 janvier dernier, faisant suite à la censure par le Conseil constitutionnel d’un des amendements « anti-squat » d’octobre dernier. Le gouvernement a aussi communiqué ce vendredi 22 aux préfets les instructions pour appliquer les lois actuels concernant le squat.
Pourtant, cette habitation, comme tant d’autres, ne rentre pas dans les catégories définies par ces nouvelles attaques contre le droit au logement, à savoir la résidence principale ou « secondaire ».

Il faut continuer à affirmer, à la fois par les écrits et par les actes, que le droit au logement est une condition nécessaire à l’exercice des autres droits. Cette réquisition était légitime, offrant un domicile propre à une personne qui n’en avait pas. Ce n’était pas la prise de force du domicile d’autrui, mais bien la transformation d’une maison vide vers un logement vivant. Rien n’a été retiré à la propriétaire des lieux.
Pourtant, même si la légalité d’une telle action peut être interrogée via les différentes notions que sont le domicile, la résidence, ou la propriété privée, il reste une chose à retenir de cet événement : la force administrative a pris ses décisions, sans faire intervenir la force judiciaire. Peut-être que cette expulsion était illégale, peut-être qu’une action en référé possessoire était possible, peut-être que ce domicile aurait pu être récupéré. Peut-être que ce n’est pas la conclusion la plus importante.

L’hiver n’est pas terminé. Et bien que les températures remontent doucement, l’hiver arrive toujours. Mais avant ça, le printemps puis l’été ! Enfin, l’automne qui tombe.
À toutes les saisons, des maisons vides. À toutes les saisons, des gens qui dorment dehors. À toutes les saisons, des mal-logé.e.s, des entassé.e.s, dépossédé.e.s.

Quelques observations à retenir de cette expérience :
– le rapport de force était trop avantageux pour la police ce soir-là. Elle n’aurait probablement ni eu ces comportements (on vous a épargné les citations), ni agi de cette façon, en dehors d’un cadre légitime et peut-être juridique, si elle avait été vu et confronté par plus de monde
– le couvre-feu et, en général, les mesures restreignant la liberté de circulation rendent difficile la mobilisation de personnes extérieures. Le soutien peut être organisé plus en amont : en prévenant le voisinage avant la première visite de la police, en s’assurant que suffisamment de personnes soient sur les lieux en solidarité avec les habitant.e.s
– malgré avoir asséné quelques vérités juridiques sur le droit au logement, cela n’a pas calmé les ardeurs de la police, allant à l’encontre même de ce que souhaitait la propriétaire du lieu, qui était prête à laisser une dernière nuit à l’habitant avant qu’il en ressorte avec ses affaires
– une stratégie médiatique est envisageable. Là où le plus grand bruit est fait autour de vols anecdotiques de domicile, ce qui ne correspond à aucun usage majoritaire du squat ou de la réquisition, il serait temps de montrer la réalité du terrain. Au journalisme de préfecture, au relais d’une expulsion dans la colonne fait divers, au sensationnalisme d’histoires de personnes vulnérables montées en épingle, il peut être utile lors des premiers jours d’occupations de s’accompagner de journalistes, de reporters, d’artistes. Pour à la fois avoir un témoignage décentré, pour casser les fantasmes, pour rééquilibrer les imaginaires vers moins de peur et plus de solidarité.