Naïf que je suis, ça ne manque jamais, je m’étonne de la surprise qui a l’air de saisir les autorités chaque fois qu’on en revient là. Comment eux aussi peuvent-ils immanquablement, à chaque fois, faire partie des poulets sans tête ? Il faut croire que pris d’une ivresse du contrôle, ils n’arrivent pas à comprendre que malgré leurs polices, ils n’arriveront pas à empêcher toutes les attaques. Ainsi ils oublieraient de préparer leur plan pour la prochaine fois. Pourtant à force qu’ils aient l’air surpris, on finirait par croire que c’est justement ça le plan, appuyer la sidération du moment en jouant la sidération du pouvoir.

En tout cas le résultat est là, ça ne manque jamais. Pendant que la bouche en cœur on parle de sauvegarder les valeurs de la république, on piétine l’État de droit. C’est que quand il s’agit de montrer les muscles, la bourgeoisie s’en fout un peu du droit bourgeois. Alors ça perquisitionne à tours de bras pour « faire passer un message ». On utilise toutes les mesures administratives possibles pour faire chier des gens et montrer qu’on agit. Peu importe les vies des familles dont on défonce la porte au hasard des fiches de renseignement [1]. Peu importe les gamins de 10 ans questionnés par les flics parce que les parents ne sont pas là [2]. Peu importe que ça ne serve à rien. Au gouvernement c’est le temps de « ça ne peut plus durer », et donc voilà qu’on envoie le ministre de l’intérieur faire la retape et taper du poing sur la table.

Cette fois, c’est le mec qui ne voit pas de problème à demander des rapports sexuels contre des faveurs politiques qui s’en charge. Comme à chaque fois l’idée c’est de faire oublier que si quelque chose a pu arriver c’est aussi parce que tes services se sont planté et ont raté un truc. Cette fois le truc, c’est que le mec a été signalé à plusieurs reprises par des gens pour son comportement en ligne. Je dois bien dire que c’est plus facile de voir les signes une fois que les événements se sont passés. Mais que le service qui s’occupe des plaintes pour les délits en ligne soit pas foutu de traiter les signalements pour terrorisme quand toutes tes préfectures communiquent sur internet pour des saisies de 4gr qui ont mobilisé 50 policiers et t’aura l’air con. C’est sûr que de toute façon t’y pouvait rien, y aura jamais de sécurité absolue, mais comme tu vas toi aussi jouer la partition sécuritaire, tu peux rien dire. Il faut foncer avant que quelqu’un pense à te poser des questions. 
Et c’est comme ça que le mec qui ne voit pas de problème à demander des rapports sexuels contre des faveurs politiques, se retrouve face à tous les micros du pays pour se lancer dans une croisade pour la république et contre les rayons de supermarché. Comme d’habitude avec celui-là, il s’agit d’être le plus scandaleux possible pour faire oublier le scandale précédent, ne lui accordons pas plus d’attention.

Car il n’est évidemment pas le seul qui va jouer cette partition sécuritaire, derrière les micros c’est le défié des gueules enfarinées qui viennent proférer les pires absurdité. Chaque fois les mêmes réapparaissent pour venir se joindre aux habitués des plateaux. L’unanimité de leurs discours haineux proférés jusqu’à la nausée amplifie l’effet de sidération. Chacun est invité à penser comme un chef de clan belliqueux cherchant vengeance après quelque querelle. Ils finiraient par nous faire croire l’État français si fragile qu’il tremblerait vraiment face à trois péquins armés d’un couteau ou d’une kalachnikov. Ainsi le cadre du débat est discrètement fixée, on accepte, l’air de rien, la logique que veulent imposer ces ennemis qui nous attaqueraient. Ça ne manque jamais, au bout de quelques jours de vagissement tous les poulets sans tête finissent par proposer de lutter contre ceux qui attaquent « nos idées » en rognant sur l’état de droit. Parce que bien sûr quand ils disent « nos idées », c’est surtout celles des progressistes. Par ce qu’eux rognent pas du tout sur leurs idées. À ce jeu l’extrême droite, qu’elle soit bleue blanc rouge ou verte/noir, joue à domicile. C’est le grand moment de triomphe pour leur idéologie macabre, la guerre qu’ils s’évertuent à vendre à longueur d’antenne trouve enfin son expression concrète la plus barbare.

Parce qu’il n’y a pas que le ministre de l’intérieur qui a des choses à faire oublier dans ce grand cirque. Il y a ceux qui ont armé les idéologues. Ainsi ce bon vieux Bruckner, grand défenseur de la guerre en Irak, ressort du formol plus insultant que jamais. Il s’agirait pas que nous nous souvenions que toute cette histoire de daesh ça a commencé par la dissolution de la bourgeoisie militaire irakienne après la guerre. Faudrait pas non plus que nous nous souvenions que l’idéologique qui serait aujourd’hui notre ennemie a d’abord été financée par les puissances occidentales dans la lutte anticommuniste dont il est un des idéologues français. 
Et puis il y a ceux, trop nombreux pour les citer, qui arment au quotidien les pions. Ceux qui au quotidien entretiennent chez certain⋅e d’entre nous le sentiment de ne pas vraiment être ici chez eux, d’être irrémédiablement assigné à une place de corps étrangers. Ceux-là s’en donnent à cœur joie et redoublent d’ignominie dans leur sinistre besogne. Chaque jour ils se montrent la sinistre face d’un pays, intolérant, raciste, misogyne réactionnaire et bourgeois. Chaque jour ils arment intellectuellement la guerre aux pauvres et le racisme d’état. Chaque jour ils renforcent la domination des femmes qu’ils prétendent libérer. Et pourtant les voilà encore à nous faire la leçon depuis leur piédestal médiatique. Ils nous disent avec une bonne figure : « Tu vois, on avait raison d’attaquer ton voisin, si c’est pas lui qui a frappé aujourd’hui c’est donc son frère… La guerre c’est la paix, Orwell l’a dit !!! »

Les situationnistes voyaient la concurrence entre bloc de l’est et bloc de l’ouest comme la mise en scène d’une fausse dualité. Deux versions de la société spectaculaire qui font mine d’être irréconciliable. Pour chacun des deux blocs il s’agissait d’avoir un concurrent qui agisse comme un repoussoir en direction de leurs opposants politiques internes. Alors que la lutte de classe se fait plus violente et que les travailleurs commencent à répondre de plus en plus vigoureusement, il faut croire que le bloc bourgeois s’est trouvé un nouvel ennemi bien pratique. En nous jouant la partition de la guerre entre islamisme et république c’est une version modernisée, adaptée à la guerre asymétrique, du même vieux spectacle qui nous est joué. Horreur de la modernité l’ennemi est cette fois en nous même.

https://rebellyon.info/Meutre-au-Conflans-et-cirque-mediatico-22653

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[1Brèves de l’état d’urgence

[2https://www.leparisien.fr/seine-et-marne-77/meaux-le-domicile-de-l-imam-de-la-mosquee-al-badr-perquisitionne-22-10-2020-8404516.php